L’église du Saint-Esprit à Paris, perle de l’art chrétien du XXème siècle

L’église du Saint-Esprit à Paris, perle de l’art chrétien du XXème

 
Le milieu du mois d’août peut être l’occasion pour le Parisien ou le touriste visitant Paris de découvrir un patrimoine architectural et religieux méconnu pour y admirer, y méditer, y prier. C’est le cas de l’église du Saint-Esprit dans le douzième arrondissement, une petite perle qui prouve que l’art chrétien était encore bien vivace en France dans le premier XXème siècle, avant la seconde guerre mondiale et la catastrophe conciliaire.
 

Les touristes du monde entier connaissent et visitent Notre-Dame de Paris, la Sainte-Chapelle, proche, chefs d’œuvre de l’art gothique. Le curieux des immenses richesses de Paris s’intéresse aussi à Saint Gervais Saint Protais, gothique tardive, Saint Etienne du Mont, renaissante, Saint Roch, classique, la Madeleine, néoclassique, le Sacré-Cœur, composite néobyzantin, et c’est souvent à peu près tout – à part les lecteurs de Dan Brown qui ajoutent Saint Sulpice à la liste. Des érudits, déjà, s’intéressent aux églises du temps de Napoléon III, dont Saint Augustin, avec son architecture intérieure métallique, mais pratiquement tous ignorent les édifices du XXème siècle. La chose est dommage, car il existe deux XXème siècle : l’un avant 1940, qui produit des édifices souvent intéressants et absolument méconnus, l’autre après 1945 qui se vide volontairement de tout souci esthétique et aboutit à des constructions absurdes qui ne ressemblent plus à des églises, comme Notre Dame de l’Arche d’Alliance dans le XVème arrondissement, gros cube entouré de piquants métalliques. Le premier XXème siècle comprend donc, dans beaucoup de quartiers de Paris, des édifices majeurs qui montrent la vivacité de l’art chrétien, comme Saint Odile dans le XVIIème arrondissement, Saint Pierre de Chaillot dans le VIIIème, le Saint-Esprit dans le XIIème.
 

L’Eglise du Saint-Esprit écartée par les « laïques »

 
L’église du Saint-Esprit, qui possède sa beauté particulière, reconnue par l’inscription aux monuments historiques en 1979, reste une des plus ignorées, étant située dans un environnement peu flatteur, il faut bien le reconnaître. En outre, elle est éloignée d’un hectomètre de ce qui aurait dû être son emplacement dans un Etat chrétien. Jusqu’au Second Empire inclus, les édifices catholique d’importance dominent les places parisiennes, qu’ils y soient intégrés dès l’origine dans le projet d’aménagement, comme Saint Pierre de Montrouge, ou dégagés à posteriori, suivant l’exemple le plus célèbre et abouti de Notre Dame de Paris. L’église du Saint-Esprit, elle, est distante d’une centaine de mètres de la place Félix Eboué (Place Daumesnil jusqu’en 1947), rejetée loin du centre qu’elle aurait du occuper par la rupture laïque imposée par la IIIème République après 1905. Elle se dresse donc sur une parcelle relativement étroite de l’avenue Daumesnil, avec une façade au nord entre deux immeubles d’habitation. L’environnement esthétique est dégradé à l’ouest et au sud par la construction récente d’immeubles laids, ou même de barres d’HLM de l’autre côté de la rue Claude Decaen, en face de l’abside de l’église. Mais une fois extraite de cette malheureuse gangue, elle offre des trésors au connaisseur.
 

Bâtir une église au vingtième siècle : les chantiers du cardinal

 
Dans un quartier de Paris qui se densifiait depuis les années 1860, l’urgence de bâtir une nouvelle église s’est imposée dans les années 1920, en même temps que l’érection d’une nouvelle paroisse. Jusqu’en 1932, le territoire de celle-ci dépendait de Notre-Dame de Bercy, au sud des voies ferrées conduisant à la Gare de Lyon – la grande coupure physique du XIIème arrondissement. Notre Dame de Bercy était une église néoclassique tardive de 1873. Sans intérêt architectural, elle abrite de beaux tableaux religieux des XVIIème et XVIIIème siècles – dont des œuvres de Jacques Stella et Daniel Hallé.
 
Le terrain de la future église du Saint-Esprit fut acheté en 1927 par l’Archevêché, sous la direction du cardinal Dubois à l’époque, et son auxiliaire Mgr Crépin. La crypte fut inaugurée dès l’Ascension 1929. Elle fonctionna en chapelle de secours en attendant que l’église supérieure s’édifie. Par manque de subsides les travaux n’avancèrent que lentement. A la mort du cardinal Dubois fin 1929, celui-ci fut remplacé par Mgr Verdier, qui plaça cet ouvrage dans le cadre des Chantiers du cardinal en 1932. Il venait de fonder ces Chantiers du cardinal [Verdier] en 1931 pour construire des églises dans les quartiers populaires de Paris et l’immense banlieue, dans l’optique « d’évangéliser la classe ouvrière ». Et pour donner du travail aux ouvriers menacés par le chômage à cause de la Crise de 1929. En 75 ans, plus de 300 églises, chapelles, ou bâtiments paroissiaux, dont 100 directement grâce au cardinal Verdier, furent édifiés.
Dans une république française plutôt anticléricale, cette œuvre repose sur la générosité des fidèles catholiques, d’où parfois des difficultés et lenteurs dans les chantiers. Du temps du cardinal Verdier, les églises ressemblaient encore à des églises, tout en tolérant parfois une énorme sobriété du fait des limites financières ou des emprunts à l’architecture des années 1930. Aujourd’hui hélas, les Chantiers du cardinal tendent vers l’incompréhensible, le geste architectural gratuit dont le sens catholique, s’il existe, est indéchiffrable, comme la nouvelle cathédrale de Créteil, coque de noix dressée légèrement ouverte et dissymétrique.
 

Une réussite traditionnelle de l’art chrétien

 
L’art chrétien qui inspire l’église du Saint-Esprit se manifeste immédiatement dans la combinaison des façades, rappelant, sans lourd pastiche, la plus grande période de la Chrétienté en Occident, le XIIIème siècle gothique, tandis que l’intérieur renvoie surtout à la plus grande période de celle de l’Orient, Constantinople au VIème, et singulièrement Sainte-Sophie, plus grande et belle église du monde jusqu’à la Saint Pierre de Rome renaissante (XVIème et XVIIème siècles).
La façade, étroite, est marquée par le clocher dressé assez haut, qui par sa verticalité distingue l’église des bâtiments voisins. Il est visible de l’esplanade de la Grande Bibliothèque Mitterrand, un des meilleurs points de vue sur le XIIème arrondissement – depuis le XIIIème. Comme le clocher, une dentelle de briques rouges, marquée par des contreforts qui la ponctuent de verticales simples, rend le même hommage au gothique, tout en définissant comme un style propre des années 1930, géométrique, sur toutes les façades. Si le jugement de l’esthète chrétien peut ne pas être conquis par cet extérieur, il n’en est pas de même de l’intérieur, où il se trouve pris d’entrée dans un cheminement intéressant à travers le clocher puis un narthex orthogonal ouvert sur l’extérieur. Ce décamètre de progression permet une transition pas trop brutale entre le monde profane et le religieux, particulièrement précieux en notre époque de bruits et de distractions qui affecte même les fidèles les plus avides de recueillement.
 

La Sixtine de Paris

 
Ensuite, c’est l’éblouissement, qui vient d’abord de la structuration simple de l’espace, hommage au meilleur de Byzance, ordonné par l’architecte Paul Tournon, dont cette église constitue le chef-d’œuvre. Puis le regard se dirige vers la courbe de la coupole et celle plus petite qui couvre le baldaquin, où le saisit l’éclat des fresques, particulièrement évident un jour de franc soleil, rare hélas à Paris. Plus avant, les fresques de l’abside, éclairées en permanence à l’électricité, prennent le relai, avec le thème de la Pentecôte, effusion du Saint Esprit, comportant une belle et émouvante Sainte Vierge. L’œil, habitué en quelques minutes à la semi-obscurité, découvre avec émerveillement les fresques qui couvrent les murs de béton, à droite comme à gauche de l’entrée. Ces fresques sont consacrées à l’Histoire catholique, et offrent suivant les plus anciennes traditions de l’art chrétien un beau livre d’image pour les enfants. Se distinguent particulièrement les évocations des Croisades, avec ses fiers chevaliers du Christ en armes, gloire chrétienne trop occultée de nos jours, sinon reniée par de multiples « repentances » unilatérales face à des musulmans qui ne regrettent aucune des brutalités anciennes de leurs coreligionnaires, et guère les actuelles. Suivent d’autres images grandioses. Sainte Jeanne d’Arc, qui prie, en armure. La Vision de la Comédie de Dante. Le Saint Concile de Trente. Le Saint Concile d’Ephèse. Ainsi l’église du Saint Esprit mérite-t-elle véritablement son surnom de Sixtine de Paris.
Les visiteurs férus de techniques d’architecture apprécieront l’utilisation du béton armé, pour les porteurs verticaux et surtout pour la coupole, qui culmine à 33 mètres, avec un diamètre de 22 mètres. Les fresques sont peintes directement sur le béton apparent, chose rare. C’est une technique simple qui rappelle les œuvres spontanées de militaires sur les murs des intérieurs des blockhaus des deux guerres mondiales. La coupole peut aussi s’apprécier de l’extérieur, au sud-est de l’église.
Les plus grands artistes du début du XXe siècle, notamment Maurice Denis, George Devallière, Untersteller, ont participé à la décoration intérieure, en particulier pour les nombreux bronzes décoratifs et le mobilier liturgique, dont le chemin de Croix. Cette participation fait de l’église du Saint-Esprit l’un des plus importants ensembles de l’art chrétien des années 1930, qui complète harmonieusement la visite des salles consacrées à cet art dans le Musée des Années 1930 à Boulogne, ou des grandes églises parisiennes de cette époque mentionnées en introduction.
 
Le promeneur à Paris peut intégrer la visite de l’église du Saint-Esprit dans la traversée ouest-est du XIIème arrondissement à travers la Promenade Plantée, qui passe légèrement au nord, au prix donc d’un très léger crochet.
 
Octave Thibault
 
Eglise du Saint-Esprit, 186 avenue Daumesnil, 75012 PARIS
 
Pour approfondir le sujet, on peut lire : Micheline Tissot, Byzance à Paris, l’église du Saint-Esprit, 28 Euros. Commandes au 01 43 07 66 58.