Vers l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du Front national ? Mais il y a Cotelec, et les finances du FN…

Vers l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du Front national ? Mais il y a Cotelec, et les finances du FN…
 
Il est devenu tellement encombrant, « le Vieux », aux yeux des jeunes loups qui accompagnent (en l’appelant ainsi) l’irrésistible ascension du Front national, qu’il faudrait lui montrer la porte de sortie. Jean-Marie Le Pen, président d’honneur, a décidé de ne pas se cantonner à cette fonction honorifique mais de s’exprimer sur nombre de sujets plus ou moins interdits. Ceux qui sont interdits dans la sphère publique – le délit de contestation de crimes contre l’humanité verrouillant l’expression de nombre d’opinions, fussent-elles fondamentalement hostiles à l’infernal régime nazi – et ceux qui n’ont pas, ou plutôt n’ont plus cours au FN. Jean-Marie Le Pen a répondu avec franchise sur ce qui l’unit et ce qui le sépare du parti aujourd’hui dirigé par sa fille, et qu’il compte bien représenter aux prochaines régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mais on ne compte plus à l’heure qu’il est les appels à son « exclusion » du FN.
 
Confusion. De communiqués en rumeurs, la nervosité parmi les dirigeants du Front national se manifeste depuis deux jours, à la suite de l’annonce des réponses faites par Jean-Marie Le Pen à une interview dans Rivarol qui l’interroge sur la nouvelle « affaire du détail », Pétain, la retraite à 60 ans, le chevènementisme d’où est issu l’actuel numéro deux du FN, Florian Philippot et les homosexuels nombreux dans le premier cercle de pouvoir du parti. Parfois il botte en touche, parfois il est plus direct dans sa prise de distance avec les choix de sa fille ou de l’entourage de cette dernière. En tout cas il s’exprime à sa manière ; il n’a pas changé.
 

Le Front national en ébullition après l’interview de Jean-Marie Le Pen

 
Sans évoquer l’exclusion de son père, Marine Le Pen a clairement annoncé mercredi qu’elle s’opposera, « lors du bureau politique du 17 avril qui doit investir les têtes de listes pour les élections régionales, à sa candidature en Provence-Alpes-Côte d’Azur », accusant Jean-Marie Le Pen de « prendre le Front national en otage » par des « provocations grossières ».
 
Cette distanciation de Marine Le Pen par rapport à son père est à double effet. Elle peut simultanément provoquer la colère, ou à tout le moins l’incompréhension des militants historiques du FN qui savent à quel point Jean-Marie Le Pen a su survivre à d’autres « affaires » finalement plus difficiles sur le plan médiatique – les médias n’allant pas prendre telle quelle la défense des positions de Marine Le Pen – et une « dédiabolisation » accrue du mouvement, facilitant au bout du compte la rupture du plafond de verre qui empêche aujourd’hui tout véritable espoir d’accéder au pouvoir. Car dans la configuration actuelle, le FN a besoin de la majorité de 50 % plus une voix au moins pour prétendre jouer un rôle de premier plan.
 

Philippot, Alliot, Collard et quelques autres réclament l’exclusion de Le Pen

 
C’est ce qui explique sans doute l’empressement de Nicolas Bay, de Florian Philippot, de Louis Aliot et quelques autres « jeunes », mais aussi d’« amis de trente ans » à réclamer la mise à la retraite du chef – pour ne pas dire sa mise au rebut. Il gêne… Et son départ ouvrirait, de l’avis de certains, un boulevard au FN : « Cette crise peut être positive. Il peut en sortir un bien, un plus », a déclaré Philippot sur BFM-TV mercredi.
 
La question de fond n’est justement pas celle qui est abordée. Elle concerne les fondamentaux du Front national, posés par Jean-Marie Le Pen et portés avec son talent de rassembleur qui a su concilier, ou du moins faire taire des divergences de point de vue tout en se moquant du regard des médias et de la pensée unique. Le FN de Marine est-il le même que celui de Jean-Marie ? Il suffit de comparer le programmes actuel à celui des années 1980 pour constater les profondes évolutions, qu’il s’agisse du regard sur l’immigration, des considérations sur les « valeurs républicaines » et la laïcité, ou encore des prises de position (ou de leur absence) sur des questions de société comme la liberté de l’enseignement, le respect de la vie, la famille, le mariage.
 
Dans certains cas, Jean-Marie Le Pen a accompagné le mouvement, dans d’autres, il s’en est désolidarisé. La dénonciation des oligarchies internationales reste à l’ordre du jour ; mais on est passé d’un programme de liberté économique à des choix étatistes, au nom d’un nationalisme de gauche, ou « social », qui explique combien le chevènementiste Philippot ou le franc-maçon Gilbert Collard au parcours politique multicolore peuvent s’y trouver à l’aise.
 

Le Front national a changé depuis Jean-Marie Le Pen

 
Il paraît acquis que sur ces points, le FN ne bougera pas. Les gages donnés au système par le choix de ne pas combattre la loi ni le « droit » à l’avortement, les affirmations laïques et républicaines lui ont largement ouvert les portes des médias, malgré les apparences contraires. Les places politiques sont plus difficiles à prendre : tout simplement parce qu’elles sont déjà occupées par des partis qui n’entendent pas les céder aux nouveaux venus. Mais le FN n’est pas interdit, loin s’en faut.
La nouveauté de ces derniers jours, c’est qu’à l’intérieur comme à l’extérieur du FN, on veut en quelque sorte « interdire » Le Pen, et la presse s’est précipitée pour annoncer la rupture comme consommée.
 
Sur ce plan, on peut émettre bien des doutes.
 
Calculs, finances, dividendes et implosion
 
D’un côté, il y a le calcul électoral auquel Marine Le Pen doit se livrer, avec ou sans l’aide de ceux qui rêvent du départ du père : faut-il limiter les dégâts du côté des militants historiques en acceptant une nouvelle diabolisation, ou parier que la désaffection des lepénistes de toujours sera compensée par les nouveaux arrivants que vise le FN actuel, plus orienté vers le gauchisme social et économique ?
 
Marine Le Pen sait que si elle a su rassembler plus de 6 millions de voix lors de la présidentielle de 2012 – un exploit qu’il faut lui reconnaître – son père n’était pas si loin des 5 millions en 2002. Et qu’elle profite sans doute davantage de la désastreuse situation économique et sociale actuelle que des retouches apportées au programme. Quoi qu’il en soit, « FN » et « Le Pen » restent des labels qui rapportent des dividendes sur la durée, et elle ne se départira jamais.
 
De l’autre, et c’est peut-être le plus important, l’exclusion de Jean-Marie Le Pen ne signerait pas seulement une crise politique au sein du Front national. Elle l’ébranlerait jusque dans ses fondations. Il a déclaré jeudi sur RTL, à propos de cette possible exclusion, et pourquoi pas une « démission » souhaitée par Florian Philippot : « Cela me paraît une idée tellement mirobolante qu’elle contient en elle-même le risque d’implosion du Front. »
 
Jean-Marie Le Pen parle du « prestige » qu’il « conserve assez naturellement au sein du Front national » pour annoncer des « remous considérables » que Marine « ne mesure sans doute pas ». On reste dans le domaine du poids moral – mais ce n’est pas le seul.
 

Les finances du FN, c’est Cotelec et Jean-Marie Le Pen

 
Quelle est la réelle liberté de manœuvre de Marine Le Pen par rapport à ce père qui a décidé de dire de manière frontale ce qu’il pensait du nouveau Front national – et qu’il ne s’était pas privé d’affirmer par petites touches, les jours où entre le père et la fille, le temps était aux bourrasques ? Bien menue…
 
Le Front national, désormais mastodonte de la politique française dont les subventions publiques se comptent en millions d’euros, a des besoins financiers sans cesse croissants. Sur ce plan-là, c’est Jean-Marie Le Pen, et non sa fille ni même l’appareil du parti qui a la haute main : c’est son micro-parti de financement, Cotelec, qui dispose des fonds les plus importants, c’est Cotelec qui a prêté au FN plus de 4 millions d’euros en 2013, moyennant 141.726 euros d’intérêts, selon la commission nationale des comptes de campagne, et c’est encore Cotelec qui a récemment décroché un prêt 9 millions d’euros auprès d’une banque russe à l’heure où les banques françaises refusent de financer le FN.
 
Bref, le payeur commande.
 
En l’occurrence, Jean-Marie Le Pen tient les cordons d’une bonne partie de la bourse – et l’objet de Cotelec n’est pas de soutenir le FN, mais de « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen ». Cotelec qui a changé de nom en 2006 pour s’appeler « Jean-Marie Le Pen – Cotelec ».
 
Si exclusion il doit y avoir, elle sera payée au prix fort.
 
Anne Dolhein