De quoi la gauche est-elle malade ?

Gauche malade
 
La question m’a frappé, hier, au coin de la rue. Elle s’étale en une du prochain numéro de février de Philosophie magazine qui, sans état d’âme semble-t-il, s’interroge : « De quoi la gauche est-elle malade ? »
 
Sans état d’âme, dis-je. Parce que, à première vue, dans notre monde prétendument progressiste, l’idée-même d’une maladie de la gauche devrait être honteuse. Si on s’autorise donc désormais à poser, tout haut, ladite question, c’est que le mal est tel qu’il est désormais impossible de le dissimuler. Et, sans doute, que d’avoir refusé de le diagnostiquer plus tôt n’a fait que l’aggraver…
 
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. De Marianne à Atlantico, ils sont nombreux ces derniers mois, ces dernières années, à avoir annoncé la mort de la gauche. Sans – quasiment – ni fleurs, ni couronnes.
 

La gauche se porte mal

 
Est-il curieux que, parmi cette foule de pronostiqueurs, on trouve Manuel Valls, qui, à l’été 2014, alors qu’il vient d’arriver à Matignon, s’écrie : « La gauche peut mourir. » Déjà, le tout neuf premier ministre semblait donc se poser en rempart. En médicastre. Au point de parvenir, trente mois plus tard, à pousser François Hollande vers la sortie.
 
Las ! au moment même où la question philosophique me sautait au visage, Manuel Valls perdait la réponse politique, débarqué du second tour de la primaire de la gauche par Benoît Hamon.
 
Il convient donc d’admettre que, si tant est que, après des années de pouvoir, il était en mesure de la faire, Manuel Valls n’a pas su convaincre. Peut-être même, en réalité, n’avait-il pas de réponse…
 
Ce n’est peut-être pas, me direz-vous, la mort de la gauche. C’est, en tout cas, et à très court terme, celle du Parti socialiste, puisque, de Mélenchon à Macron en passant par Hamon, il n’y aura pas, lors de l’élection présidentielle, de candidat socialiste véritablement estampillé « PS ». Anciens socialistes peut-être, socialistes en rupture de ban, mais pas socialistes ayant leurs entrées, et leurs reconnaissances, rue de Solferino. J’imagine que, secrètement, l’ombre de François Mitterrand, qui avait déterré la rose à coups de francisque, doit s’en amuser !
 

La mort du PS

 
Il y a certes un plaisir certain à dire adieu au PS, et à ceux qui, en son nom, ont placé la France dans le triste état de décrépitude auquel nous assistons chaque jour davantage. Mais cela ne répond pas à la question : « De quoi la gauche est-elle malade ? »
 
« Au chevet de la gauche malade, tente de répondre l’équipe de Philosophie magazine, deux diagnostics contradictoires s’affrontent : la gauche souffre-t-elle d’avoir trahi la cause du peuple ? D’avoir choisi de défendre les désirs de la bourgeoisie bohème plutôt que la dignité des plus modestes ? Ou bien souffre-t-elle de ne pas avoir su adapter ses principes à la nouvelle donne de la liberté individuelle, de la révolution technologique ou des enjeux écologiques ? En somme : pas assez proche du peuple ou pas assez moderne, la gauche ? »
 
Il y a sans doute un peu de tout cela, mais ce ne sont, en définitive, que des épiphénomènes, et ces divers points ne sauraient suffire à répondre à la question.
 
Alexandre Lacroix semble en avoir, obscurément, conscience, qui, en invoquant les mânes, pourtant aujourd’hui bien négligées, et le diagnostique (déjà !) d’Albert Thibaudet, observe :
 
« Tout s’est passé comme si l’on avait laissé aux progressistes le soin d’entretenir la maison, tandis que les réactionnaires avaient loisir d’aménager le jardin. Petit à petit, la gauche est devenue gestionnaire, domestique, ennuyeuse, et tous les habitants du logis se sont surpris à avoir envie d’ouvrir les fenêtres, puis de sortir à l’air libre, de sentir à nouveau des odeurs de terre et de racines. »
 

Le seul malade qui compte : la France

 
Comment mieux dire que la gauche n’est pas réellement chez elle chez nous ? Comment mieux dire que la France, malgré les avatars que nous avons subis et subissons encore, n’a jamais été, et ne sera jamais de gauche ? D’une gauche qui lui est étrangère. Ce qui, on nous permettra de le préciser, n’est en rien un satisfecit donné à François Fillon, ou un blanc-seing accordé à Marine Le Pen, qui, malgré des accents qui peuvent parfois convaincre la foule, ont du mal à se départir d’idéologies peu propres à soigner le seul malade qui nous intéresse vraiment : notre pays.
 
Alors malade la gauche ? Certes. Morte ? Sans doute pas, le venin en est encore nocif. Mais qu’elle aille se faire soigner ailleurs…
 

Hubert Cordat