Le cardinal Gerhard Müller reparle d’“Amoris laetitia” et dit son « incompréhension » devant l’absence de discussion autour des “Dubia”

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Le cardinal Gerhard Müller

 
Dans un entretien avec le quotidien italien Il Foglio, le cardinal Gerhard Müller affirme son « incompréhension » devant le refus du pape François de discuter des « Dubia » des cardinaux à propos d’Amoris laetitia. Limogé – mais sans nouvelle affectation – ce prince de l’Eglise, encore relativement jeune à 69 ans, parle de manière plus nette sur ses réticences à propos des changements doctrinaux introduits à la faveur de l’exhortation post-synodale, en visant nommément des confrères comme Kasper et Schönborn – tout en affichant sa « loyauté » à l’égard du Saint-Père. Ce qui peut paraître contradictoire.
 
Etant donné en effet que le deuxième nommé est donné comme interprète autorisé d’Amoris laetitia par le pape François lui-même, qui saisit également toutes les occasions pour louer le cardinal Kasper, c’est une pique qui mérite d’être doublement relevée.
 

Un entretien du cardinal Gerhard Müller avec “Il Foglio”

 
Principal axe de cet entretien publié en italien le 21 juillet dernier : le Magistère n’a aucun pouvoir de « corriger » les enseignements du Christ. Les nouveaux documents du Magistère, le « développement du dogme » doivent y être fidèles : « Nul ne peut élaborer un document magistériel sans connaître les Pères de l’Eglise et les grandes décisions dogmatiques des différents conciles sur la théologie morale », rappelle le cardinal Müller, soulignant que la Congrégation pour la Doctrine de la foi existe précisément pour vérifier l’orthodoxie de l’enseignement dispensé par l’Eglise.
 
A propos de Schönborn il répond ainsi :
 
« Peut-être le cardinal Schönborn a-t-il une vision contraire à la mienne mais peut-être a-t-il aussi une vision contraire à celle qu’il avait lui-même précédemment, vu la manière dont il l’a changée. Je crois que les paroles de Jésus-Christ doivent toujours constituer le fondement de la doctrine de l’Eglise. Et personne – jusqu’à hier – ne pouvait prétendre qu’il n’en était pas ainsi C’est clair : nous possédons la révélation irréversible du Christ. Et l’Eglise s’est vu confier le depositum fidei, c’est-à-dire le contenu entier de la vérité révélée. Le Magistère n’a pas autorité pour corriger Jésus-Christ. C’est Lui – si tant est que quelqu’un le fait – qui nous corrige. Et nous sommes obligés de Lui obéir : nous devons être fidèles à la doctrine des Apôtres qui a été clairement développée dans l’esprit de l’Eglise. »
 

“Amoris laetitia” : il y a bien des ambiguïtés…

 
Expliquant qu’il avait voté au synode sur la famille pour le rapport du groupe germanophone, écrit par Schönborn et Kasper, le cardinal Müller n’a pas vraiment apporté d’éclaircissement sur cet acte mais il a précisé : « En tant qu’évêque et cardinal je représente la doctrine de l’Eglise ; je la connais dans ses développements fondamentaux depuis le Concile de Trente à Gaudium et Spes, les deux lignes directrices Cela est catholique – le reste appartient à d’autres croyances. Je ne comprends pas comment ils peuvent harmoniser des positions théologiques et dogmatiques qui divergent par rapport aux paroles claires de Jésus et de saint Paul. Tous deux ont clairement exprimé que l’on ne peut pas se remarier du vivant du conjoint légitime. »
 
Interrogé sur sa vision des « Dubia » des cardinaux Burke, Brandmüller, Caffarra et feu le cardinal Meisner à propos d’Amoris laetitia, le cardinal Müller répond :
 
« Je ne comprends pas pourquoi la discussion calme et sereine n’a pas commencé. Je ne comprends pas où sont les obstacles. Pourquoi laisser émerger seulement des tensions, même publiquement ? Pourquoi ne pas organiser une rencontre pour parler ouvertement de ces thèmes, qui sont fondamentaux ? Jusqu’à présent je n’ai entendu que des invectives et des insultes à l’encontre de ces cardinaux. Mais ce ne sont ni la manière ni le ton qui permettent d’aller de l’avant. Nous sommes tous frères dans la foi et je ne puis accepter que l’on parle de catégories telles “un ami du pape”, ou “un ennemi du pape”. Pour un cardinal, il est absolument impossible d’être contre le pape. Néanmoins nous autres évêques avons le droit, je dirais le droit divin, de discuter librement. Je voudrais souligner que lors du premier Concile, tous les disciples ont parlé franchement, favorisant même la controverse. A la fin, Pierre a donné son explication dogmatique qui était destinée à l’Eglise tout entière. Mais ce n’est qu’à la fin, au terme d’une discussion longue et animée. Les Conciles n’ont jamais été des réunions harmonieuses. »
 
Discussion dont le pape François ne semble vouloir en aucun cas…
 

Le cardinal Müller ne comprend pas qu’on refuse la discussion à propos des “Dubia”

 
Réaffirmant que la doctrine et les exigences de l’Eglise à propos du mariage, de l’accès à la communion et des divorcés remariés ne peut changer – « nul ne peut modifier cet ordre sacramentel », qui exige la confession des fautes et le changement de vie, le cardinal Müller poursuit :
 
« Y a-t-il des ambiguïtéz dans Amoris laetitia ? Il y en a peut-être et je ne sais pas si elles sont délibérées. Les ambiguïtés, si elles existent, sont en rapport avec la complexité matérielle de la situation où se trouvent les hommes d’aujourd’hui, de la culture où ils se trouvent immergés. Aujourd’hui, quasiment tous les fondamentaux et éléments essentiels sont incompréhensibles pour les populations qui se définissent elles-mêmes superficiellement comme chrétiennes. A partir de là les problèmes surgissent. Nous sommes face à deux défis : d’abord clarifier quelle est la volonté salvifique de Dieu, et ensuite nous interroger sur la manière de venir pastoralement en aide à ces frères et de suivre le chemin indiqué par Jésus. »
 
A propos de la demande allemande de permettre la communion des divorcés remariés, le cardinal Müller répond : « C’est vrai ; il y avait trois évêques allemands : Kasper, Lehmann et Saier, qui ont lancé cette proposition au début des années 1990. Mais la Congrégation pour la Doctrine de la foi l’a définitivement rejetée. Tout le monde était d’accord pour dire qu’il était nécessaire d’en discuter encore, et jusqu’à maintenant personne n’a abrogé ce document. »
 

Le cardinal Gerhard Müller conserve sa vision irénique de l’affaire “Amoris laetitia”

 
Pardonnez-nous, Eminence, mais c’est un peu court : la manière dont les synodes ont été menés, la lettre de l’Exhortation post-synodale, les prises de position des évêques du grand Buenos Aires (avec l’approbation du pape François), de Malte, d’Allemagne chantent une tout autre chanson !
 
Cela dit, le cardinal Müller souligne combien la situation en Allemagne lui paraît « dramatique ». « La transmission de la foi, non pas en tant que théorie mais comme rencontre avec Jésus-Christ, s’est émoussée. Même chose pour les vocations religieuses. Voici les signes, les facteurs qui nous permettent de comprendre la situation de l’Eglise, mais c’est l’ensemble de l’Europe qui vit aujourd’hui un processus de déchristianisation forcée, qui va bien au-delà de la simple sécularisation. Il s’agit de la déchristianisation de la totalité du fondement anthropologique, l’homme étant défini sans Dieu et sans transcendance. La religion est vécue comme un sentiment, et non comme adoration de Dieu, créateur et Sauveur. Dans ce grand contexte, ces facteurs ne sont pas bons pour la transmission d’une foi chrétienne vivante et c’est pour cela qu’il est nécessaire de ne pas gaspiller nos énergies dans des luttes internes, dans des clashes les uns avec les autres, avec les soi-disant progressistes qui recherchent la victoire en mettant dehors les soi-disant conservateurs. Si nous raisonnons ainsi nous donnons l’impression que l’Eglise est quelque chose de fortement politisé. Notre a priori n’est pas d’être conservateur ou progressiste. Notre a priori est Jésus. Croire en la Résurrection, en l’Ascension, au retour du Christ au dernier jour constitue-t-il une fois traditionaliste, ou progressiste ? Non, c’est simplement la vérité. Nos catégories doivent être la vérité et la justice, et non pas les catégories qui correspondent à l’esprit du temps. »
 
On a tout de même le sentiment que le cardinal rêve un monde où les difficultés de l’Eglise viendraient du dehors. Mais l’ignorance de la foi date de la crise du catéchisme, qui a suivi le concile Vatican II et qui n’est pas près d’être résolue.
 
S’il est important, dit plus loin le cardinal, dans une situation où « tous les éléments de la foi vivante, la foi du peuple, se sont effondrés », où « la vie est vécue comme si Dieu n’existait pas », de « rendre témoignage à la vérité salvifique », le moins que l’on puisse dire est que la confusion actuelle rend cela extrêmement malaisé.
 

Perte de la foi et préoccupations environnementalistes

 
Si le cardinal Müller se refuse à critiquer directement cette confusion, si au cours de l’entretien il s’emploie à dire que son départ de la Congrégation pour la Doctrine de la foi signifiée au dernier jour de son mandat par le pape François s’est passé convenablement, il ose quand même ces mots dont le destinataire n’est que trop évident : « Parle-t-on aujourd’hui de responsabilité à l’égard de la culture et de l’environnement ? Oui, mais nous avons beaucoup de laïcs compétents pour s’en occuper. Des gens qui ont des responsabilités dans le domaine politique ; nous avons des gouvernements et des parlements, et ainsi de suite. Jésus n’a pas confié le gouvernement temporel aux apôtres. Les princes-évêques ont existé il y a des siècles, et ce n’était pas une bonne chose pour l’Eglise. »
 
Serait-ce une manière discrète de reprocher au pape François sa manière de faire de l’environnement une priorité pour l’Eglise, domaine où il mobilise également des laïcs non catholiques, voire anti-catholiques, alors que la foi va à vau-l’eau ?
 

Jeanne Smits