Exposition : Poussin et Dieu

 
Le Musée du Louvre consacre une exposition à un des artistes français majeurs du XVIIème siècle, considéré comme le maître par excellence du classicisme, Nicolas Poussin (1594-1665). Un des paradoxes connus est que Poussin a passé pratiquement toute sa carrière d’artiste à Rome, définissant son style particulier au milieu de l’apogée de l’art baroque en la Ville-Eternelle, à l’époque de ses contemporains Le Bernin (1598-1680) et Borromini (1599-1667). Cette exposition entend démonter un lieu commun fixé par une historiographie de l’Art orientée du XIXème siècle : Poussin aurait été un « philosophe » avant l’heure, annonçant le XVIIIème siècle, cultivant fondamentalement une esthétique néopaganisante.
 
L’exposition comporte pour une grosse moitié des œuvres majeures choisies parmi les tableaux célèbres présentés au Louvre. Facilité technique sûrement, mais qui n’ôte rien à la démarche de l’exposition, ni à sa pertinence.
 

L’interprétation erronée de Poussin philosophe néopaganiste

 
Quelle est l’origine de cette reconstruction finalement peu convaincante du travail de Poussin en « philosophe » néopaganiste ?
 
Elle procède de l’esprit de système de critiques du XIXème siècle, convaincus que les hommes qu’ils admiraient devaient plus ou moins penser comme eux. Confondre Poussin avec des voltairiens de 1840 ou 1880 n’est pourtant pas une démarche naturelle. Des arguments en ce sens ont été tirés de quelques citations souvent tronquées de Poussin, et d’une interprétation particulière de ses œuvres doublée d’un tri sévère et orienté dans ses toiles.
 
Poussin a beaucoup discuté avec les amateurs, voire les passants, durant sa vie à Rome. Il a écrit à ses amis. Une partie de sa correspondance a été conservée. Lit-on, même à mots couverts, la manifestation d’un scepticisme envers l’enseignement catholique d’un homme exerçant à Rome, la ville des Papes ? Non. Tout au plus rencontre-t-on une exigence de mesure, d’équilibre, manifestant son idéal classique. Le classicisme relève de la reconstruction a posteriori ; mais, si Poussin n’a jamais posé en chef d’école esthétique, il a effectivement travaillé à sa définition du Beau, que l’on peut nommer sans abus classicisme. Il faut être un anticlérical très convaincu pour y voir, via une opposition purement esthétique au baroque romain dominant, une résistance à l’Eglise.
 
On remarque dans sa correspondance, en lien avec ses tableaux, des admirations pour les philosophes antiques. Admirer Platon surtout, ou Aristote ou Diogène, ne se relève pourtant pas incompatible avec la foi chrétienne. Avant la Révélation ces penseurs, du moins les deux premiers, à leur manière, ont cherché Dieu. La démarche philosophique, dans ce qu’elle a d’honnête et de louable, peut s’approcher de comportements chrétiens. Ainsi le fameux Diogène brisant son écuelle n’est pas incompatible avec bien des règles monastiques strictes prônant le détachement total des biens de ce monde.
 

Diogène brisant son écuelle
Diogène brisant son écuelle

 

Parmi les tableaux les plus célèbres et les plus estimés, à juste titre selon nous, figurent Les Bergers d’Arcadie :
 

Les Bergers d’Arcadie
Les Bergers d’Arcadie

 
L’inscription déchiffrée par les bergers antiques, « Et in Arcadia ego », Et moi aussi (la Mor)t je suis en Arcadie, implique en effet une réflexion sur le caractère éphémère de la vie terrestre, même joyeuse en la riante Arcadie des Anciens. Au XIXème siècle, on a couramment voulu y voir un manifeste matérialiste : il n’y aurait que le tombeau après le décès, une décomposition du corps retournant à la nature, thèse qui serait renforcée par le cadre bucolique…Or ceci relève encore de la surinterprétation erronée. Nous mourrons tous un jour, et nos joies terrestres ne dureront pas : ce constat n’a rien d’incompatible avec une perspective chrétienne et peut être entendu comme un appel au repentir. Ce serait peut-être là une surinterprétation contraire, mais davantage soutenable dans le contexte de l’époque et de l’œuvre de Poussin qu’un improbable manifeste matérialiste.
 

Poussin, un peintre chrétien essentiel

 
L’exposition entend rappeler que Poussin a peint au moins autant, sinon davantage, de scènes explicitement chrétiennes, avec en particulier de nombreuses transpositions picturales de récits bibliques de l’Ancien comme du Nouveau Testament. En faire une simple démarche mercenaire, liée au contexte de l’époque, la véritable expression de la pensée se situant ailleurs, relève de l’explication un peu courte et ne tient pas.
 
Il est certes difficile de deviner la pensée profonde d’un artiste dans son Art. Font exception les blasphèmes francs et délibérés de l’Anti-Art contemporain, mais précisément ne s’agit-il plus d’Art. L’exposition s’avance certes un peu vite, en rappelant le nombre et le soin mis par Poussin dans ses compositions chrétiennes pour en faire la preuve d’une foi profonde. Seul Dieu connaît le secret des cœurs, mais il n’y a pas à douter de sa foi lorsque l’on complète le sérieux de son travail par ses échanges authentiques avec ses contemporains. Il s’agit d’une foi de son temps, marquée par l’angoisse certaine qui saisit tout croyant pour son salut éternel, à l’opposé de la joie démonstrative des nouvelles liturgies postérieures à Vatican II, mais correspondant à l’enseignement de l’Eglise à son époque.
 
Poussin a également réalisé des séries de tableaux illustrant les croyances spécifiquement catholiques, opposées à celles des Protestants, dont la série très célèbre à son époque des Sept Sacrements. Relevons en particulier l’Ordre et l’Eucharistie, niés par les Protestants.
 

Les Sept Sacrements, l’Ordre
Les Sept Sacrements : l’Ordre

 

Les Sept Sacrements, l’Eucharistie
Les Sept Sacrements : l’Eucharistie

Dans l’Eucharistie, soit la Cène, tous les personnages sont couchés à la romaine, comme ils l’ont très probablement été. Poussin possède un sens de l’Histoire qui inscrit pleinement le message du Christ dans le monde réel.
 
Parmi ses compositions bibliques les plus justement célèbres et intéressantes, figure le Christ et la Femme adultère. Outre la transcription très juste de récit de saint Jean, Poussin, possédant le souci du détail archéologique, propose dans le décor du fond une reconstitution de la Jérusalem monumentale reconstruite par Hérode le Grand, avec l’escalier d’accès à l’Esplanade du Temple :
 
Le Christ et la femme adultère
Le Christ et la femme adultère

Les « hommes sans péché » sont invités par le Christ à lapider la femme adultère ; aucun de l’étant, tous s’éloignent. Au second plan, une mère serrant contre elle son enfant explicite la leçon en représentant le message d’Amour du Christ.
 

Poussin et Dieu : une intéressante exposition à voir en famille

 
Poussin est indiscutablement un artiste majeur. De par ce fait-même, l’exposition doit être vue. L’on recommandera chaudement les horaires nocturnes, le mercredi et le vendredi après 18h, car il y a alors nettement moins de monde. Le plaisir de l’amateur peut sinon être gâché par les foules bruyantes.
 
Si la démonstration de la thèse centrale, un Poussin fondamentalement chrétien, peut sembler, au fil des explications écrites ou sonores des audioguides, parfois laborieuse, son sens général est juste. Il ne faut pas hésiter à laisser parler immédiatement sa sensibilité face aux œuvres qui prennent facilement leur dimension chrétienne déjà explicite.
 
La mise en images du message chrétien intéressera aussi les parents. Elles fournissent, conformément à leur but initial, de belles illustrations du catéchisme.
 

Octave Thibault

 

 

Poussin et Dieu, exposition au Musée du Louvre

 
Du 2 avril au 29 juin 2015
 
Lieu : Hall Napoléon, sous la pyramide
 
Tarifs sur place :
Billet spécifique aux expositions du Hall Napoléon : 13€.
Billet jumelé (collections permanentes et exposition) : 16€.
Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h. Nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h45.
 
Renseignements : 01 40 20 53 17