Le billet
Poutine vote-t-il Clinton ?
Le raffut des Anglo-Saxons autour du passage d’une flotte russe dans la Manche est dirigé contre Trump

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Les médias anglo-saxons et Obama font tout un raffut parce qu’une flotte russe de dix navires passe par la Manche pour gagner la Méditerranée. Or Trump affiche son admiration pour Poutine : en ancien du KGB, celui-ci instrumentaliserait-il le chauvinisme US au profit d’Hillary Clinton ? Poutine préférerait-il que le vote des Américains se porte sur elle ?
 
Ce serait la seule vraie surprise de l’élection présidentielle américaine. Depuis des mois, Donald Trump salue en Vladimir un véritable « homme d’État » dont il cherche en vain l’équivalent aux États-Unis, et de son côté, le président russe ne cache pas sa sympathie pour le candidat républicain, faisant dire par ses proches que son élection améliorerait les relations entre la Russie et les USA. Trump s’est donc durablement marqué pro-Poutine et pro-russe aux yeux de ses compatriotes, avec l’assentiment actif du maître du Kremlin. Or celui-ci est champion de judo, joueur d’échecs et ancien des services secrets, il n’ignore pas ce qu’est une combinaison un peu tordue : il peut faire des compliments à l’un pour que l’électeur vote pour l’autre.
 

Le raffut des Anglo-saxons contre une flotte russe dans la Manche

 
On peut donc se demander pourquoi il a choisi cet automne pour faire voler ses bombardiers du cercle polaire à l’Espagne, en frôlant les espaces aériens de la Norvège, la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne. Et pourquoi il envoie une flotte non négligeable, partie de Mourmansk et Cronstadt, gagner la Méditerranée en passant par la Manche et Gibraltar. Il était couru que les Anglais en feraient tout un raffut. Les amateurs d’histoire se rappellent le tintouin qu’avait fait le cabinet de Sa Majesté lors de l’incident du Dogger Bank en 1904, quand une flotte russe mal renseignée par des services déficients, avait canonné quelques barques de pêcheurs anglais.
 
La Navy n’est même plus l’ombre de l’ombre de ce qu’elle fut, mais l’orgueil britannique n’en est que plus chatouilleux. Les journaux anglo-saxons braillent comme un habitué de pub plongé dans l’eau glacée contre la « plus grande flotte russe déployée depuis la guerre froide » et parlent de « provocation » parce qu’elle emprunte « l’english channel », comme si la Manche étaient à eux et que la liberté de navigation n’existait que pour les Anglo-Saxons.
 

Avec qui Poutine est-il inamical ?

 
Des experts sollicités par les médias, dont un « diplomate de haut rang de l’Otan » qui préfère rester anonyme, jugent ce geste « inamical » et prévoient que « dans deux semaines, nous allons voir une augmentation de plus en plus forte des attaques aériennes contre Alep afin de parvenir à une victoire russe en Syrie. » Une phrase qui parle de stratégie mais renvoie discrètement à la « catastrophe humanitaire » qui y a censément lieu en ce moment pour suggérer un manquement constant des Russes aux droits de l’homme et à la décence internationale. Comme si le fait qu’une flotte russe entre en Méditerranée était plus choquant que la présence permanente de la sixième flotte américaine là-bas.
 

Poutine justifie un vote anti-Trump donc pro Clinton

 
Cette agitation verbale, bien qu’artificielle, émeut le populaire, déjà ébouriffé par la controverse sur le Brexit. Il reporte sur la Russie d’aujourd’hui la méfiance qu’engendrait l’Union soviétique, et cela donne du poids à certaines paroles de Barack Obama. Par exemple celles-ci : « La flatterie permanente de Trump pour Poutine, sa volonté de modeler ses politiques sur celles de Poutine sont en décalage non seulement avec ce que les Démocrates pensent, mais aussi avec tout ce que les Républicains pensent. »
 
Peut-on penser que le malin Vladimir Poutine n’ait pas prévu cela ? C’est bien difficile. Cela veut donc probablement dire qu’il a décidé d’apporter son aide à Hillary Clinton. Cela en dit long sur la politique réelle de celui en qui beaucoup d’hommes de bonne volonté voient à tort un champion de l’anti-mondialisme. Et cela ne va pas faciliter la tâche de Trump : la radio, la télévision, la presse, les artistes, le show-biz, les intellectuels, la haute finance, les démocrates, les Républicains, l’opinion et les institutions internationales sont déjà contre lui, voilà maintenant que Vladimir Poutine vote avec eux contre lui. Il n’est pas sorti de l’auberge.
 

Pauline Mille