Démission de Fra Matthew Festing de l’Ordre de Malte : beaucoup de mystères irrésolus

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L’affaire de la démission du Grand maître de l’ordre de Malte, Fra Matthew Festing, fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours et provoque de nombreuses tentatives d’explications. Entre ceux qui mettent en avant son rôle dans la mise à l’écart d’Albrecht von Boeselager, qui a permis la distribution de préservatifs et de contraceptifs sous l’égide de l’Ordre de Malte dans plusieurs pays, ceux qui voient un bras de fer entre le pape et le cardinal Raymond Burke qui en est le cardinal patron, et ceux qui évoquent des scandales financiers et luttes de pouvoir, on aura tout vu. En réalité, beaucoup de mystères restent irrésolus.
 
Certains faits sont incontestables. L’Allemand Albrecht von Boeselager a été sommé de démissionner par Festing à propos du scandale des contraceptifs. Devant son refus répété – malgré son vœu d’obéissance – il a été débarqué. On dit qu’il a affirmé, pour sa défense, avoir mis fin à la distribution de plusieurs centaines de milliers de préservatifs, mais aussi de contraceptifs oraux, dès qu’il en a eu connaissance, ce qui est démenti par des données vérifiables. L’Institut Lépante aux États-Unis a détaillé la liste des rapports officiels tant des services d’aide au développement américain que de l’OMS et d’autres ONG attestant ces activités, qui conditionnaient d’ailleurs le partenariat de l’Ordre de Malte avec ces institutions à l’époque où l’Allemand Boeselager était à la tête de Malteser International.
 

Des explications à tiroirs de la démission de Fra Matthew Festing

 
Les résultats de cette enquête avaient déjà été transmis à l’ordre de Malte avant d’être désormais publics par volonté de l’institut Lépante.
 
Edward Pentin, le vaticaniste bien informé et respecté du National Catholic Register, affirme pour sa part que le cardinal Burke dispose d’une lettre signée par le pape François lui demandant d’agir dans l’affaire Boetelager, alors que des « francs-maçons » seraient à l’œuvre au sein de l’ordre de Malte.
 
Le Britannique Festing, qui a fait vœu d’obéissance, de pauvreté et de chasteté – une condition pour prendre la tête de l’Ordre souverain de Malte – a une réputation de conservateur et il a agi face au Grand chancelier Boeselager avec fermeté.
 
Selon le vaticaniste britannique Austin Ivereigh, il s’agirait même de la lutte d’une « clique traditionaliste » contre ceux qui veulent résister au vent de renouveau qui souffle dans le Vatican.
 
Comment concilier la lettre du pape, apparemment remise ou du moins signée lors de sa rencontre avec le cardinal Burke, et son attitude ultérieure ? C’est sans doute l’un des points les plus bizarres de cette affaire. Car, une fois le grand chancelier mis à l’écart, c’est semble-t-il après que ce dernier en eut appelé au pape François, qu’une commission composée de membres proches de l’Allemand a été mise en place par le Vatican pour vérifier les circonstances du débarquement, sans mission d’enquêter sur l’affaire des contraceptifs. Et ce au mépris du statut souverain de l’Ordre de Malte, dont les membres promettent obéissance à l’égard de leur Grand maître, élu à vie.
 

L’Ordre souverain de Malte annexé par le Vatican ?

 
Semble également acquis le fait que cette commission a rendu son rapport avant la date prévue du 31 janvier, et que c’est à la suite de cela que le pape François a eu mardi une discussion à huis clos avec Fra Matthew Festing qui s’est achevée par la « décision » de ce dernier de remettre sa démission – clairement à la demande du pape. Cette démission devra encore être proposée aux responsables de l’Ordre de Malte, provisoirement dirigée par son second, lors d’une réunion du Conseil souverain samedi, mais tout indique qu’elle sera acceptée. Son porte-parole a en tout cas indiqué qu’il était « improbable » qu’il en soit autrement.
 
A moins qu’il y ait une résistance, comme celle qui se manifesta vigoureusement et publiquement de la part de l’Ordre de Malte contre la commission vaticane qui n’a pas compétence pour intervenir dans ses affaires internes…
 
Selon certaines sources, et notamment l’agence Associated Press, le pape entend nommer un délégué pontifical à la tête de l’Ordre. Il s’agirait là d’une transgression caractérisée du droit international, puisque l’Ordre souverain de Malte a statut d’Etat, avec ses propres passeports et diplomates. Si le Vatican peut s’ingérer ainsi dans ses affaires internes administratives, il n’y a pas de raison que d’autres Etats ne s’ingèrent dans celle du Vatican. « Il s’agit d’une annexion de facto », note le professeur de droit canonique américain Kurt Martens.
 

Matthew Festing : membre d’une « clique traditionaliste » ?

 
En somme, si l’Ordre de Malte est tenu comme n’importe quelle institution catholique « d’obéir à l’Eglise en matière de foi, de morale et de discipline ecclésiastique », comme le rappelle le chevalier de Malte Raymond de Souza, celui-ci précise qu’il n’a pas à se soumettre à l’autorité d’un légat pontifical.
 
La rumeur qui circule aujourd’hui, diffusée par le vaticaniste du Tablet, Christopher Lamb, est que Albrecht von Boeselager a été ou va être ré-institué dans l’ordre en tant que Grand chancelier, toutes les décisions prises depuis le 5 décembre ayant été révoquées. Mais par qui ? Le pape lui-même ? Et alors de quel droit ?
 
L’affaire se complique encore par l’angle allemand. Aucun chevalier allemand ne fait partie de ceux qui peuvent prétendre aux positions de plus haute direction de l’Ordre, puisque celles-ci sont réservées à ceux qui font des vœux religieux et que les vocations en ce sens se sont taries en Allemagne.
 
Edward Pentin suggère de son côté que la controverse a pu être influencée par le fait que les chevaliers allemands souhaitaient reprendre la main sur l’Ordre de Malte, et que la plupart des cinq membres de la commission nommée par le Vatican pour vérifier les circonstances de la mise à l’écart de Boeselager avaient été impliqués avec lui dans la réception d’un don considérable d’un bienfaiteur vivant en France, soit un legs de 110 millions d’euros qui serait actuellement détenu par une fondation suisse. Le cardinal allemand Reinhard Marx a été nommé comme ayant poussé le pape à écarter Festing – pour mieux faire revenir Boeselager ?
 

Anne Dolhein