“Nous dirigeons-nous vers la fin de l’espèce humaine ?” Un ouvrage du docteur Jean-Pierre Dickès


 
La fin de l’espèce humaine, tel est le titre terrible, énoncé sur un mode sobre et affirmatif par le docteur Jean-Pierre Dickès. L’auteur est une personnalité catholique militante bien connue, auteur de nombreux ouvrages de référence. Il est donc sérieux, sait de quoi il parle, avec d’incontestables compétences en médecine et biologie, et l’esprit critique nécessaire face à certaines affirmations qui, nouveaux serpents de mer, réapparaissent, comme celle d’un supposé homme immortel.
 
L’auteur lit régulièrement la littérature spécialisée. Il se rend aussi souvent au cinéma, ce qui lui permet de trouver des comparaisons simples ou de nommer des objets théoriques bizarres. Par exemple, pour expliquer ce qu’est un cyborg, il nomme le fameux Terminator, et ainsi tout lecteur comprend. La science-fiction d’hier ou d’aujourd’hui anticipe parfois assez justement le monde de demain, ce qui n’a rien de réjouissant.
 
On pourrait discuter du mode affirmatif du titre, mais bien plus sur le plan technique que moral. Se dirige-t-on vers un progrès technologique continu dans les années et décennies à venir, en particulier en Europe et en Amérique du Nord : les vagues de submersion migratoire en cours pourraient les ramener au stade technique actuel du Guatemala ou du Mali, ce qui, faute de science, règlerait le problème de la science folle. Mieux vaut effectivement une science encadrée par des freins moraux clairs, mais c’est hélas le plus improbable.
 

Un pré-requis, la connaissance du catéchisme catholique

 
Le docteur Jean-Pierre Dickès allie compréhension technique certaine et morale catholique ferme. L’ouvrage se comprend parfaitement pour des catholiques possédant leur catéchisme. Or ce n’est plus si fréquent après des décennies de catéchèse décathéinée. Il se comprend donc pleinement pour le lecteur qui sait que l’avortement est un meurtre en toutes circonstances. De même, dans les PMA (Procréations Médicalement Assistées), les embryons produits en surnombre, et dont certains sont destinés à être détruits, sont des êtres humains déjà, pas des pièces biologiques, petits amas de quelques cellules que l’on pourrait démembrer suivant de prétendus intérêts de « recherche ». Peut-être aurait-il fallu rappeler ces points essentiels, pour éclairer le lecteur de bonne volonté, qui risque de ne pas comprendre ces condamnations catholiques essentielles et sous-entendues dans le raisonnement du docteur Dickès.
 

La question centrale de la définition de l’homme : le dangereux flou de notre époque

 
Qu’est-ce qu’un homme ? Ce qui devrait être évident ne l’est plus, du moins en Europe et en Amérique du Nord. Le titre du livre renvoie à l’espèce humaine, c’est-à-dire qu’il se situe dans une approche biologique. Elle n’est pas fausse : une espèce regroupe tous les individus aptes à concevoir une descendance elle-même fertile. Il n’y a actuellement qu’une seule espèce humaine, de l’Alaska au Congo. Il existe des différences culturelles fondamentales, mais il n’y a qu’un être humain. La reproduction passe par l’acte sexuel, qui ne peut exister pour le catholique que dans le cadre du mariage, ou à défaut de toute croyance religieuse, dans des unions naturelles les plus stables possibles. Un enfant doit grandir, sauf accident biologique, accompagné, éduqué par son père et sa mère. Un louveteau grandit avec ses deux parents. Ce n’est plus forcément le cas d’un petit homme.
 
Pire, au-delà du problème de la fragilité des couples et des familles, le « mariage » homosexuel, et de fait et bientôt en droit, la PMA-GPA –Procréation Médicalement Assistée – Gestation Pour Autrui –, ouvre des fictions non-permises par la nature comme les « familles » homosexuelles, ou célibataires. Demain, l’utérus artificiel permettra de se passer du recours à une mère porteuse, et de façon générale, beaucoup de féministes s’en réjouissent, pourra dispenser la femme de la nécessité de la grossesse pour accueillir un enfant.
 
Il y a des principes de morale catholique, ou de simple bon sens, qui répugnent à ces perspectives. Pourtant y aurait-il un problème sur le plan biologique ? Oui, car l’enfant doit bénéficier pour son bon équilibre psychologique d’une éducation dans un cadre familial stable. Des échanges hormonaux vitaux ont lieu avant comme après la naissance entre la mère et l’enfant. Les échanges prénataux ne peuvent pas avoir lieu dans l’utérus artificiel, qui risquerait de ne produire que des monstres ou des débiles, du moins suivant l’évolution prévisible des techniques.
 
Le besoin biologique d’affection a été parfaitement mesuré chez le rat, ou la poule, et serait donc non pertinent pour cet être tellement plus complexe qu’est l’homme ? Tout cela est aussi absurde que dangereux. Or, nous y sommes en partie, et ce sera pire demain. Sans qu’il y ait au sens strict une scission de l’espèce, une incapacité de reproduction entre les descendants de familles normales et ceux d’une ingénierie sociétale périlleuse, il est à craindre une humanité à deux vitesses, avec un net handicap pour ceux issus de la technologie et non de la nature.
 
Cette définition biologique de l’homme, de la nature bien comprise, pourrait être dépassée, non pas par des mœurs expérimentales, mais par la modification biologique de l’homme au sens le plus strict.
 

Les dangers des progrès technologiques, surtout mêlés à l’idéologie transhumaniste

 
L’homme est un être de chair. Il est défini par son patrimoine génétique, son ADN hérité de ses ancêtres. Cet ADN peut déjà être modifié, et le sera bien davantage demain ; en outre des implants technologiques de plus en plus importants risquent de transformer un être de chair en hybride d’être naturel et synthétique, un robot. Les précisions techniques nécessaires sont données dans le livre.
 
Ces thèmes sont certes anciens dans la littérature de science-fiction, existent sans aucun doute depuis les années 1930 ou 1950 au plus tard sous forme moderne… Mais ils remontent en fait à l’aube de l’humanité pour les êtres hybrides d’animaux et d’hommes, ou à l’Antiquité grecque pour les robots à forme humaine – réputés avoir été forgés par Héphaïstos, l’habile dieu-forgeron.
 
Ce qui change aujourd’hui est la quasi capacité actuelle de réalisation d’hommes génétiquement modifiés, d’hybrides de différentes espèces animales ou de robots. De même les robots vraiment intelligents seraient pour demain.
 
Ces éléments inquiétants sont expliqués par le docteur Dickès. Au départ, viennent souvent des progrès médicaux, des espoirs pour les malades, comme la thérapie génique pour traiter des gènes déficients responsables par exemple d’insuffisances respiratoires mortelles, ou des implants électroniques permettant à des aveugles de voir, des sourds d’entendre, des paralytiques de marcher… Ces réalisations sont encore limitées, ne concernent pas tous les malades même potentiellement concernés ; un ancien paralytique dépend d’implants cérébraux et d’un exosquelette assez lourd, et reste très en deçà de la capacité de marche naturelle de l’homme ; de même un ancien aveugle peut distinguer des formes en noir et blanc, éviter ainsi les collisions dans la rue, sans voir aussi bien qu’un homme qui n’a pas à subir ce handicap.
 
Mais rien n’empêchera le dérapage de soins médicaux légitimes vers une volonté indéfendable moralement de réaliser un surhomme. Ce surhomme est celui rêvé notamment par les transhumanistes, un courant idéologique athée, scientiste, qui aspire littéralement à forger un nouvel homme, hybride de diverses espèces et d’électronique, immortel… Ce courant a déjà été dénoncé régulièrement par le docteur Dickès, sur Réinformation.tv, etc. Il dispose de financements considérables, alimentés par de grandes entreprises de nouvelles technologies, tentaculaires, comme la plus connue d’entre elles : Google.
 
Sans arriver à un surhomme immortel, seront produits des séries d’hommes difformes, puis peut-être, à un prix très élevé, des « surhommes » plus forts ou potentiellement plus intelligents, par mutations biologiques ou implants cérébraux. Les implants cérébraux ajoutent le danger de piratage ou de contrôle par un tiers malveillant.
 
La piste des implants cérébraux mène à la crainte de contrôle totalitaire, qui serait infiniment plus facile avec des êtres humains connectés par de tels implants. Une intelligence centrale aurait accès à toutes les pensées, et les contrôlerait. Ces hommes ressembleraient plus à des ordinateurs connectés qu’à des hommes. Ils ne disposeraient plus en particulier de leur libre-arbitre. L’anarchisme affiché de ces transhumanistes conduirait bien plus logiquement à une dictature vraiment absolue qu’à une « libération » de l’homme. On croit voir poindre une volonté satanique derrière ces transhumanistes, comme le suggère, tout en s’en tenant à son sujet et à son approche technique doublée de sens moral, le docteur Dickès.
 
Nous nous permettrons seulement un léger doute sur l’avènement à court terme des robots intelligents, car des capacités de mémoires prodigieuses, des capacités aux choix logiques ne forment pas nécessairement une intelligence concurrente de l’homme, reposant largement sur la souplesse et l’imagination. Le triomphe récent sur l’homme au jeu de go semble marquer une rupture mais il est sans doute trop tôt encore porter un jugement définitif sur les possibilités du deep learning, la théorie qui l’a permise. D’autres techniques apparaîtront probablement, qui permettront d’atteindre de nouveaux résultats.
 

Un avenir inquiétant, un défi à la création

 
Le plus terrible est que nous savons à peu près où nous allons, ce monde de la Fin de l’espèce humaine. Les véritables hommes, physiquement, ou par leur libre-arbitre, devront vivre avec des cyborgs, des hybrides divers, dont l’appartenance au règne animal, humain, artificiel, sera le plus souvent peu évidente. Il y aura la question biologique de leur définition : lesquels appartiendront encore à l’espèce humaine ? Il y aura aussi des conséquences philosophiques et spirituelles essentielles. Qui serait capable ou non d’être baptisé ? Il faut être humain pour l’être. Ce qui est aujourd’hui évident ne le sera peut-être plus demain. Des théologiens médiévaux avaient toutefois prévus un baptême conditionnel pour des monstres, suivant les hypothèses du temps des acéphales ou des cynocéphales… La sagesse médiévale pourrait servir aux prêtres de demain. Mais nous ne souhaiterions pas être à leur place.
 
Enfin ce monde d’après l’homme, comme le veulent les transhumanistes, est voulu absolument sans Dieu. Le rejet de Dieu conduit à toutes ces monstruosités. Cette dérive, loin d’être accidentelle, paraît participer pleinement de la révolte satanique contre l’ordre de la création voulu par Dieu.
 

Octave Thibault

 

fin espèce humaine ouvrage docteur Jean Pierre Dickès
Jean-Pierre Dickès, La fin de l’espèce humaine, Editions de Chiré, 2015, 364 pages, 23 euros.