Il reste muet quand la Cour suprême US promeut l’avortement : qui est Donald Trump ?

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S’il est élu président, Donald Trump a promis de nommer un juge pro-vie à la Cour suprême US, mais il est resté muet quand celle-ci a cassé lundi une loi texane limitant l’avortement. Ce n’est pas son seul flou ou revirement Que veut-il vraiment, qui est-il, a-t-il des convictions, est-ce un pur démagogue ? Voici quelques éléments de réponse.
 
C’est la consternation dans l’aile conservatrice du parti républicain, chez les chrétiens et d’une manière générale chez les pro life US, tous ceux qui plaçaient un véritable espoir en Donald Trump depuis qu’il avait promis de nommer un juge pro-vie à la Cour suprême des Etats-Unis. Lundi, celle-ci a annulé par cinq voix contre trois le jugement d’une cour d’appel fédérale confirmant une loi texane de 2013 restreignant l’avortement. 2,5 millions d’avortements ont lieu chaque année dans des conditions morales particulièrement épouvantables puisqu’ils peuvent être pratiqués jusqu’au terme de la grossesse et dans des conditions médicales qui entraînent des complications non négligeables : la loi exigeait que les centres d’avortement se soumettent aux mêmes conditions de sécurité que les cliniques ordinaires et avait entraîné la fermeture de 13 établissements insalubres. Hillary Clinton s’est réjouie de la décision de la Cour suprême, mais Donald Trump est resté muet.
 

Pourquoi Donald Trump reste muet devant la Cour suprême

 
Il faut dire que la doctrine du candidat républicain en matière d’avortement ne semble pas bien fixée. Jusqu’en 2011, il était pour. En mars, lors de la primaire, soucieux de séduire l’électorat conservateur il affirmait à MSNBC que l’avortement devait être interdit et que les femmes qui transgresseraient l’interdiction devraient subir « une sorte de punition », avant de se rétracter quelques heures plus tard, estimant que c’étaient les médecins pratiquant l’avortement qui devaient être tenus pour légalement responsables, les femmes n’étant que des victimes. Et aujourd’hui, devant une décision plutôt extrémiste de la Cour suprême US (les attendus qualifient la loi texane de « fardeau injuste », estimant que les femmes ont un droit « constitutionnel » à avorter, ce qui n’est pourtant écrit nulle part dans la constitution américaine), il se tait.
 
Sans doute ce muet de l’avortement estime-t-il comme un Florian Philippot en France que les questions morales, dites sociétales, sont « clivantes », qu’une bonne partie de son électorat potentiel y est rétive, qu’il y a en somme à en parler plus de coups à prendre que de voix à gagner. On voit bien qu’il n’a pas de doctrine claire en la matière, et qu’il se laisse porter par le vent dominant : un vent de droite pour remporter la primaire, un vent du centre pour tenter d’être élu président.
 

L’avortement n’est pas sa seule volte-face

 
Le même louvoiement se perçoit sur d’autres sujets, que la presse américaine se fait un malin plaisir de relever. Et les conservateurs ne sont pas les plus ironiques : le Huffington Post et le New York Times ont la dent dure. Sur les revendications LGBT, la lecture du parcours de Donald Trump n’est pas aisée. Dès les années 2000, il affichait sa sympathie pour la communauté et pour ses « droits », applaudissant chaleureusement à l’union civile d’Elton John, ce qui n’est pas anodin en pays anglo-saxon marqué par la Bible. En même temps, il condamne le mariage gay, s’est opposé l’an dernier à la décision de la Cour suprême US le légalisant, et s’est engagé à l’annuler. En avril, il a réjoui les supporters des droits des gays dans une affaire de toilettes publiques en Caroline du Nord, défendant l’argument selon lequel les gens devaient pouvoir choisir les toilettes où ils se sentent bien. Quelques heures plus tard, là encore, il revenait sur la déclaration en disant que c’était à chaque Etat de légiférer comme il l’entend. Après le massacre d’Orlando, enfin, il a repris la terminologie des partisans américains du mariage gay en approuvant les homosexuels « d’aimer qui ils veulent et d’exprimer leur identité ».
 
Visiblement, il n’a mené nulle réflexion ni religieuse ni philosophique sur la question : la notion de péché, celle de déclin moral d’une société, ne lui sont pas venues à l’esprit. Il pense qu’on ne peut se battre sur tous les fronts, et que ce n’est pas la préoccupation première des électeurs US, ni la sienne propre. Et il a plutôt de la sympathie pour les homosexuels. Comme l’a noté le porte-parole d’un groupe gay, Gregory T. Angelo, « Donald Trump sera le plus gay-friendly des présidents américains. »
 

Torture US, musulmans, salaires : Donald Trump dit tout et son contraire

 
Cruelle, la presse américaine relève trois autres domaines où Donald Trump a multiplié les têtes à queue : la torture, l’interdiction du sol américain aux musulmans, et le salaire minimum. En novembre 2015, le candidat à la primaire jugeait « les salaires trop hauts » et incitait les Américains à « travailler dur » pour gagner plus. En mai au contraire, il se disait « ouvert » à l’augmentation des salaires, afin « d’avoir quelque chose qui vous permette de vivre », et se déclarant « très différent de la plupart des Républicains ».
 
Quant à la torture, il semblait en février y voir une réponse légitime au terrorisme de Daech, dont les atrocités étaient « quelque chose qu’on n’a pas vu depuis l’époque médiévale ». Et de déclarer : « Je légaliserai la torture par l’eau, et un tas de chose bien pires que la torture par l’eau ». Il ajoutait même un peu plus tard que « la torture marche » et qu’il fallait tuer les familles de terroristes. En mars, il reconnaissait que les lois et traités imposant des limites, il n’ordonnerait pas « aux militaires de violer ces lois ». Le lendemain, il promettait de changer ces mêmes lois interdisant la torture, « parce que nous jouons avec deux sortes de règles, les nôtres et les leurs ».
 

Quand Donald Trump se fait des nœuds avec les musulmans

 
Enfin, le projet d’interdire le sol US aux musulmans a subi lui aussi des fluctuations importantes. En septembre 2015, Donald Trump préconisait de laisser entrer des réfugiés syriens aux Etats-Unis, quel que soit le risque pour la sécurité du pays : « Quelque chose doit être fait, expliquait-il, c’est un problème humanitaire incroyable ». En décembre, après l’attaque islamique à San Bernardino en Californie, il proposait un test religieux et lisait un communiqué écrit : « Donald J. Trump appelle pour la fermeture complète de l’accès des musulmans aux Etats-Unis jusqu’à ce que les représentants de notre pays puissent se faire une idée complète de ce qui se passe. » Il ajoutait même le lendemain que les agents des douanes seraient habilités à demander aux arrivants s’ils étaient musulmans et qu’en cas de réponse positive ces derniers seraient refoulés. Mais en mai, choisi candidat, il qualifiait ce projet de simple idée. En juin, il changeait de critère, et le refoulement prenait un sens politique et géographique, non plus religieux. On devait l’appliquer « aux endroits du monde où il y a une source prouvée de terrorisme contre les Etats-Unis, l’Europe et nos alliés ».
 

Donald Trump ne hait ni l’Establishment ni la Cour suprême

 
Si l’on regarde les choses d’un peu plus haut, on s’aperçoit que l’approximation suivi de la contradiction sont la caractéristique de l’esprit de Donald Trump. Sur beaucoup de sujets, il n’est pas vraiment fixé. Ce n’est pas un doctrinaire, ni même un politique. Il navigue à vue, prend le vent, rectifie le cap en fonction du terrain qu’il découvre et de l’ampleur de ses bévues. Il n’a aucune notion de philosophie politique ni de dogmatique religieuse. C’est un bateleur avide d’honneurs, d’argent, de bruit. Il s’est plu à bousculer la apparatchiks du Grand Old Party : leur programme, c’est le parti, le sien, c’est lui-même. C’est lui même qu’il vend à l’Amérique. Il prend plaisir à faire trembler l’Establishment mais il en fait partie, il n’a aucune envie de bousculer la Cour suprême. Chacun se rappelle qu’il a financé les Clinton, félicité Obama et Hillary pour leur action. Quelques-uns commencent à relever qu’il a reçu le soutien surprenant de New Gringrich, le faiseur de présidents, qui fut membre du CFR, le Council for foreign relations, la société de pensée américaine où s’élabore le mondialisme depuis des décennies, et qu’il proclame son estime pour le président actuel du CFR, Richard Haas. Et seraient tentés de penser que Donald Trump est donc un démagogue sans convictions, que les mondialistes peuvent facilement instrumentaliser à leur profit. Si l’on voulait faire un mauvais jeu de mot sur l’animal mascotte du parti républicain, on dirait qu’un éléphant ça trumpe énormément.
 

Le maître de l’Empire US suivra ceux qu’il courtise

 
On peut essayer de nuancer ce portrait – la nuance vaudra d’ailleurs pour d’autres dirigeants populistes dont la doctrine n’est pas le fort, et qui déçoivent la part conservatrice de leur électorat, comme Marine Le Pen, Geert Wilders ou Nigel Farrage. On doit constater que Donald Trump est un homme d’affaire qui a fait fortune dans l’immobilier, dans l’immobilier américain, et qu’à ce titre il connaît bien l’économie américaine et en suit la santé pour ainsi dire au jour le jour. De cette manière il a l’oreille du peuple américain, il connaît sa mentalité, ses besoins et ses désirs. C’est en quelque sorte un super américain moyen : l’homme de la rue et lui sont le miroir l’un de l’autre, se regardent l’un dans l’autre, partageant quelques besoins et convictions fondamentales. Lesquels ? Ceux sur lesquelles il ne varie pas.
 
Il n’a pas varié sur trois sujets : la nécessité des frontières, la foutaise du réchauffement climatique, la nocivité des grands traités internationaux. Malgré son amitié pour les gens du CFR, la réalité économique lui a appris ces trois priorités, qu’il partage avec les Américains modestes, qui souffrent de la catastrophe frappant l’économie US. Sans doute, s’il est élu président, Donald Trump choisira-t-il pour stratégie immédiate de se limiter à ces trois domaines. Il sera incapable de concevoir qu’une société est un tout, et qu’à ne pas vouloir toucher aux questions dites sociétales, il ne saurait interdire le déclin de l’Empire US. Mais sa force, comme sa faiblesse, est d’être un démagogue, c’est-à-dire qu’il finira par se laisser conduire par ceux dont il recherche les suffrages. Peut-être le moment viendra-t-il où ce sera aux conservateurs qui ont une doctrine de le soustraire à l’influence des libéraux et mondialistes.
 

Pauline Mille