Brexit : Theresa May semble enfin vouloir activer l’article 50

Brexit Theresa May activer article 50
Theresa May après avoir prononcé son discours, rejointe sur scène par son époux.

 
Le scénario de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne se précise. Theresa May, Premier ministre conservateur britannique, a enfin clairement annoncé sa stratégie après des mois d’atermoiements durant lesquels elle a fait travailler ses équipes d’économistes et de juristes… et tâté les rapports de forces. Devant le congrès du parti conservateur, dimanche, elle a fixé à mars prochain la date d’activation de l’article 50 des Traités européens, qui lance le processus de sortie de l’Union.
 
« Après le Brexit, le Royaume-Uni redeviendra un pays pleinement indépendant qui ne sera même plus placé sous l’autorité de la Cour européenne de justice. La sortie (de l’UE) est un vote pour que la Grande-Bretagne reste grande, pour croire en nous-mêmes, pour nous forger un rôle ambitieux et optimiste dans le monde. » Pour autant, la tâche est immense, les contraintes économiques poussant à la fois à une ouverture vers d’autres partenaires hors UE mais aussi au maintien d’accès réciproques avec l’UE.
 

Brexit : pas question de céder sur les migrations et la Cour de justice

 
Ainsi, Theresa May a-t-elle d’emblée annoncé que plusieurs traités commerciaux étaient sur le point d’être signés avec huit pays hors UE – Canada, Chine, Inde, Mexique, Corée du Sud et Singapour. Elle démontre ainsi que la Grande-Bretagne prépare le terrain au cas où Bruxelles l’exclurait du marché unique. Theresa May a aussi précisé que son gouvernement avait signifié aux autorités européennes qu’il était prêt à un « hard Brexit » si ces dernières ne permettaient pas à son pays de fixer souverainement ses politiques migratoires. « Nous ne quittons pas l’Union européenne aujourd’hui pour renoncer à nouveau au contrôle souverain de notre immigration et nous ne partons pas pour rester soumis à la Cour européenne de justice », a-t-elle martelé.
 
Mercredi, lors de son discours de clôture du congrès, Theresa May a enfoncé le clou, s’adressant aux Britanniques qui ont voté pour la sortie de l’UE : « Si vous avez perdu votre emploi à cause de l’immigration, la vie ne semble pas juste », a-t-elle lancé aux 17 millions de Britanniques « ordinaires » qui ont mené « la révolution tranquille » du Brexit. « Les gens ont voté pour le changement, le changement va venir », a-t-elle promis.
 
Reste que la date d’activation de l’article 50, reportée à mars alors qu’elle était attendue pour janvier par les pro-Brexit, pourrait aussi annoncer une volonté de faire traîner le processus. Les pro-Brexit redoutent qu’une trop longue période de négociations ne permette aux pro-européens de manipuler l’opinion et, finalement, d’obtenir un nouveau référendum qui irait dans l’autre sens.
 

Theresa May veut mettre l’Etat aux premières loges

 
Parallèlement, Theresa May a prôné, devant les congressistes du parti conservateur, un plus grand interventionnisme de l’Etat en faveur des consommateurs et des salariés, se référant officiellement aux conséquences de la crise financière : « Il est temps de se souvenir tout le bien qu’un gouvernement peut apporter. » Mais derrière ces propos on pouvait aisément aussi deviner sa préoccupation quant aux futures conséquences économiques de la sortie de l’UE. Et d’expliquer : « Quand les marchés dysfonctionnent, nous devons être prêts à intervenir. Quand les entreprises exploitent les failles du marché, quand le choix du consommateur est limité par des structures de prix délibérément complexifiées, nous devons remettre le marché dans le droit chemin. » Au menu, le sous-équipement des zones rurales en matière de communication, les tarifs de l’énergie excessifs pour les deux-tiers des consommateurs ou l’exclusion de nombreux travailleurs du marché immobilier. L’idée d’un plan de relance n’est pas loin.
 
A l’évidence, le Premier ministre entend tenir fermement le gouvernail en cette période de tempête annoncée. Car le principal bras de fer avec Bruxelles ne fait que commencer. Mercredi, Theresa May a expliqué au congrès qu’elle entendait garantir une liberté maximale de commerce pour les entreprises britanniques au sein du marché européen, avec comme contrepartie que l’inverse soit vrai. Mais elle a répété sa volonté de retrouver le contrôle total de l’immigration. Or Bruxelles lie les deux : à marché commercial unique, marché du travail unique… Et migrations internes incontrôlées.
 

Les craintes du secteur financier à l’idée qu’on puisse activer l’article 50

 
Du coup, la livre sterling a plongé mercredi à son plus bas niveau de 31 ans face au dollar US et de cinq ans face à l’euro avant de se reprendre jeudi matin. Selon un rapport du cabinet Oliver Wyman commandé par le syndicat professionnel de la finance, le secteur financier britannique pourrait perdre jusqu’à 38 milliards de livres de chiffre d’affaires en cas de « Brexit dur » limitant son accès au marché unique de l’UE (1 euro = 0,88 livre). Comme le chiffre d’affaires du secteur se situe actuellement entre 190 et 205 milliards de livres, la perte maximale potentielle est donc évaluée à quelque 20 %. Dans ce cas extrême, 75.000 emplois pourraient disparaître (sur 1,1 million) avec un manque à gagner fiscal de 10 milliards de livres.
 
En revanche, si Londres conserve l’accès à l’Espace économique européen (EEE, accords commerciaux unissant l’UE et l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein, la Suisse ayant signé des accords bilatéraux) dans les conditions actuelles, les pertes d’emplois seraient limitées à 4.000 et la perte de chiffre d’affaires à seulement deux milliards de livres, selon ce rapport.
 

Mais l’UE connaît aussi de graves faiblesses

 
Au total, ce congrès conservateur aura permis à Theresa May de préciser une stratégie jusqu’ici brumeuse. Les gages qu’elle a donnés à son opinion pro-Brexit en matière de concurrence étrangère sur le marché du travail, la multiplication des accords commerciaux avec l’outre-mer comme l’annonce d’un plus grand interventionnisme de l’Etat semblent indiquer qu’elle se prépare à faire face à l’intransigeance européenne.
 
Toute la question est désormais de savoir à quel point l’UE, affaiblie par les crises bancaires italienne et désormais allemande avec la Deutsche Bank, étouffée par un euro accentuant les divergences internes, sans parler de la dégringolade budgétaire française, peut faire monter les enchères.
 

Matthieu Lenoir