Des muftis de 50 pays réunis au Caire pour dénoncer l’extrémisme de l’Etat islamique à la Conférence internationale sur la fatwa

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Une conférence réunissant les muftis de 50 pays s’est réunie les 17 et 18 août au Caire, en Egypte, pour dénoncer l’interprétation extrémiste de l’islam à travers des fatwas sanguinaires qui donnent lieu aux débordements que l’on connaît par exemple dans les pays dominés par l’Etat islamique. La Conférence internationale sur la fatwa s’est tenue sous le parrainage du président Abdel Fatah el-Sisi, officiellement représenté tout au long des conférences, et la principale allocution était confiée à l’imam Ahmed al-Tayeb, de la prestigieuse université cairote Al-Azhar. L’événement était organisé par Dar al-Ifta, l’instance qui représente officiellement l’islam auprès des autorités égyptiennes.
 
C’est un nouvel épisode de l’entreprise de restructuration lancée par al-Sisi qui appelait, le 1er janvier dernier, à une « révolution religieuse » pour débarrasser l’islam de ses interprétations extrémistes, et qui a depuis multiplié les interventions à la fois pour promouvoir cette vision modernisée de l’islam et pour rendre l’école d’interprétation égyptienne garante de cette interprétation supposée authentique.
 

La Conférence internationale sur la fatwa veut unifier l’interprétation de la sharia

 
Au cours de la conférence du Caire, on a mis l’accent sur le fait que les fatwas peuvent aujourd’hui être émises par n’importe qui et dans son propre intérêt : celui de son pouvoir et de son emprise.
 
On cerne mieux les objectifs de la conférence à travers les propos d’Abbas Shouman, sous-secrétaire d’Al-Azhar, pour qui l’émission d’une fatwa est aujourd’hui chose difficile dans la mesure où les questions posées aux muftis sont souvent très nouvelles et n’ont pas d’équivalent dans l’histoire de l’islam. Mieux : les fatwas de jadis doivent être revues parce qu’elles peuvent s’appuyer sur des coutumes qui ont changé depuis longtemps.
 
De fait, estime Abbas Shouman, il circule aujourd’hui de nombreuses fatwas qui reflètent seulement l’opinion de leurs auteurs animés d’« intentions sectaires ou politiques », à tel point qu’il est souvent possible de déterminer l’identité de celui qui a émis la fatwa à partir de la formulation de cette dernière ».
 
On ne peut plus se contenter d’être spécialiste de la charia uniquement pour envisager un problème correctement selon la jurisprudence : il faut un « engagement commun » aux côtés des « spécialistes » des sciences nouvelles comme les sciences sociales, économiques, politiques, médicales et appliquées », a-t-il insisté, pour obtenir un jugement sur ces nouvelles problématiques.
 

Au Caire, sous l’impulsion d’al-Sisi, des muftis dénoncent l’extrémisme de l’Etat islamique

 
Bref, on met en avant une forme de sécularisation de l’islam qui doit permettre de contrer l’interprétation radicale de l’islam – et accessoirement permettre à celui-ci de montrer patte blanche alors que le coran lui-même contient de nombreux appels à la violence. En ce sens il s’agit d’une dénaturation de l’islam sans le nécessaire souci de la vérité qui permet une réelle critique de l’islam.
 
De son côté Ahled el-Tayeb, le chef de l’université al-Azhar, a invité les participants à ne pas montrer de complaisance pour les fatwas violentes émises au nom de l’islam. « Je n’ai pas besoin de vous rappeler que l’indulgence à l’égard des fatwas qui excommunient » des musulmans ont eu pour résultat le meurtre et le sang versé. Ce qui préoccupe au premier chef les intervenants de la Conférence internationale sur les fatwas, c’est l’attitude de certains musulmans à l’égard d’autres musulmans. Mais ce sont aussi les pratiques actuelles de l’Etat islamique, ou Tafqiri Daesh, à l’égard de minorités islamiques ou non qui sont mises en avant : immolation, viols, esclavage, exécutions.
 
Les 700 participants – y compris des chrétiens selon une source copte – issus de 120 Etats ont donc écouté une mise en cause des pratiques de l’Etat islamique, notamment dans le domaine du traitement des femmes et du recours à l’esclavage : c’est un « chaos » né de la possibilité reconnue à ces musulmans « extrémistes » d’édicter des fatwas.
 

Dar el-Ifta au Caire se verrait bien en garant de l’émission des fatwas

 
La solution proposée par Dar el-Ifta est simple. Elle a été exprimée dès l’ouverture des rencontres par Ibrahim Negm, conseiller du grand mufti d’Egypte : il s’agirait de créer un secrétariat général de muftis et des centres islamiques pour surveiller et réfuter les fatwas extrémistes, et pour former des muftis de différents pays. Avec des ramifications dans tous les pays, Dar el-Ifta aurait ainsi son siège général au Caire et prendrait la forme d’une organisation internationale spécialisée chargée de coordonner l’ensemble et d’assurer une action mondiale afin d’améliorer le niveau des fatwas et d’assurer une forme d’unification.
 
Cette même unification est prônée par le grand mufti d’Egypte, Abdel-Karim Allam.
 
La conférence s’est particulièrement intéressée dans ce contexte au phénomène des nouveaux moyens de communication, à l’heure où tous les documents islamiques sont accessibles en ligne et que les musulmans peuvent s’appuyer sur des fatwas de toutes origines pour justifier les comportements les plus violents. Ainsi les partisans de l’Etat islamiques n’ont-ils pas manqué de se justifier lorsqu’ils ont mis en scène la torture d’un pilote jordanien brûlé vif en invoquant des fatwas trouvées sur le site d’une université saoudienne.
 

Restructurer l’islam pour le rendre compatible avec la modernité : une entreprise mondiale et mondialiste

 
L’idée est donc de s’orienter vers une sorte d’organisation internationale chargée de faire le tri. Rien de nouveau sous le soleil musulman puisque, dès l’origine, l’islam et le coran lui-même ont été adaptés aux besoins politiques et temporels de ceux qui se servaient de cette religion – de cette hérésie – simple et belliqueuse pour faire avancer leurs propres intérêts, comme l’ont montré les travaux d’exégèse scientifique les plus récents.
 
On a l’impression d’une semblable entreprise au service d’un groupe au sein de l’islam qui veut dominer l’ensemble en faisant avancer l’image d’un islam restructuré, compatible avec la modernité et avec le relativisme. Une spiritualité sans vrai Dieu. D’où le souci de faire circuler dans le monde un autre message que celui de l’islam matériellement conquérant et exclusif : Ibrahim Negm a clairement indiqué que les muftis cherchent à « créer une nouvelle stratégie pour aider les communautés musulmanes en Occident à faire face à la pensée extrémiste ».
 
Cela passe par exemple par la création d’une page Facebook en anglais, qui donne une bonne idée de la rhétorique adoptée par cet islam qui veut se faire accepter, qui est attaqué aussi au nom de la laïcité et de la modernité, mais dont il ne faut jamais oublier qu’il peut changer de visage si les circonstances et ses intérêts l’exigent.
 

Anne Dolhein