Après le « bœuf » en tube, le « poulet » de laboratoire : la viande Frankenstein fait un grand pas en avant

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La société s’appelle Memphis Meats, elle est évidemment basée à San Francisco et ses fondateurs s’appellent Uma Valeti et Nicholas Genovese, tous deux docteurs en sciences. Elle vient de présenter la première viande de poulet créée en laboratoire à partir de cellules souches. « La sensation en bouche était superbe et tendre, elle était tellement bonne que j’en ai presque oublié de la mâcher », a gloussé Emily Byrd, critique culinaire de l’Institut Good Food. Les végétariens et le Mouvement pour la viande propre pourront être rassurés : ils pourront bientôt manger du poulet sans passer par le poulet vivant. Manger de la chair Frankenstein sans devoir occire le moindre animal. Et avec la secrète et orgueilleuse satisfaction de se savoir partie d’une humanité chaque jour un peu plus créatrice de son propre monde.
 

Cellules souches de poulet, de canard et de bœuf dans une « soupe nutritive » de laboratoire

 
Si d’autres laboratoires avaient déjà réussi à élaborer de la viande de « bœuf » en tube, en février, c’est la première fois que des scientifiques ont réussi à créer de la viande de volaille – ils ont aussi « élevé » de la viande de canard – à partir de cellules souches. Pour développer de la viande en laboratoire, les cerveaux de la technoscience ont isolé des cellules souches, ces éléments du vivant qui ont la particularité de se régénérer, avant de les cultiver dans une « soupe nutritive » de sucres et de minéraux. Ces cellules se sont poétiquement développées dans cette « boîte biodynamique » sous la forme de muscles, « récoltés » quelques semaines après la mise en œuvre. Bon, des muscles qui n’ont pas beaucoup servi à gambader, mais des muscles.
 
Emily Byrd, citée par le Daily Telegraph de Londres, n’en finit pas de s’extasier : « C’était génial de pouvoir déguster le meilleur poulet de ma vie en sachant qu’il avait été produit d’une façon astronomiquement (sic) meilleure pour la planète, la santé publique et les animaux. Rien ne l’égale (…). Cette viande propre est à 100 % de la vraie viande, elle a exactement le goût, oui, de ce que c’est ». Ou de ce que c’est censé être. Et si le critère du goût bon consiste à oublier de mâcher la viande tellement elle fond en bouche, peut-on parler de tendreté ou de chewing gum ?
 

Uma Valeti flatte le Mouvement de la viande propre pour vanter sa biotechnologie

 
Pour le chroniqueur scientifique du Telegraph, Sarah Knapton, « cette avancée est un pas de géant pour le Mouvement de la viande propre, qui vise à bannir la cruauté envers les animaux et à limiter l’impact environnemental de l’élevage en batteries ». Selon elle, « même les végétariens pourront en manger ». Voire. Il y a un pas entre faire la promotion d’une nouvelle industrie sous couvert de journalisme et analyser sereinement ses produits : leurs qualités nutritives exhaustives, leur goût, leurs effets à long terme sur la santé. La qualité de vie d’un animal élevé en plein air n’aurait-elle pas des conséquences sur la qualité de sa viande consommée par l’humain, omnivore depuis la nuit des temps ? Quant à soutenir que les végétariens pourraient consommer ces « protéines musculaires », c’est oublier une large part de leurs motivations qui ne se limitent pas à refuser l’abattage des animaux.
 
Quant à nos scientifiques, le seul succès de leur expérience les enivre. Le Dr Uma Valeti, PDG de Memphis Meat, s’emporte : « C’est fascinant de pouvoir proposer les premiers poulets et canards qui n’impliquent pas l’élevage d’animaux ! C’est un moment historique pour le Mouvement de la viande propre ». Et d’ajouter, dans un élan de sincérité : « Nous pensons vraiment que c’est un bond en avant considérable pour l’humanité et une incroyable opportunité industrielle ».
 

Memphis Meat prétend économiser 90 % des émissions de gaz

 
L’argument environnemental est bien sûr mis en avant. L’élevage consomme de nos jours un tiers de la production mondiale de grain et le quart des surfaces agricoles est utilisé en pâturages. Memphis Meat affirme que sa biotechnologie économise 90 % des gaz supposément à effet de serre par rapport à l’élevage, consomme moins de nutriments et évite l’usage d’antibiotiques.
 
Outre les doutes sur qualité nutritive exhaustive de ce type de nourriture Frankenstein, l’autre obstacle à sa diffusion reste son coût, pour l’instant prohibitif : un morceau de viande standard pour une personne revient à environ 15.500 euros. Mais nos scientifiques assurent qu’il va diminuer considérablement, avec pour objectif une mise sur le marché à prix abordable dès 2021.
 

Un burger Frankenstein au bœuf… à 230.000 euros

 
La première viande élaborée en laboratoire avait été obtenue par le chercheur néerlandais Mark Post en 2013. Son « Frankenburger » – on ne recule pas devant l’humour noir dans le milieu de blouses blanches –, une tranche de vrai-faux bœuf, avait exigé trois mois d’élaboration pour un coût de 230.000 euros. Sans aucune graisse, ni probablement de ces éléments vitaux renforçant les défenses immunitaires ou l’hémoglobine de nos hématies, il avait un goût de « gâteau de protéines », avait jugé Josh Schonwald, critique gastronomique qui fut le premier à le tester. Ce dernier l’avait situé entre la galette de soja et le burger de la restauration rapide, élaboré on le sait avec à peu près tout ce que la viande animale comporte de bas morceaux.
 

Matthieu Lenoir

 

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