Blog contre Lettre ouverte : la famille Le Pen continue sa révolution

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Marine Le Pen lance un blog pour communiquer en dehors des médias et de son parti. Jean-Marie Le Pen lui adresse une lettre ouverte où il exige la tenue d’un conseil national du Front national d’ici l’été sous peine de lui couper les vivres et de lancer son propre mouvement. Deux générations à la manœuvre pour 2017, et peut-être aussi une révolution dans la famille contre-révolutionnaire.
 
On peut analyser l’actualité de la famille Le Pen à court terme. En lançant un blog assez bien fait, Carnets d’espérances, la fille entend, comme tous les grands candidats à l’élection présidentielle, se démarquer de son parti pour parler aux Français sans intermédiaire. Quant au père, en écrivant une lettre ouverte « à Mme la présidente du Front national » dans Rivarol (l’hebdomadaire par qui le scandale est arrivé, ou du moins dont une interview de Jean Marie Le Pen a servi de prétexte à exclure celui-ci), il lui rappelle quelques grosses évidences dans la perspective d’une éventuelle conquête du pouvoir en 20017.
 

Les Le Pen ont l’unité vache

 
Par exemple qu’il faut d’abord rassembler son camp avant d’attirer alliés ou ralliés. Que le dernier séminaire des cadres du FN, un joli flop, n’en prend pas le chemin, et qu’il y a du mou dans le moral des militants. Qu’en outre, la politique de dédiabolisation n’a pas causé une révolution du système, comme en témoigne le deuxième tour des dernières régionales, et qu’en conséquence « l’accusation d’antisémitisme politiquement invalidante » implicitement portée contre lui par l’appareil du FN, qui a servi à son éviction à lui, Jean Marie Le Pen, fut « une mauvaise action » sans être une bonne affaire. Et qu’il faut donc le réintégrer. Il exige en conséquence de sa fille un conseil national avant l’été avec lui même à l’ordre du jour, sous peine de lui couper les vivres par le biais de la Cotelec et de monter un parti concurrent. Chez les Le Pen, la famille est un combat. Malgré ces menaces, il serait sot de croire que le père n’est pas sincère, il désire se réconcilier, il espère vraiment que le mouvement va retrouver son unité sur une ligne « d’extrême droiture, fidèle à ses principes et ses objectifs nationaux ».
 

Marine Le Pen pas au 2ème tour de 2017 : une révolution

 
Marine Le Pen ferait bien de réfléchir. Sans doute lui est-il difficile d’aller à Canossa, mais rompre tout à fait reviendrait de se couper de l’aile la plus dure et la plus formée de ses militants, ainsi que d’une frange d’électeurs moins étroite qu’on ne le croit : suffisante en tout cas pour ne plus être assurée de figurer au deuxième tour de la présidentielle de 2017. D’autant qu’avec un certain flou sur l’immigration, une position politiquement correcte sur l’avortement et une gauchisation de son discours économique, la présidente du Front national a ouvert un gros espace sur sa droite, que rêvent d’occuper au moins Bruno Lemaire, François Fillon, Philippe de Villiers et Nicolas Dupont-Aignan, et que ces braves gens pourraient bien passer un accord politique si les sondages de Marine Le Pen baissaient. C’est d’ailleurs cette perspective qui a, il le dit clairement, poussé à Jean Marie Le Pen à écrire sa lettre ouverte.
 
Dans la famille Le Pen, le père et la fille ont un peu raison chacun. En lançant un blog, moyen de communication moins dévalué que la télévision, et en prenant du recul par rapport à son parti, Marine a raison. Elle a raison aussi de penser que la dédiabolisation marche un peu, à l’échelon local : un maire dédiabolise mille fois plus que mille déclarations politiquement correctes, c’est d’ailleurs pour cela que le système a tout mis dans la balance pour bloquer les régions, car elles auraient été une immense vitrine de dédiabolisation. Mais en lui rappelant qu’il faut aussi un parti solide et uni derrière le candidat, Jean Marie a raison à son tour. Et surtout en lui rappelant que la communication n’est pas tout, qu’il faut une « ligne », c’est à dire en français une doctrine, et des militants pour la penser, la transmettre et l’appliquer.
 

Marine Le Pen sans doctrine sur la famille

 
Ici, il est bon de quitter l’actualité immédiate pour jeter un regard à plus long terme. Une chose frappe, si l’on considère l’évolution du Front national depuis quarante ans : il est en train de perdre, si ce n’est déjà fait, ce qu’il est convenu de nommer ses « fondamentaux », c’est à dire la façon de voir le monde et la morale qui sous-tendent les programmes. Autrement dit, encore, pour faire court, le catholicisme. Sans doute Le Pen lui-même n’est-il pas catholique, du moins autant qu’on peut affirmer ces choses-là. Mais, ancien enfant de chœur et élève des jésuites, il a baigné dans le catholicisme et, tant par sa fibre que par sa formation, c’est un tenant du droit naturel et de l’ordre naturel, sa défense du droit à la vie l’a amplement montré. Sa fille, post-adolescente ballottée d’après soixante-huit n’a pas plongé dans le même bain. Elle n’a pas, si l’on peut dire, d’épine dorsale intellectuelle, c’est un objet politique susceptible de subir l’attraction de n’importe quel champ magnétique, d’où sa récente gauchisation sous la houlette de l’aventurier gourou Philippot – mais elle peut subir demain n’importe quelle autre influence, comme elle subissait hier celle de communicants de l’ultra-droite païenne.
 

Blog contre Lettre ouverte : une révolution générationnelle

 
Ni la fille ni le père n’aimant céder, on ne sait où finira la querelle de ce Janus bisexué de la politique française, et l’on craint de ne pas être au bout de nos Le Pen, si l’on ose ce mauvais jeu de mots. Mais derrière une affaire de famille dont on peut préférer sourire se cache un mouvement général inquiétant. Voyez Donald Trump, voyez Pegida, voyez le Front national nouvelle manière : les mouvements « populistes » qui ont du succès, qui captent l’espoir ou les suffrages des peuples aux abois ne sont pas, ne sont plus, des organisations douées d’une doctrine solide. Tout se passe comme la révolution infiltrait la mouvance contre révolutionnaire pour en infléchir la pensée et l’action, pour en faire au bout du compte le meilleur vecteur de la révolution. C’est une technique courante dans les médias : quand il s’est agi de convertir le peuple français au politiquement correct à partir des années quatre-vingt, la révolution n’est pas passée par le Monde ou Libération, dont elle avait déjà la maîtrise et qui n’avaient prise que sur les intellectuels, mais par la presse populaire ou non politique, le Parisien, l’Equipe, Point de vue et images du monde, et les journaux féminins. La querelle du blog et de la lettre ouverte qui anime aujourd’hui la famille Le Pen est une petite révolution générationnelle qui n’est pas de pure forme : le père s’appuyait sur une doctrine, la fille n’a plus de boussole, cela fait la joie du système.
 

Pauline Mille