DRAME/DRAME SOCIAL Razzia ♥♥


 
Razzia est un intéressant film marocain, aux confins du drame et du drame social. Il propose, au travers de très nombreux personnages, une forme de fresque sur le Maroc d’aujourd’hui. Le film pourrait se rapprocher, par son ambition, d’une forme de documentaire sociologique. Mais réalisé sous forme de fiction, il parvient à ne jamais ennuyer et à toujours intéresser à ses personnages, comme échantillons choisis de la société marocaine qui possèdent une existences par eux-mêmes.
 
Razzia possède une quasi-unité de lieu. L’essentiel de l’action se déroule à Casablanca. Le grand port fondé par Lyautey est toujours la capitale économique, et, dans une certaine mesure, culturelle, du Maroc. Il concentre des populations très diverses, venues de l’ensemble du Maroc – y compris des montagnes reculées berbérophones – et présente absolument tous les milieux sociaux et types d’habitats. Il existe de fortes tensions sociales au Maroc, ponctuées par des émeutes violentes ; le gouvernement de Rabat possède un talent indiscutable pour les occulter sur le plan international, car elles pourraient effrayer touristes et investisseurs. Dévoilant donc ce qui est occulté, Razzia rappelle que le Maroc est peut-être au bord de la Révolution, et que l’on ne le sait pas.
 

Razzia peut passionner les curieux du Maroc

 
La population, dans tous les milieux sociaux, est partagée entre un modèle culturel dominant et officiel, celui de l’islam, assez rigoureux et arabophone, et une culture occidentale mondialisée, festive, matérialiste, anglophone et francophone. Parler une langue berbère, comme un tiers de la population marocaine, serait être un mauvais Marocain et un mauvais musulman. Cette vision s’est imposée dans les années 1980, comme il est rappelé dans un long prologue, durant lequel un instituteur bilingue se fait chasser de son poste dans les montagnes du Rif, car il parle aux enfants la langue qu’ils comprennent.
 
De très nombreux personnages, comme Salima, une femme malheureuse, incomprise de son époux, Hakim, un chanteur qui aimerait tant vivre de son art, une péripatéticienne, un vieil homme juif dont les amis meurent les uns après les autres, Inès, une adolescente de milieu riche qui parle arabe avec l’accent français !, se croisent à Casablanca. Casablanca est quasiment un personnage en soi, qui dialogue avec son double imaginaire, le film Casablanca, tourné en studio aux Etats-Unis, en dépit des nombreuses légendes locales. Leur point commun est de rencontrer à un moment ou un autre un restaurateur-traiteur juif, Joe, qui par son métier voit beaucoup de monde. La vision d’ensemble est pessimiste et dure. Elle pose la question de la légitimité des classes riches, coupées du peuple, et moralement corrompues. La charge, peut-être excessive, comporte certainement une part de vérité.
 
Destiné à un public adulte, interprété avec naturel et conviction, Razzia peut passionner les curieux du Maroc.
 

Hector JOVIEN