Le bien-être, nouvelle frontière du rêve américain pour la fondatrice du Huffington Post

Bien être Fondatrice Huffington Post
 
Arianna Huffington, fondatrice du Huffington Post, a démissionné de son poste de rédactrice en chef pour lancer Thrive Global, une entreprise qui entend faire du bien-être le moteur de la réussite. En prônant le farniente contre le burnout, elle désigne une nouvelle frontière au rêve américain, avec un arrière goût de décroissance et des financiers résolument mondialistes.
 
Ce que sera Thrive Global, ce que l’entreprise vendra, on ne le sait pas (elle ne sera officiellement lancée qu’en novembre, après l’élection présidentielle US), mais ce qui est sûr, c’est que la fondatrice du Huffington Post part en guerre contre le burn out, cette maladie de ceux qui travaillent trop, et qu’elle met le bien-être au centre de son nouveau modèle de développement. Elle qui a pas mal écrit sur la trahison du rêve américain par les élites se pose maintenant en prêtresse de la croissance douce et de l’épanouissement personnel.
 

Quand la fondatrice du Huffington Post incarnait le rêve américain

 
L’otium, pourquoi pas ? Il est aussi vieux que Virgile, et chacun sait que c’est parfois en prenant son temps, et celui de le perdre, qu’on trouve les meilleures idées. Mais ce n’était pas trop le genre d’Ariana Huffington jusqu’à présent. Née grecque, Ariadni-Ana Stasinopoulou est partie étudier l’économie à Cambridge à l’âge de seize ans, puis n’a plus cessé de travailler, touchant absolument à tout : parolière de chansons pour Irène Papas, actrice, scénariste et productrice pour la télévision et le cinéma, journaliste, polygraphe écrivant aussi bien sur Picasso, la Callas ou la classe moyenne que sur le féminisme, elle trouve le temps d’épouser Michael Huffington, de lui donner deux enfants et d’être naturalisée américaine avant de divorcer en 1997. Mais c’est en 2005 qu’elle a l’idée de lancer le site Huffington Post, dont la ligne sociale démocrate attrape-tout s’accomode de l’économie de marché dirigée tout en tressant les louanges du féminisme et du lobby LGBT – son édition française réserve une tribune à la femen Inna Chevchenko. C’est une femme d’affaire et une femme affairée, sans cesse évaluée par le magazine Forbes, classée tantôt 29 ème (2012), tantôt 70ème (2015) parmi « les femmes les plus puissantes au monde ». Avec cela, elle n’a pas manqué de faire un peu de politique, allant toujours vers plus de libéralisme (au sens américain du terme). Elle a même posé sa candidature au poste de gouverneur de la Californie en 2003, l’année où Arnold Schwarzenegger a été élu.
 

Profiter du bien-être après avoir tiré profit du travail

 
D’un burn out subi en 2007 pour surmenage chronique, elle a tiré sept ans plus tard un livre intitulé Thrive, «pour redéfinir le succès et créer une vie de bien-être, de sagesse et d’émerveillement ». Il y a quelque jour, en même temps qu’elle démissionnait du Huffington Post, sa fondatrice annonçait qu’elle lançait Thrive Global, l’entreprise qui doit répandre cette façon de voir sur la terre entière. En anglais, thrive signifie à la fois prospérer et profiter : après avoir prospéré, Arianna Huffington entend profiter de la vie et apprendre aux autres à le faire. Il existe déjà un Thrive market, qui diffuse de la nourriture « bio, vegan, paleo et casher », et un institut de bien-être Thrive experience, sorte de remise en forme par le sport et la nutrition « difficile à expliquer, impossible à décrire, vous devez le vivre ». Le côté nunuche, charlatant, rêve américain mis à la sauce californienne, ne doit pas porter le lecteur à croire que la chose soit insignifiante. En 2011 en effet le Huffington Post a été racheté par AOL (racheté lui-même par le géant de la téléphonie Verizon) pour plus de trois cents millions de dollars, dont sa fondatrice a empoché vingt et un. Le gros argent est là, et Arianna Huffington a eu le plaisir d’annoncer à ses afficionados que le premier tour de table pour le financement de Thrive Global a été bouclé avec succès.
 

La nouvelle frontière de la philanthropie mondialiste

 
Ce qu’Ariana Huffington présente comme une aventure personnelle provoquée au départ par un accident de sa biographie, son burn out, est en fait une entreprise bien plus méditée ; un bref tour d’horizon des investisseurs qui forment le premier capital de Thrive Global le montre. On y trouve d’abord ses vieux camarades avec lesquels elle a fondé le Huffington Post, puis les fondateurs de Thrive Market, Nike Green et Gunnar Lovelace, puis un petit nombre d’intellectuels, entrepreneurs, politiques et financiers dont on peut extraire quelques noms. Celui de Zoë Baird, par exemple, présentée comme une « philanthrope », businesswoman de gauche, avocate amatrice de causes médiatiques (les enfants victimes d’abus sexuels), choisie par Bill Clinton pour être ministre de la justice mais forcée à démissionner parce qu’elle était impliquée dans un scandale d’immigration clandestine, membre aussi du Council for foreign affairs, le CFR, influente société de pensée mondialiste. Autre « philanthrope », Sean Parker, hacker devenu milliardaire, inventeur de Napster, logiciel de partage de musique, éminence grise de Zuckerberg dans le développement de Facebook, cocaïnomane radical, militant actif pour la dépénalisation du cannabis. Et parmi les investisseurs, on trouve encore Nicolas Berggruen.
 

Ceux qui sont derrière la fondatrice du Huffington Post

 
Nicolas Berggruen, fondateur et président du Berggruen Institute for Governance, est un investisseur et philanthrope (encore un!) germano-américain né à Paris dont la fortune était estimée en 2013 à deux milliards de dollars. Son institut s’occupe de définir et de préconiser de nouvelles façons de gouverner – c’est à dire de préparer les esprits à la gouvernance globale, à travers plusieurs « conseils » qui s’occupent de l’Europe, de la Californie ou de la planète entière. Il regroupe un nombre impressionnant d’anciens chefs d’Etat et de gouvernement, de grands banquiers, des chefs de très grosses entreprises. Tony Blair, Felipe Gonzales, Gerhard Schröder, Pascal Lamy, Jacques Delors ont ainsi travaillé pour son Conseil pour le futur de l’Europe, avec aussi Eric Schmidt, le patron du Google, Romano Prodi, Axel Web, Peter Sutherland, Schäuble, Moscovici, Alain Minc. Dans l’un de ses machins, le conseil pour le vingt-et-unième siècle, on trouve, parmi des noms de ce genre, quelques Nobel, et… Arianna Huffington. Le but affiché de ce conseil est de transformer le G20 en embryon de gouvernement du monde développé, en lui donnant un secrétariat permanent, un organe de réflexion sur les grandes questions politiques, enfin un système de prise de décision à la majorité qualifiée et non plus par consensus.
 

Bien être, décroissance, mort douce et mondialisme

 
Le Berggruen Institute, comme le Huffington Post, se revendique « indépendant et non partisan ». C’est la marque de fabrique de ces instruments mondialistes qui travaillent à changer lentement les mentalités politiques. En lisant les noms, on voit toutefois que se retrouvent, aux côtés de nouveaux patrons issus de la révolution informatique, un monde de hauts fonctionnaires, banquiers et politiciens venu du sérail social-démocrate, eurocratique quant aux Européens, et mondialiste. Cela éclaire le projet Thrive global : arriviste forcenée convertie à l’hédonisme, Arianna Huffington en réalise la synthèse, et enseigne l’idéologie selon laquelle il faut « profiter de la vie » pour faire le meilleur profit. Ce qui est présenté comme un idéal de vie pour les bobos du Nord est en fait, vu de haut, un modèle de croissance douce. En disant aux yupees : keep cool, be happy, on incite doucement l’Occident à la décroissance pour faire de la place aux économies du Sud. Les bobos auront ainsi droit à un travail optimisé ; quant aux ilotes, ils seront privés de travail et ils trouveront cela très bien puisque l’idéal de vie des gens chics sera de peu travailler. Ce mouvement prend parfois des détours surprenants et n’épargne aucun milieu : ainsi la revue Limites où officie Eugénie Bastié, destinée aux jeunes catholiques avides d’un look branché, travaille-t-elle au fond à la même décroissance, c’est-à-dire, au même déclin doux, à la même entropie, qu’Arianna Huffington, fondatrice du Huffington Post, qui prône désormais le bien-être comme nouvelle frontière du rêve américain. Cela sent la mort parfumée.
 

Pauline Mille