Buisson, Sarkozy : trahison et politique nationale

Buisson, Sarkozy, trahison et politique nationale

 

Depuis que Nicolas Sarkozy a accusé publiquement son ancien conseiller spécial de « trahison » pour avoir enregistré certaines de leurs conversations, Patrick Buisson, furieux attaque l’ex président qu’il juge « politiquement mort » et agite la menace de révélations explosives. La réprobation unanime qu’il rencontre vise en fait une certaine politique nationale montrée du doigt sous le nom de « ligne Buisson ».
 
 

Patrick Buisson n’est pas une première communiante. Nous l’avons bien connu à Minute voilà trente ans. Il avait déjà le souci du secret et de l’information étayée de preuves, qu’il avait sa manière bien à lui de se procurer. Il avait aussi ses réseaux, divers et parfois étranges, qui attiraient vers cet homme peint aux plus noires couleurs de l’extrême droite les gens les plus divers.
 
D’autre part, c’est le meilleur journaliste politique de Paris, et de loin. Il n’a pas l’autorité pontifiante d’un Duhamel, d’un Jean Daniel, la pétulance d’un Elkabbach, ce n’est pas un éditorialiste comme Tesson ou Julliard, un coq de combat comme Zemmour, mais il connaît tout, tout le monde, et il a un jugement sûr et froid. Le tout est éclairé par une bonne pénétration de l’histoire et un sens très sûr de l’identité nationale. C’est lui qui a fait élire Nicolas Sarkozy en 2007, sans aucun doute. En décembre 2006, le candidat était à la ramasse dans les sondages, incapable d’exploiter son activité débordante faute d’une ligne politique claire : Buisson lui a permis de siphonner l’électorat de Le Pen. En 2012 encore, malgré un quinquennat très décevant et joué beaucoup trop au centre, Sarkozy n’a échoué que de très peu derrière François Hollande en réactivant dans les dernières semaines la fameuse ligne Buisson, pas d’ennemi à droite.
 

Le péché d’orgueil de Buisson

 
Quel est le péché de ce catholique traditionnel, royaliste de formation ? L’orgueil, comme tout le monde. Le vertige de l’entrisme. Buisson n’a pas misé Sarkozy uniquement par carriérisme, mais aussi pour le cornaquer, et il a pu avoir l’illusion de peser sur la politique nationale dans les commencements du quinquennat. Notamment lors de la visite du président à Benoît XVI et du discours de Saint Jean de Latran. Mais les grands sont ingrats, une fois élus, ils oublient volontiers les services rendus. Buisson en a conçu une amertume discrète. Il lui arrivait de parler du « petit » de façon caustique ou agacée, comme, quelques années auparavant, du « gros ». Mais de là à être accusé de trahison ! Quel crime a-t-il commis ? Il a enregistré Sarkozy (pas seulement) à son insu. Point barre. C’est une indélicatesse, pas une trahison. Et depuis quand la politique serait-elle un art de la délicatesse ? A une époque où tout le monde espionne tout le monde, où l’Etat met au service du contrôle social et du chantage des moyens dont on n’a pas idée, il est compréhensible que Patrick Buisson, à un poste instable et dangereux, ait voulu se constituer, outre des souvenirs pour ses vieux jours et une occasion de rire, une sorte d’assurance vie. La politique étant un coupe-gorge, il n’est pas souhaitable d’y affronter à mains nues des puissants surarmés.
 

Une trahison qui trahit le coup politique

 
D’où est venue la trahison ? On a beaucoup dit qu’un de ses proches avec qui il se trouvait en conflit aurait communiqué une part des bandes enregistrées au public. Nulle preuve n’est venue l’établir. En revanche, une chose est connue, le canal par quoi le scandale est arrivé. Il est double, le Canard Enchaîné, et le site Atlantico. Or l’hebdomadaire du mercredi est la feuille par qui les puissants (qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ailleurs) font fuiter les informations pour leur donner du crédit et les faire se répandre ensuite dans l’opinion – en pendant, il y avait naguère Minute, qui publiait des enquêtes solidement faites, mais qui n’étaient pas reprises en général. Quant à Atlantico, c’est un site sarkozyen pur jus premium. On est donc fondé à suivre l’hypothèse de Buisson : la publication des bandes et leur exploitation serait un « assassinat politique », destiné non seulement à discréditer durablement l’ancien conseiller, mais à se poser en victime de celui-ci pour se refaire une virginité dans une perspective de « recentrage » et de « rassemblement ». Autrement dit, « un prétexte pour habiller un changement de ligne politique ». Et l’éminence grise limogée de mettre les points sur les i : « Sarkozy n’avait plus besoin de moi face à Marine Le Pen. Il souhaitait changer de stratégie, alors il a médiatisé sa rupture avec moi ».
 

Sarkozy menacé de fiasco

 
Il est clair que les attaques contre la ligne Buisson ont commencé à l’UMP dès le lendemain de la défaite. Et que depuis, le centre et la gauche, Christiane Taubira en tête, se sont acharnés contre la brebis galeuse. On peut croire sans difficulté que Sarkozy, d’ailleurs agacé par sa dette envers son conseiller bienfaiteur, ait décidé de se débarrasser d’un pareil boulet en termes d’image. Buisson n’a pas non plus apprécié que le couple Sarkozy le fasse condamner en juillet pour atteinte à la vie privée à deux fois dix mille euros et que Carla ait même réclamé l’exécution du jugement. Le mot de trahison a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Maintenant le supposé traître passe à la menace. Il fait dire qu’il a écrit dans sa retraite des Sables d’Olone « des centaines de pages sur l’Elysée, sur Sarkozy et sur la France ». Il laisse planer le doute sur les bandes qu’il détient et sur l’usage qu’il pourrait en faire. « Je me tais, jusqu’au moment où je ne me tairai pas, et ce sera explosif ». La menace est plus forte que l’exécution. Il a beau jeu, pour amuser le tapis médiatique, de brocarder la nouvelle ligne de Sarkozy, « ce Bonaparte qui joue au père Queuille ». Le centre, explique-t-il, « ce n’est pas son genre de beauté, ça ne marchera pas. » Surtout avec son escadron de groupies gauche caviar : « La campagne avec Carla et NKM va conduire au massacre. »
 

La vraie cible est la cause nationale

 
Quel démon pousse Buisson à faire de telles déclarations ? Le besoin de faire parler de lui ? Ce n’est pas son genre. La déception ? Peut-être. Cet extraterrestre dialectique est aussi un affectif. Surtout sans doute, jugeant Sarkozy fichu, tient-il à manifester son anti-sarkozysme d’aujourd’hui. Par exemple pour garder la direction de la chaîne Histoire Hollande étant encore président. Ou pour se placer demain auprès de Marine, Juppé ou Fillon. Mais l’on remarque que, pour l’instant, il n’a pas prononcé contre le PR (l’ancien président de la république) de phrase qui empêche toute réconciliation. Si jamais l’occasion se trouvait de rééditer en décembre 2016 l’exploit de 2011 ?
 
Le plus important, au-delà des intérêts et des calculs de Buisson et Sarkozy, est de comprendre pourquoi a été monté le scandale, pourquoi la ligne Buisson a tout de suite été la cible des médias. Elle avait pourtant été la cause du succès de Sarkozy. Cherchez l’erreur ! L’erreur est le mot pourtant. C’est parce que la ligne Buisson a fait élire Sarkozy qu’il fallait la discréditer absolument. Patrick Buisson a prouvé par l’expérience que, lorsqu’un candidat du système, avec un profil un peu atypique, reprend les thèmes du peuple, cela lui donne la victoire. Sans doute Sarkozy a-t-il manqué cette chance en trahissant ses électeurs. Mais si quelqu’un d’autre, un jour, prenait sa place, avec de vraies convictions, le chef de l’Etat ne serait plus, comme il l’est de façon croissante depuis des années, le préfet en France de Bruxelles, Francfort, Washington et New York, mais le conducteur d’une vraie politique nationale conforme à la volonté populaire. Voilà ce que le système ne saurait risquer, et voilà pourquoi un conseiller indépendant choisissant lui-même sa ligne politique doit être immédiatement neutralisé. Et c’est ainsi que Patrick Buisson est un être inquiétant, malfaisant, immoral, dangereux, vraisemblablement déséquilibré.