La stratégie des onze candidats au débat : embrasser son rival pour mieux l’étouffer

Débat Onze Candidats Campagne Présidentielle
(Le baiser de Judas,
détail d’une fresque de l’église Saint-Martin à Nohant-Vic)

 
Au terme d’une campagne présidentielle brouillée par les médias, la stratégie des onze candidats se clarifie avant le débat de ce soir : il s’agit d’embrasser son rival pour mieux l’étouffer. On attaque un ennemi déclaré pour vaincre un concurrent caché.
 
Souvenez vous, c’était il n’y a pas longtemps, Marine Le Pen caracolait en tête des sondages, il suffisait de lui être opposé au second tour de la présidentielle pour devenir président : Hamon et Fillon avaient fait le plus dur, ils avaient gagné la primaire des grands partis, il leur suffisait de se départager par une campagne sans pitié, et le vainqueur serait élu les doigts dans le nez. Depuis, les deux candidats des grands partis ont été attaqués dans le dos, l’un par des coups de poignards amicaux, l’autre par des casseroles élyséennes, et les choses sont beaucoup moins simples.
 

La stratégie des petits candidats dans la campagne présidentielle

 
Avec la dynamique de l’un, l’électorat caché de l’autre, le tassement de la troisième et la fragilité du quatrième, quatre candidats au moins peuvent prétendre au deuxième tour, Macron, Fillon, Mélenchon, Marine Le Pen. Chacun d’entre eux, sauf la dernière, a renoncé aux complications d’une stratégie de deuxième tour avant l’heure et se concentre pour abattre son rival.
Quant aux petits candidats, ils sont là pour grappiller des voix aux grands et ainsi les éliminer, comme le fit en 2002 (sans le vouloir ?) Christiane Taubira avec Jospin. Nathalie Arthaud et Poutou sont conçus pour affaiblir Mélenchon, Cheminade et Asselineau pour picorer l’électorat de Marine, Dupont-Aignan ceux de Marine et Fillon, Lassalle ceux de Marine et Mélenchon. Georges Pompidou comparait dans le Nœud gordien la stratégie politique au rameur dans sa barque, le mouvement réel est inverse au cap apparent.
 

Fillon, rival de Le Pen, doit l’embrasser pour lui piquer ses voix

 
On l’a vu lors du premier débat, Fillon, fort bien conseillé « en temps réel » sur son portable par sa conseillère en communication Anne Méaux, ancienne d’Occident, s’est gardé d’attaquer trop frontalement Marine Le Pen, se contentant de se poser en face d’elle en homme de la réalité et du réalisme. La raison en est simple : jamais les centristes qui rallient Macron ne reviendront vers lui, il ne peut compter pour accéder au premier tour que sur les abstentionnistes de droite ou la droite radicalisée tentée par Marine Le Pen. Attaquer celle-ci serait du dernier maladroit, il faut au contraire l’embrasser pour mieux l’étouffer, ce sera utile également à Fillon pour faire l’union des droites au second tour, s’il y arrive. En se présentant comme le meilleur rempart anti-Macron, il vise à susciter un vote utile des droitiers qui ne veulent de l’ancien secrétaire général adjoint à l’Elysée à aucun prix et craignent qu’en cas de second tour Macron-Marine Le Pen celle-ci ne soit écrasée.
 

En tirant sur Macron, Mélenchon réussit à étouffer Hamon

 
Même stratégie chez Mélenchon. Mortifié par le peu de cas que fit de lui Hamon lorsque les sondages étaient flatteurs pour lui, il ne s’attarde pas sur la chose mais se concentre sur Macron : non pas pour l’abattre, ce serait un adversaire rêvé pour lui s’il accédait au second tour, mais pour s’accroître avec d’autres électorats. Sur sa droite, il concurrence ainsi des ouvriers tentés par le vote Le Pen. Et puis il entend surtout siphonner l’électorat de Hamon, la vraie gauche socialiste, qui ne croit plus beaucoup à son candidat mais ne supporte pas l’ancien ministre de l’économie de Hollande, ses mamours libérales et centristes. Pour permettre à cette gauche antilibérale mais institutionnelle (représentée par Montebourg, Martine Aubry, etc.) de le rallier, il a commencé à se donner une image beaucoup moins agressive, à se grimer en vieux monsieur rassurant. Il semble que cela marche. S’il parvient à se hisser au deuxième tour, il aura toutes les options ouvertes : face à Fillon, toute la gauche contre le grand capital ; face à Macron, tous les Français contre le libéralisme mondialiste ; face à Marine Le Pen, toute la république contre le fascisme. Le seul qui puisse lui faire de l’ombre, c’est Hamon, mais pour l’instant il a dispersé sa poudre sur plusieurs moineaux.
 

Macron forcé d’embrasser tout le monde pour rester ambigu

 
Cependant la progression de Mélenchon a des limites, et pour l’instant c’est le meilleur allié de Macron, ils ont plombé ensemble la candidature de Hamon. Macron ne prétend pas chasser sur les terres du socialisme de conviction. Il entend seulement racoler l’UMPS de gouvernement, de la gauche de Valls à la gauche d’Estrosi, en passant par Daniel Cohn Bendit. Le seul souci de Macron est de maintenir l’artifice qui le propulse en tête des sondages, de ne pas dissiper l’ambiguïté qui le constitue afin que son fragile électorat ne se délite pas. D’où, lors de son premier débat, l’approbation bruyante qu’il a manifestée plusieurs fois à Fillon : c’était se poser en économiste sérieux pour lui manger toute l’aile centriste. Et le relatif silence qu’il observe sur Hamon est, symétriquement, un stratagème pour attaquer celui-ci sur son aile droite. Une manière de ne pas effaroucher le vote socialiste sans revendiquer officiellement le soutien de François Hollande, ce qui serait contreproductif et prêterait le flanc à l’ironie de Fillon sur « François Macron et Emmanuel Hollande ».
 

Débat interne chez Le Pen : qui embrasser, qui étouffer ?

 
Or Macron, comme Fillon, comme Mélenchon, et même comme Hamon, entend se poser comme le candidat du renouvellement, un candidat antisystème, ce qui est piquant, car ce sont tous de vieux chevaux de retour, quel que soit leur âge, du système. A vrai dire, même Marine Le Pen, dont le rôle est objectivement, dans la distribution politique française, d’être le candidat antisystème, n’est pas vraiment le perdreau de l’année. Et elle a mis tant d’eau dans le vin du programme FN qu’elle ne pourrait plus prétendre à cette position traditionnelle si elle n’affichait quand même des convictions anti mondialistes et anti-immigration à peu près claires.
 
Ainsi placée, elle ne peut pas embrasser des rivaux qu’elle doit à son image de pourfendre. Mais on l’a vue rire lors du premier débat aux saillies d’un Mélenchon, et elle a laissé publier depuis une liste de 19 personnalités de la droite comme il faut dont elle ferait volontiers des ralliés. Mélenchon et Fillon la cajolent pour mieux l’étouffer, elle se résout à les embrasser pour mieux les grignoter.
 

Stratégie et bouillon d’onze heures

 
A ce jeu-là, on verra bien qui gagne. Un débat à cinq était déjà d’un ennui faramineux et ne permettait pas de discuter vraiment ; à onze, ce sera pire. Mais tout peut arriver. N’importe quel accident. Et les médias ont tout loisir de le grossir. Le bouillon d’onze heures n’endort pas seulement, il peut tuer. La face de la campagne, et de la présidentielle, peuvent s’en trouver changée. Ou bien rien. Le système mondialiste organise les choses pour que l’élection se joue sur un coup de dé. Au bout du compte, trois candidats sur quatre lui conviennent, Fillon, Macron et Mélenchon. Ses chances de perdre sont minimes.
 

Pauline Mille

 

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Néron regardant mourir Britannicus (gravure)