Le gouvernement et la banque centrale de l’Inde à couteaux tirés à propos de la démonétisation

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Un Indien faisant la queue pour échanger son argent dans une banque, en novembre 2016

 
Le caractère très impopulaire de la démonétisation des grosses coupures en Inde a conduit à une nouvelle fracture entre le gouvernement de Narendra Modi et la Reserve Bank of India, la banque centrale de l’Inde. Habituellement mauvaises, les relations sont devenues exécrables, alors que la gestion de la mesure révèle le défaut de communication entre les deux instances, tout cela au détriment du citoyen indien ordinaire.
 
La banque centrale, ou RBI, accuse le gouvernement de prendre des décisions mal étudiées, nombreuses et éventuellement contradictoires, tandis que le gouvernement reproche à la Réserve fédérale de prendre trop de temps pour mettre en œuvre des décisions dont la rapidité et l’effet de surprise sont censés améliorer l’efficacité. Le but, rappelons-le, étant de porter un coup fatal à l’économie au noir et au blanchiment d’argent.
 

La banque centrale de l’Inde aux prises avec la démonétisation

 
Le ministère des finances a ainsi pris le 20 décembre la décision d’imposer des conditions pour le dépôt de vieilles coupures démonétisées de plus de 5.000 roupies. Une notification « mal rédigée », notamment en ce qui concerne l’obligation d’apporter une explication du retard pris à déposer des coupures démonétisées. Dès le lendemain, une nouvelle notification apparaissait, retirant les limites préalablement imposées au volume des dépôts. La RBI en est meurtrie : les ordres contradictoires issus du gouvernement « ternissent son image », rapporte le Times of India citant des sources internes à la banque centrale.
 
Dans le même temps, le gouvernement subit la colère de la population. Il reproche à la banque centrale sa lenteur à mettre en place des règles claires : il lui aura fallu trois jours pour définir celles permettant aux familles chez qui devait être célébré un mariage pendant les mois de novembre et décembre de retirer 2,5 lakhs (unité de valeur de 100.000) de roupies en nouvelle monnaie. Les règles étaient tellement strictes et compliquées qu’il était presque impossible de retirer l’argent.
 
Ce fameux montant de 2,5 lakhs est également celui au-delà duquel on ne peut déposer de l’argent en liquide sur un compte sans subir un interrogatoire serré pour déterminer la provenance de l’argent, au risque de subir pénalités et amendes en cas d’explication insuffisante. Sur ce point-là, la banque centrale et le gouvernement semblent pour le coup être parfaitement d’accord.
 

Le gouvernement de l’Inde aux prises avec la réserve fédérale

 
Mais il y a d’autres points de contentieux. Le gouvernement reproche à la RBI d’avoir mal compté et même surévalué le nombre de vieux billets revenus dans le giron. Un recomptage a été demandé officiellement par le secrétaire aux affaires économiques, au grand dam de la banque centrale qui se sent désavouée.
 
Du côté de la banque centrale justement, ainsi que des banques généralistes impliquées dans l’opération, on vit mal le fait de devoir vérifier le respect des règles fiscales par les dépositaires. Ce n’est pas le travail de la banque, assurent des responsables, ou en tout cas pas le seul, et ils y passent un temps considérable qui empêche les affaires de progresser à un rythme normal.
 
Le gouvernement a également décidé de suspendre les commissions sur les transactions par carte bancaire jusqu’à la fin décembre pour faciliter les choses ; sans surprise, la banque centrale était opposée à cette mesure qui lui a néanmoins été imposée.
 
En définitive, selon le Wall Street Journal, la mesure adoptée le 8 novembre dernier, et qui affectait 85 % de la monnaie physique en circulation, aura pour effet de ralentir l’économie. Les pauvres et les classes moyennes souffrent toujours de la pénurie de nouvelles coupures. A la clef, de nombreuses pertes d’emplois, et l’impossibilité pour les tout petits entrepreneurs de conserver leur gagne-pain.
 

La démonétisation risque de ralentir la croissance en Inde

 
« A la place d’ouvertures d’usines ou de d’annonce de nouveaux investissements, les images qui racontent l’histoire économique de l’Inde d’aujourd’hui montre des files d’attente qui serpentent auprès des banques, des travailleurs en détresse qui reprennent la route de leur village d’origine, et des descentes fiscales chez des joailliers et autres officiels pris la main dans le sac avec des coupures illicites », affirme le quotidien new-yorkais.
 
Les règles contradictoires aggravent encore la situation et donnent à une bureaucratie tatillonne de nouveaux moyens de faire peser son pouvoir sur les gens ordinaires. La crédibilité de la banque centrale de Londres en a été atteinte sur le plan mondial, assure le journaliste, mais aussi celle de Narendra Modi, désormais détesté par l’opinion publique.
 
Le Wall Street Journal attribue l’erreur de jugement du premier ministre indien à sa propension à écouter des conseillers bizarres du mouvement nationaliste hindou auquel appartient son parti. « Les partisans les plus audibles de la démonétisation comprennent un gourou du yoga télégénique, un expert-comptable mieux connu pour la diffusion de la philosophie économique maison du « swadeshi », l’auto-suffisance, et une ONG qui veut voir la quasi-totalité des taxes remplacées par un prélèvement unique sur toutes les transactions bancaires », écrit le WSJ.
 
Mais c’est avant tout une mesure destinée à accroître la surveillance de l’Etat sur l’activité économique et à augmenter le volume des rentrées fiscales. On peut se moquer de l’Inde, mais dans un pays comme la France, la limite sévère sur les transactions en liquide, qui ne doivent pas dépasser les 1.000 euros, participe du même esprit, exactement.
 

Anne Dolhein