Brexit : accord ou duperie ?

Brexit accord duperie
 
On parle beaucoup de l’accord qui a été trouvé lundi à Bruxelles entre les Britanniques et l’Union européenne sur la délicate question de la période de transition entre l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union et le Brexit proprement dit. Mais les réactions qui continuent à se faire jour depuis ce nouveau pas vers le divorce politique manifestent que, malgré les discours des uns et le silence des autres, nombre de Britanniques tiennent cette déclaration d’accord pour rien moins qu’une duperie.
 
Michel Barnier, négociateur en chef de Bruxelles, a beau dire, les choses ne sont pas si simples. Notamment sur la question irlandaise, et des relations que Dublin pourrait être amené à entretenir avec Bruxelles d’une part, avec Londres de l’autre, avec la République d’Irlande enfin.
 
La preuve en est que, à Bruxelles, on évoque la nécessité de régler encore certains détails, quand, à Dublin, on affirme que cette « bonne avancée » laisse tout de même beaucoup de travail pour parvenir au but.
 

Où l’on reparle d’un accord sur le Brexit

 
Bref, c’est ni plus ni moins ce à quoi nous a, en ce domaine comme en tant d’autres, habitué la diplomatie européenne : un baratin qui scelle mal le fait que tout, ou presque, reste à faire. Car, comme l’a bien remarqué Theresa May à propos des négociations plus générales sur le Brexit, aucune des parties en présence ne saurait obtenir tout ce qu’elle souhaite, tant les positions sont contraires.
 
Bref, dans le nouveau texte de 129 pages rendu public lundi, il n’est pas même sûr que la date du 29 mars 2019 pour la sortie du Royaume-Uni et celle du 31 décembre 2020 pour la fin de la période de transition satisfassent tout le monde…
 
Bien sûr, les négociateurs évoquent des points d’accord. Sur les droits des expatriés européens, l’indemnité que devra payer Londres, ou les diverses questions d’ordre financier qui vont se poser.
 
Et, bien sûr, devant la presse, Michel Barnier et le Britannique David Davis, en charge du dossier de sa Gracieuse Majesté, n’ont pas manqué d’évoquer un moment « décisif ».
 

Laisser l’histoire aux manuels

 
On a pourtant échappé à l’adjectif « historique » – et pas simplement parce que les parties en présence pourraient s’inquiéter d’encombrer les manuels d’histoire…
 
De fait, Michel Barnier a tenu à préciser que, malgré l’euphorie quelque peu forcée du moment, rien n’était inscrit dans le marbre tant que le traité, dans son ensemble, n’aura pas été ratifié.
 
Et, effectivement, il y a quelques petits problèmes. A commencer par l’affirmation européenne selon laquelle l’Irlande du Nord demeurerait dans l’Espace économique européen – avec une dérogation réglementaire par rapport au reste du Royaume-Uni – sauf si une meilleure solution était trouvée d’ici là. Il va de soi que, pour Londres, sa vision des choses est une meilleure solution. Mais, en l’espèce, les deux conceptions sont irréductibles. On pourrait alors se demander pourquoi celle de Bruxelles prévaudrait. La raison du plus fort ? Qu’importe ! On ne trouvera sans doute personne pour oser poser la question publiquement.
 
Il faut noter aussi que, pour Londres, la discussion, quel que soit son désir de la poursuivre, n’est pas si facile. En effet, le gouvernement de Theresa May a été mis en place, comme elle l’a rappelé à plusieurs reprises, pour mener à bien le Brexit. Or, un nombre non négligeable de Britanniques semble ne pas vouloir accepter que des discussions politiciennes viennent en remettre l’essence en cause.
 

Répondre à une duperie

 
Ainsi, ce mercredi, des partisans du Brexit, Nigel Farage en tête, ont-ils jeté des caisses entières de haddock dans la Tamise afin de protester contre l’accord affiché lundi, par lequel le gouvernement de Theresa May accepterait – notamment – de demeurer dépendant de la politique commune de la pêche. Il est clair que, pour les défenseurs du Brexit, cette décision est, ni plus ni moins, une trahison de l’industrie britannique de la pêche.
 
Vu de Bruxelles, d’aucuns semblent estimer qu’il suffirait, pour Theresa May, de faire fi de l’avis de quelques extrémistes. Mais la chose n’est pas aussi simple. D’abord, parce que ces quelques extrémistes sont assez nombreux.
 
Ensuite, parce que plusieurs députés du Parti conservateur de Theresa May sont d’accord avec eux.
 
Enfin, parce que les chiffres eux-mêmes se mettent de leur côté pour venir dénoncer le discours officiel sur les maux consécutifs au Brexit. Ainsi, l’Office des statistiques nationales a-t-il annoncé mercredi que le taux de chômage avait-il légèrement reculé fin janvier, au Royaume-Uni, pour s’établir à 4,3 %. Ce n’est qu’un dixième de point, certes. Mais, avant le vote en faveur du Brexit, il faut remonter à 1975 pour trouver un taux de chômage aussi faible…
 
A cela, il convient d’ajouter que, dans le même temps, l’INSEE annonce que, en France, on espère que le chômage se stabilisera à 8,9 % courant mai. Et sans compter Mayotte…
 

Comparaison n’est pas raison… mais tout de même !

 
Pour en revenir aux Britanniques, qui doivent se sentir fortifiés dans leur décision d’aller voir ailleurs, il convient de noter que, parallèlement, les salaires ont progressé de 2,8 % en comparaison annuelle.
 
Bref ! On comprend que Theresa May préfère ne pas trop évoquer la question des discussions avec Bruxelles qui lui valent quelques remarques acerbes de la part de ses proches, et se concentrer sur ces bons résultats. Ou sur son bras de fer avec Vladimir Poutine qui semble devoir redorer son blason dans les enquêtes d’opinion !
 

Hubert Cordat