En Belgique, les Frères de la charité approuvent l’euthanasie

Belgique Frères charité approuvent euthanasie
 
Désormais, il n’y a plus guère d’institutions de soins en Belgique, même celles réservées aux malades mentaux, qui récusent l’euthanasie pour des raisons de principe. En décidant d’autoriser la mise à mort volontaire des patients qui le demandent selon les conditions légales, assorties de quelques petites dispositions supplémentaires, la section belge de cet ordre hospitalier de frères convers fondé au début du XIXe siècle rompt avec la doctrine catholique qui est supposée l’informer, et revient sur une opposition à l’euthanasie qui aura duré 15 ans, depuis la légalisation de la « mort choisie ».
 
La décision a été prise par le conseil de direction de l’ordre en Belgique malgré l’opposition du directeur général des Frères de la charité, le flamand René Stockman qui a longtemps pris la tête de cette opposition de principe. On ne sait pas les raisons exactes de ce revirement, que le directeur général a confirmé après que la revue catholique belge Tertio eut obtenu une copie de la lettre du conseil de direction à tous les responsables d’établissements de santé appartenant à l’ordre en Belgique, où quelque 130 Frères de la charité demeurent actifs aujourd’hui. La même lettre était envoyée à tous les médecins travaillant dans ces maisons.
 

L’euthanasie désormais possible chez les Frères de la charité

 
La décision des Frères de la charité met la province belge de l’ordre en contradiction avec la congrégation dans son ensemble. René Stockman, supérieur général à Rome a expressément fait savoir son désaccord, même s’il a précisé à Tertio que le dialogue interne avec les responsables belges reste possible.
 
Le revirement des Frères de la charité en Belgique est spectaculaire. Non seulement les Frères admettent désormais la possibilité de pratiquer des euthanasies en cas de souffrance physique insupportable en phase terminale, mais ils étendent leur accord aux cas de souffrances psychiques dans les 13 institutions d’accueil de personnes souffrant de maladies mentales qu’ils possèdent en Belgique. Ils n’excluent pas non plus que l’euthanasie puisse avoir lieu dans les maison de retraite pour personnes très âgées.
 
La lettre adressée à tous les établissements et aux médecins précise que la direction a approuvé un texte en tenant compte de la vision du « groupe des Frères de la charité en Belgique sur la problématique importante et complexe de l’euthanasie en cas de souffrance psychique dans une situation non terminale ». Elle poursuit : « Pour autant que toutes les conditions légales sont remplies, le médecin et le patient peuvent choisir l’endroit où l’euthanasie sera pratiquée en tenant compte du contexte, entre autres, l’impact sur les autres patients. Là où, à ce jour, il était exigé que le médecin renvoie systématiquement le patient vers un autre lieu, cette exigence ajoutée au respect et à l’application des conditions légales n’aura plus cours ».
 

Les Frères de la charité de Belgique en opposition avec le supérieur général de leur ordre

 
Derrière le style ampoulé, il y a bien une reconnaissance et une acceptation des euthanasies les plus controversées, y compris en Belgique : celles demandées par des schizophrènes, des autistes, des grands dépressifs, des gens qui ont peur de se trouver seuls et ceux qui s’estiment incapables de relations sociales normales… De telles mises à mort se sont produites déjà des dizaines de fois dans le cadre légal depuis 2012, alors qu’elles reposent sur l’appréciation purement subjective du patient et que, les affections psychologiques étant ce qu’elles sont, il n’est pas inouï que des personnes qui en souffrent aient changé d’avis même après avoir reçu l’accord de principe pour leur euthanasie, découvrant un nouvel espoir, une nouvelle raison de vivre.
 
C’est en tout cas une forteresse catholique qui tombe. S’il demeure d’autres établissements de santé ou de soins sous la responsabilité de l’Eglise en Belgique, et qu’il n’y a pas eu de leur part d’initiative similaire, celle prise par une importante congrégation « soignante » catholique dans le pays, dont l’autorité et le prestige sont reconnus, les isole un peu plus.
 
La révolution silencieuse s’est produite il y a un mois, et elle serait passée inaperçue si la revue Tertio n’avait pas mené l’enquête.
 

« Ici aussi, l’offre crée la demande »

 
Sous le titre « Illusion tragique », l’éditorialiste de la revue, Geert De Kerpel, déplore que la société belge en soit arrivée au point où elle juge parfaitement normal qu’il n’y ait plus quasiment aucun établissement de soins où l’euthanasie n’est pas une option. Et de citer le professeur de théorie du droit, Dorien Pessers, néerlandais : « Elle a justement fait remarquer que le premier devoir de l’Etat est de protéger la vie, toujours et partout. Une société ne peut tout simplement pas survivre de manière durable lorsqu’il n’existe pas un interdit de tuer y compris pour l’Etat lui-même. Créer des normes pour encadrer l’aide au suicide conduit à la normalisation du suicide. Et cette normalisation a son influence sur le soi-disant libre exercice de la volonté. Ici aussi, l’offre crée la demande ».
 
Les médias, les talk-shows belges présentent aujourd’hui l’euthanasie comme « la chose la plus normale du monde », remarque De Kerpel : on filme des petites vieilles dames venant demander la mort chez le médecin le plus médiatique de la chose, le Dr Wim Distelmans. Pour conclure : « Et en plus, nous prenons cela pour un grand progrès. Comme si ce n’est qu’en embrassant la mort que nous avons inventé la liberté absolue tant désirée. Quelle illusion tragique ».
 

Les Frères de la charité approuvent l’euthanasie – avec les laïcs présents au conseil de direction

 
Joint par téléphone, René Stockman a déclaré à De Morgen rester « persuadé » que les Frères ont toujours le droit de refuser de pratiquer l’euthanasie, comme la loi d’ailleurs le prévoit. « On vient d’entrouvrir la porte et c’est dommage. Nous voulons prendre les souhaits des patients au sérieux mais la protection de la vie est pour nous un absolu. Nous ne pouvons accepter que l’euthanasie soit pratiquée à l’intérieur des murs de notre institution ».
 
Il a souligné que les discussions au sein de la province belge ont duré plus d’un an, et que la décision a été prise par le conseil de direction où siègent quelques frères seulement face à une majorité de laïcs. « Je trouve cela très regrettable et je le déplore », a-t-il ajouté, espérant qu’une solution sera trouvée. Il a annoncé que l’ordre des Frères de la charité prendra notamment contact avec les évêques belges qui ne cachent pas leur opposition à l’euthanasie.
 
Mais agiront-ils avec fermeté ?
 

Jeanne Smits