Malgré la censure, Google courtise la Chine avec la partie jouée par son logiciel d’intelligence artificielle, AlphaGo face à We Jei, champion de go

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Ke Jie, 19 ans, avait clamé l’an dernier qu’AlphaGo ne pourrait pas le battre.

 
Dans la grande tradition des réconciliations sino-américaines autour d’une compétition sportive, voici la version jeu de go pour raccommoder Google et le régime communiste. Le logiciel AlphaGo, système d’intelligence artificielle conçu pour jouer au go, a réussi mardi à vaincre Ke Jie, un jeune prodige chinois âgé de 19 ans, à Wuzhen. Le logiciel affrontera un autre champion chinois de premier rang durant les rencontres de cette semaine. Président d’Alphabet, la holding qui chapeaute Google, Eric Schmidt a rencontré une délégation de hauts fonctionnaires chinois, occasion rare de voir ensemble, dans le cadre d’un événement public de haut niveau, le numéro un de la recherche en ligne – qui vise à s’imposer dans l’intelligence artificielle – et les bureaucrates du régime communiste. Or depuis des années Alphabet, son moteur Google et ses différents services sont proscrits de l’Empire du Milieu.
 

AlphaGo bat We Jei, champion de go, grâce à l’intelligence artificielle

 
Comme il faut ménager les susceptibilités chinoises, Demis Hassabis, fondateur de DeepMind, filiale de Google qui a développé le logiciel, a souligné qu’AlphaGo a remporté ce premier match d’un demi-point, « la marge la plus faible » dans le cadre de ce jeu traditionnel chinois vieux de 25 siècles. AlphaGo avait vaincu le champion sud-coréen Lee Sedol l’an dernier, avant de perdre d’autres parties. Du coup le logiciel a été repensé. « C’est un joueur complètement différent, a témoigné Ke, pour la première fois, il ressemblait vraiment à un humain alors qu’avant il montrait quelques signes de faiblesse ». Le champion chinois ajoute : « Maintenant, je sens que sa compréhension du jeu et son appréhension de la partie vont au-delà de nos capacités ».
 
Le jeu de Go consiste à déplacer des jetons sur un réseau rectangulaire composé de 361 intersections pour s’approprier un territoire. Jusqu’ici, le go a résisté à la suprématie des ordinateurs qui avaient réussi à s’imposer face aux humains dans la plupart des autres jeux, en particulier les échecs avec la victoire de Deep Blue d’IBM sur le Russe Garry Kasparov en 1997.
 
L’architecture de l’AlphaGo a été entièrement repensée après une défaite – consécutive à une première victoire – face à Lee Sedol. L’un des autres avantages du logiciel, indiquent les joueurs qui l’ont affronté, est qu’il n’est soumis ni aux émotions ni à la fatigue, « donnes critiques dans ce jeu à forte intensité mentale ».
 

Google se moque désormais de la censure en Chine

 
Les dirigeants de Google entendent utiliser les avancées acquises dans le go pour des domaines tels que les assistants sur Smartphones ou la résolution de problèmes complexes dans le monde réel. Car la dimension ludique ne saurait dissimuler les intérêts commerciaux et stratégiques de la rencontre de Wuzhen. Google s’est retiré de la Chine en 2010, dénonçant la censure et les attaques informatiques. C’est, depuis, l’une des principales limites à sa domination mondiale dans les domaines de la recherche et de la vidéo. Les internautes, par faiblesse et panurgisme, privilégient son moteur alors que plusieurs autres existent, tels que Bing (Microsoft) ou Qwant (en France). Si Android, développé par Alphabet, est le système d’exploitation de mobiles le plus répandu en Chine, les autres services de la compagnie, tels que le moteur de recherche, Gmail, et la cartographie y sont bloqués.
 
Le milieu technologique estime qu’Alphabet pourrait revenir sur le plus vaste marché du monde, par le biais de partenariats avec les boutiques Android ou via les bases de données universitaires. Eric Schmidt a commenté la situation en ces termes à Wuzhen, devant un parterre de dignitaires et de patrons : « C’est un bonheur de revenir en Chine, pays que j’admire infiniment. Ce qui vous a été présenté (AlphaGo, NDLR) constitue une occasion exceptionnelle de changer le monde ». Le changement de discours est radical par rapport à 2010, quand Google ne supportait plus de devoir s’autocensurer et que le régime l’accusait de violer ses engagements. Le géant américain avait alors redirigé ses utilisateurs vers sa plate-forme de Hong Kong avant que Pékin ne bloque complètement son système, favorisant délibérément son concurrent local Baidu, qui s’est depuis imposé dans le pays. De la même façon, le régime interdit Facebook – malgré les ronds de jambes du désormais archi-sinophile Mark Zuckerberg – et Twitter, favorisant, dans un réflexe protectionniste flagrant, la croissance des chinois Tencent ou Alibaba.
 

En 2015 Google réinvestissait en Chine, en 2016 Sundar Pichai, son patron, courtisait ses développeurs

 
En 2015, Google avait lancé ses premiers investissements directs dans le pays depuis son retrait, soutenant le développeur chinois Mobvoi, spécialisé dans les montres connectées et les logiciels d’intelligence artificielle. En 2016 le patron de Google, Sundar Pichai, avait déclaré que sa compagnie entendait revenir en Chine et avait organisé des rencontres pour courtiser les développeurs locaux. La stratégie flatte aussi, toute honte bue, l’orgueil national. La rencontre de go à Wuzhen en fait partie : exciter la curiosité populaire puis montrer l’intérêt historique d’une technologie qui se mesure à un savoir-faire vieux de 25 siècles. Car derrière AlphaGo, c’est toute une compétence informatique prétendant résoudre des problèmes très pratiques, tels que ceux liés à la consommation d’énergie, qui est proposée aux Chinois. « Ce que Google et Alphabet ont présenté, c’est une série de projets permettant de faire avancer l’intelligence artificielle », a lancé Eric Schmidt pendant son allocution.
 

Matthieu Lenoir