Record de réussite au bac : le mensonge statistique de l’Education nationale

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, a félicité officiellement les lycéens français pour le taux record de réussite au bac en 2016, 88,5 %. Ce chiffre, comme d’autres tout aussi « bons », travestit l’état réel de l’enseignement en France, bref, c’est un mensonge statistique.
 
Premier grade universitaire, adieu à l’école secondaire, le bac (qui dit encore baccalauréat ? Même pas les professeurs !) est l’objet chaque année des mêmes discussions académiques : faut-il le réformer ? Sert-il encore à quelque chose ? Est-il « bradé » ? Doit-on le supprimer ? Le remplacer par autre chose, par exemple un contrôle continu des connaissances ? Puis viennent les grandes vacances et l’on n’y pense plus, et cette chose bicentenaire, malgré tous ses défauts, repart pour un tour. Il y a une raison à cela : il fait partie du paysage familier des Français, c’est un rite de passage auquel tiennent les lycéens qui doivent le passer eux-mêmes, malgré, ou à cause de, la peur qu’il engendre. Un rapport du sénat datant de 2008 révèle que moins d’un lycéen sur cinq le juge facile, trois sur quatre l’estiment utile, sept sur dix indispensable. Pourtant, cette année, devant le record de réussite, ce n’est pas n’importe quel vieux ronchon, c’est un ancien président de la Sorbonne, Jean-Robert Pitte, qui estime qu’il est trop facile et ne sert plus à rien.
 

Le bac est un mensonge pour ceux qui l’obtiennent

 
Pour ce géographe distingué, membre de l’académie des sciences et politiques et de plusieurs autres, multi décoré, docteur honoris causa d’une foule d’universités étrangères, auteur de livres qui font autorité sur le paysage et les terroirs, « le bac tel qu’il est aujourd’hui est une mascarade inutile et dangereuse qui crée des déceptions pour ceux qui l’ont et échouent quelques mois après à l’université ». Cette parole est sévère mais juste : plus d’un étudiant sur deux échoue à la fin de sa première année d’université.
 
Il faut dire que Pitte, bien qu’il ait obtenu son agrégation de géographie en 1971 et son doctorat en 1975, soit bien après 1968, jouit d’une étiquette de « réac » pour avoir préconisé deux réformes pour éviter la transformation des universités en parkings pour étudiants ratés ou fantômes : l’augmentation des frais universitaires et la sélection. Une sélection qu’interdit le « blocage des syndicats », même si elle éviterait l’encombrement de l’université (un étudiant en Sorbonne dispose d’un espace de « 2,6 mètres carrés contre 10 pour les poulets de Bresse ») et l’échec.
 

Un regard statistique sur le record de réussite

 
Or, selon Pitte, le bac aujourd’hui non seulement n’opère pas de sélection mais gêne en plus la sélection ultérieure, à cause de la prolifération des mentions : « les classes préparatoires qui sont normalement les filières pour les étudiants bénéficiant d’une mention bien ou très bien n’ont plus assez de place pour accueillir tous ces gens-là », ce qui explique le recours, de plus en plus pratiqué, au tirage au sort pour choisir les heureux étudiants choisis.
 
Alors, qui a raison ? Najat Vallaud-Belkacem lorsqu’elle félicite les lycéens pour leur taux record de réussite au bac, ou Jean-Robert Pitte ? Qui dit la vérité, qui se vautre dans le mensonge ? Pour le savoir, il suffit de consulter l’abondant appareil statistique que produit le ministère de l’éducation nationale, que les universitaires exploitent dans leurs études, et que l’on peut trouver facilement en ligne.
 

Record et surévaluation : le stratagème de l’Education nationale

 
Pour la prolifération des mentions au bac général, il n’y a pas de débat possible. En 1967, 32 % des bacheliers du bac général ont obtenu une mention, contre 54,3 % en 2012. Mais l’inflation est beaucoup plus forte pour les mentions bien, de 5 à 17 %, soit trois fois et demie plus. Et elle est astronomique pour les mentions très bien : elles passent de 0,3 % à 8,9 %. Soit une augmentation de 3.000 % ! Comment les chefs d’établissements peuvent-ils savoir si les mentions ainsi obtenues correspondent à une excellence véritable ? Le système de notation ne les y aide pas, quand on sait que d’assez nombreux candidats fêtent leur réussite au bac avec une moyenne supérieure à 20. Le Figaro a relevé trois cas à la Réunion, dont un 20,78, battu par un 20,84 dans l’académie de Lyon, obtenu par une Estelle, mais c’est semble-t-il Caroline, de Calais, qui détient le record, avec 21,18. Il faut noter que ce sont des moyennes, justifiées par l’Education nationale par le jeu des options et des bonus : mais naturellement ces brillantes demoiselles ont vingt sur vingt dans les matières principales, « ce qui ne fait que confirmer leurs notes de l’année. » Tout cela est présenté avec une ingénuité touchante. Il ne s’agit pas de diminuer les mérites des candidates, mais seulement de constater une évidence : ce système de surévaluation absurde n’a d’autre but que de masquer l’extrême médiocrité de l’ensemble des candidats.
 

Une étude statistique lyonnaise débusque le mensonge

 
Tout découle du choix du ministère de l’Education nationale formulé par Jean-Pierre Chevènement, qui est de donner le bac à « 80 % d’une classe d’âge ». On s’en est approché pour la première fois cette année, avec 78,6 % de bacheliers sur la génération, selon le site officiel du ministère. Sur les 715.200 candidats, 632 .700 ont connu la réussite, la moitié d’entre eux dans les séries générales, 20 % dans les séries dites technologiques, 30 % enfin en bac pro. A titre de comparaison, le nombre de bacheliers en 1960 était de 59.287, ce qui constituait environ 11 % de la classe d’âge. Il est vrai que seul existait alors le bac général, mais, même après l’institution du bac technologique en 1969, la proportion d’une génération décrochant le bac n’excédait pas 16 %.
 
Ce n’est que progressivement que « l’ouverture » du bac, sa « démocratisation » a eu lieu. Une étude de l’université de Lyon jette une lumière très intéressante sur le phénomène. Elle constate une très forte croissance du nombre des bacheliers entre 1962 et 1974. Or cette croissance n’est que partiellement liée à la démographie : si la classe d’âge des Français en âge de passer le bac a fait un bond de 1962 à 1965, elle se stabilise ensuite. La croissance du nombre de bacheliers est donc surtout liée à la politique de l’Education nationale. L’étude, qui porte sur les années 1962 -2002, note que le taux d’accès au bac général passe, pour une classe d’âge, de 11 % en 1962 à 37 % en 1995, soit plus du triplement. Et elle se félicite de cette « démocratisation ».
 

La réussite au bac est une variable politique

 
C’est une façon de considérer l’appareil statistique, mais il y en a d’autres. En examinant en même temps le taux de réussite au baccalauréat général, par exemple. Il est aujourd’hui de 91 % et des poussières. Il était de 73 % en 1960, il a longtemps oscillé entre 60 et 70 %, de 1961 à 1985. Avec deux exceptions. Deux pics. 1966 et 1968. Tout le monde connaît celui de 1968. On a donné le bac, avec une simple formalité orale, à 81 % des candidats. Mesure de démagogie à vocation apaisante après mai, et avant la suppression de la sélection par le désastreux Edgar Faure. Personne ne parle en revanche de 1966. Seuls 49,8 % des candidats ont obtenu leur bac général. Pourquoi cet écart de plus de dix points sur la moyenne de la décennie ? Parce que les autorités universitaires, ayant constaté les effets du baby boom sur les effectifs de bacheliers, ont rendu l’épreuve du bac plus difficile afin de limiter l’afflux d’étudiants en première année de faculté. A l’inverse, après soixante-huit, cet effort d’adéquation entre les possibilités de l’université et de l’emploi, d’une part, et le système secondaire de l’autre, sera arrêté pour des motifs idéologiques, dont la loi Edgar Faure sera la traduction législative. Dès lors, c’est l’inflation des bacheliers, qui n’aura pas de conséquences trop fâcheuses tant que l’économie restera prospère et le plein emploi assuré, mais dont les conséquences calamiteuses deviendront visibles au cours des années 1980.
 

L’objectif est de donner le bac

 
Ce que révèle aussi l’étude lyonnaise, c’est que les classes d’âge n’augmentant plus, ni l’accessibilité au bac général, le ministère de l’Education national a dû recourir à un artifice pour parvenir à l’objectif absurde qu’il s’est fixé, 80 % d’une génération titulaire du bac (Pourquoi, pour quelle raison intellectuelle ou morale ? Pour quoi, pour quoi faire ?). Cet artifice est double. Il a consisté d’une part à gonfler les effectifs des bacs pro et technologiques. Aujourd’hui, le bac général ne compte plus que pour la moitié des bacs. D’autre part, c’est encore plus simple, le ministère de l’Education nationale a donné pour consigne de relever le taux d’admission à tous les bacs.
 
L’année de la création du bac techno, en 1969, le taux de réussite était de 54,7 %. Il est aujourd’hui de 90,7 %. L’année de la création du bac pro en 1987, le taux de réussite était de 76,1 % (la démagogie était déjà bien rodée) : il n’est aujourd’hui que de 82,2 %. Pour une raison toute simple que peu relèvent, c’est qu’il ouvre directement sur l’emploi et limite donc la promotion des déchets.
 

Le mensonge de l’Education nationale est la démocratisation

 
Car l’élévation générale du taux de réussite au bac ne correspond à nulle élévation réelle du niveau, bien au contraire, toutes les études internationales évaluant le système d’enseignement français en comparaison avec ses voisins européens et les autres pays développés montre une constante régression relative, et même absolue. L’élévation du taux de réussite au bac constitue donc un mensonge statistique évident. Droite et gauche en portent la responsabilité commune, avec une espèce de fièvre d’exagération en plus à gauche. La constatation de l’ancien président de la Sorbonne est donc juste. Mais elle ne suffit pas. Il ne suffira pas de supprimer le bac pour rétablir un enseignement de qualité. C’est tout le mensonge de la démocratisation qu’il faut démonter. Le résultat de l’absence de sélection est en effet que les élites sociales se reproduisent plus facilement qu’avant et qu’ailleurs, et que les enfants des familles aisées ou de professeurs réussissent beaucoup mieux que les autres dans leurs études, ce qui fait que l’ascenseur social ne marche plus du tout. D’où la promotion de l’Euro et de l’euro million : on parque dans le rêve des populations qui régressent pour leur masquer leur échec.
 

Pauline Mille

 
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