Les évêques des Philippines dénoncent Duterte et sa guerre injuste contre le trafic de drogues

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Le président philippin, Rodrigo Duterte, avec son chef de la police, Ronald dela Rosa, lors d’une conférence de presse à Manille, le 30 janvier 2017.

 
« Le trafic de drogues illégales doit être arrêté et vaincu. Mais la solution ne réside pas dans l’assassinat de ceux qui sont soupçonnés d’être toxicomanes et trafiquants » : c’est en ces termes que le président de la conférence épiscopale des Philippines, Mgr Socrates Villegas du diocèse de Lingayen-Dagupan, a dénoncé dans une lettre pastorale datée du 30 janvier dernier la guerre injuste du président Rodrigo Duterte : une guerre qui se fait en dehors du droit et des procédures normales, et qui a déjà donné lieu à plus de 6.000 morts violentes depuis qu’il est arrivé au pouvoir.
 
Pour les évêques des Philippines, il importe de rappeler qu’on ne peut utiliser le mal pour combattre le mal. La fin ne justifie pas les moyens, rappellent-ils encore. Ils ajoutent que leur propre silence serait coupable parce qu’il les rendrait complices de ce mal – pensée intéressante dont pourraient s’inspirer d’autres conférences épiscopales dans le monde, dans tous ces pays où le massacre des innocents se fait légalement par le biais de l’avortement.
 

Rodrigo Duterte fait la guerre au trafic de drogues

 
« Si nous devions tenir pour négligeables les toxicomanes et les trafiquants, c’est que nous ferions déjà au moins partiellement partie du problème de la drogue ; si nous acceptons ou que nous permettons l’assassinat de suspects, nous serons aussi responsables de leur mort », écrit l’archevêque de Lingayen-Dagupan.
 
Sa lettre a été lue à toutes les messes dominicales dimanche dernier, avec cet exergue, tiré du chapitre 33 d’Ezéchiel : « Je ne prends point plaisir à la mort du méchant, mais à ce que le méchant se détourne de sa voie et qu’il vive. »
 
La violente offensive de Rodrigo Duterte vise à mettre fin au trafic de stupéfiants aux Philippines. A cette fin il encourage ouvertement les assassinats par la police : depuis six mois, on compte 2.250 suspects de trafic tués par les forces de l’ordre ; 3.700 personnes supplémentaires, simplement suspects d’usage voire désignés comme tels par des tiers ont également perdu la vie, assassinées en dehors de toute procédure visant à établir leur éventuelle culpabilité.
 
Selon le responsable des affaires publiques de la conférence épiscopale des Philippines, Jerome Secillano, s’exprimant en janvier, de nombreux prêtres et évêques n’avaient pas jusqu’ici osé hausser la voix, paralysés par la peur. Aussi la lettre pastorale du président de la conférence épiscopale les appelle-t-il à dépasser cette peur : « Mettons en pratique non seulement notre force intérieure mais aussi celle qui vient de notre foi chrétienne ».
 

Les évêques des Philippines rappellent qu’on ne peut faire le mal pour combattre le mal

 
Les évêques évoquent carrément un « règne de la terreur » et accusent le manque de justice des exécutants de la politique du président, dénonçant l’indifférence devant des assassinats présentés comme « quelque chose de nécessaire ». Les assassins des narcotrafiquants « commettent eux aussi des péchés graves », ont-ils insisté.
 
La réponse de Rodrigo Duterte ne s’est pas fait attendre : il a invité les catholiques à le rejoindre en enfer si c’est cela qu’il faut pour combattre la drogue. Odieux chantage aux sentiments : « Vous catholiques, si vous croyez en vos prêtres et en vos évêques, restez avec eux. Si tu veux aller au ciel, alors reste avec. Maintenant, si tu veux en finir avec la drogue, j’irai en enfer, rejoins-moi »…
 

Rodrigo Duterte assume sa guerre injuste contre le trafic drogues et appelle les catholiques à le rejoindre en enfer

 
Ernesto Arbella, porte-parole du président, a quant à lui accusé la conférence des évêques de « ne pas être au contact des sentiments des fidèles qui soutiennent de manière extraordinaire les changements en cours aux Philippines » – il faut préciser qu’il s’agit d’un ex-pasteur d’une église évangélique protestante.
 
Les évêques, eux, plaident pour le respect de la présomption d’innocence et pour le recours aux moyens dont disposent la justice et les forces de l’ordre pour capturer, condamner et punir ceux qui sont coupables de crimes. Ils ont notamment promis de se tenir auprès des familles dont un membre aurait été assassiné dans le cadre du nettoyage actuel, et de participer aux efforts pour aider les toxicomanes à rompre avec la drogue, eux qui peuvent être aujourd’hui abattus pour simple usage de stupéfiants.
 
Cela fait des siècles que l’Eglise œuvre pour civiliser la justice des hommes ; un héritage à méditer.
 

Anne Dolhein