Brexit : l’Angleterre a peur d’une armée européenne dirigée par l’Allemagne

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Le livre blanc décennal sur la défense qui doit paraître à l’été en Allemagne préconise une armée européenne intégrée sur laquelle Berlin aurait la haute main. Une fuite a été organisée en direction du Financial Times. De quoi inquiéter l’Angleterre et la pousser au Brexit un peu plus.
 
La menace potentielle russe, les migrants, le terrorisme, la perspectives du Brexit et plus généralement la lassitude de rester depuis les années soixante un géant économique doublé d’un nain politique poussent l’Allemagne à changer sa politique étrangère et militaire. Signe qui ne trompe pas, Schäuble, le très puissant ministre de l’économie, préconise la création d’une armée européenne, et le budget de la défense fédéral a augmenté en 2016 de 1,2 milliard d’euros pour passer à 32,9 milliards, et devrait atteindre 35 en 2019. C’est dire que, si on met de côté les forces nucléaires, l’Allemagne est en train de dépasser la France, qui demeure la première puissance militaire d’Europe occidentale, mais dont les lois de programmation militaire connaissent depuis trente ans une érosion que le pouvoir socialiste accélère.
 

L’Allemagne est pressée de retrouver sa puissance militaire

 
C’est dans ce contexte que Berlin a commandé un livre blanc décennal sur les perspectives militaires de l’Allemagne et de l’Europe. On en connaît l’orientation par la récente étude publiée avec l’aide de la fondation Carnegie par le député Roderich Kiesewetter, chargé de la politique étrangère dans le groupe parlementaire CDU/CSU. Pour lui, « la création d’une armée européenne est une affaire de longue haleine, mais c’est une nécessité stratégique (…) ». Les extraits du livre blanc qui ont fuité par le Financial Times vont plus loin : « La politique de sécurité allemande a compétence pour s’exercer loin hors de nos frontières (…) L’Allemagne veut entrer dès le début des processus de décision, d’une manière décisive, dans les débats internationaux, parmi les puissances directrices (…) pour prendre des responsabilités et assumer sa position dominante ».
 

Le livre blanc entre dans les détails de l’armée européenne

 
Le livre blanc entre dans le détail de l’organisation économique et technique de l’armée européenne voulue par l’Allemagne. Il entend que tous les éléments de la puissance militaire soient « planifiés, développés, commandés, entraînés, déployés  en commun » pour assurer leur interopérabilité et améliorer la capacité de l’Europe à agir. Cela vaut pour les hommes comme pour les matériels : il faut en finir avec l’industrie militaire « organisée nationalement et fragmentée ». Et cela vaut bien sûr pour le haut commandement : l’Allemagne, située au centre du continent, s’offre à accueillir le quartier général de cette future armée européenne.
 

L’Angleterre entre inquiétude et fidélité au grand large

 
C’est en quelque sorte le grand retour de la CED, la Communauté européenne de Défense, voulue par les européistes au début des années cinquante, et repoussée grâce à l’alliance des communistes et des gaullistes. Avec cette différence que l’Allemagne, en position de faiblesse absolue alors, se trouve en position de force, sinon militairement, du moins économiquement et politiquement. Et c’est ce qui fait peur à l’Angleterre. Ce n’est pas un hasard si la fuite a eu lieu dans le Financial Times, pas un hasard si la presse anglaise ne relève nullement que la puissance militaire allemande est aujourd’hui embryonnaire par rapport à son homologue française, pas un hasard si elle insiste sur la façon, « subreptice » selon son interprétation, dont la Bundeswehr a déjà commencé de phagocyter des régiments néerlandais et dont elle accroît son domaine de compétence avec le soutien du président de la commission Jean-Claude Juncker. Il s’agit aujourd’hui de pousser l’Angleterre au Brexit, en jouant à la fois sur la peur de l’Allemagne et sur la fidélité à ce que Churchill appelait « le grand large », l’alliance avec les Etats-Unis.
 

Le Brexit, une solution pour de plus en plus d’Anglais

 
Le député Mike Hookem, porte parole de l’UKIP pour la défense, avertit les électeurs que, s’ils ne choisissent pas le Brexit, les forces anglaises n’échapperont pas à leur intégration dans l’armée européenne. Et les pro-américains sont sur la même longueur d’onde. Le livre blanc table sur la volonté des Européens de « prendre une plus grande part du fardeau commun » en matière de défense et engage le partenaire américain à « suivre la route des décisions communes ». Mais les atlantistes y voient un danger. Selon l’ancien ministre de la défense d’Angleterre Liam Fox, « Beaucoup de partisans du projet européen voient l’OTAN comme un obstacle à une union plus étroite ». Et la question achoppe sur le budget : « Le problème est que tant qu’ils ne veulent pas dépenser d’argent, c’est une imagination dangereuse de priver l’OTAN du moindre sou. » Argumentation subtile propre à convaincre les réalistes, les pingres, ceux qui se méfient de la Russie, et ceux qui ont toujours un peu peur de l’Allemagne. Cela fait beaucoup de monde en Angleterre. Sans doute une majorité pour le Brexit.
 

Pauline Mille