L’ancien protestant Jan Fleischhauer rejoint le catholique Matthias Mattusek : les deux journalistes s’alarment de la dérive relativiste du pape François

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Jan Fleischhauer

 
La critique est d’autant plus intéressante qu’elle provient d’un non catholique allemand. Jan Fleischhauer, éditorialiste au Spiegel, magazine de centre-gauche basé à Hambourg, dresse un bilan inquiétant des quatre années du pontificat de François. Fleischhauer, ancien membre d’une Eglise évangélique (protestantisme historique en Allemagne) s’était fait connaître en 2009 pour un ouvrage décrivant son itinéraire personnel, de la gauche vers un positionnement plus conservateur. Ce 17 avril, il a publié dans le Spiegel un éditorial qui rejoint le point de vue décapant d’un autre journaliste allemand, Matthias Matussek, catholique et éditorialiste pour les grands hebdomadaires libéraux et conservateurs Die Weltwoche (Zurich) et Focus (Munich), lequel gratifiait le pape de trois qualificatifs : « hasardeux, séducteur et démagogue ». Fleischhauer écrit dans un organe réputé laïque ou proche de l’esprit protestant libéral – ce qui rend cette convergence d’autant plus édifiante – sous le titre « Auto-sécularisation : un pape-spontanéiste » (« Selbstsäkularisierung : Der Sponti-Papst »), suivi du sous-titre : « Parmi les opposants à l’Eglise, le pape François est très apprécié en raison de sa soumission à l’esprit du temps. Malheureusement, il répète en cela les erreurs que les Eglises évangéliques ont déjà commises ».
 

Pour Jan Fleischhauer, l’Eglise du pape François répète les erreurs du protestantisme, « une cause perdue »

 
D’entrée Fleischhauer, qui a quitté le protestantisme historique allemand précisément pour sa soumission à l’esprit mondain, nous prévient en s’excusant : « La seule Eglise qu’on puisse considérer comme fiable est l’Eglise catholique. Je sais à quel point cette affirmation peut choquer de nombreux lecteurs, et je les prie de me pardonner d’écrire ces mots durant cette année Luther (500e anniversaire de la publication de ses 95 thèses) ». Manifestant désormais un grand respect pour la théologie catholique, il affirme que les critiques protestantes (sur la dévotion mariale, le culte des saints, la prêtrise, la liturgie) plaident in fine pour le catholicisme et que « tout ce qui est advenu après la fondation (de ce dernier) est, d’une certaine façon, une hérésie ». Pour lui, le protestantisme, parce qu’il refuse jusqu’au lien intime entre paradis et enfer, « devient une cause perdue ». C’est sur ce point-là que Fleischhauer estime que le pape François commet la même faute : « Si je ne me trompe, l’Eglise catholique répète en ce moment la même erreur que les protestants. L’homme qui est à sa tête manifeste un étrange dédain pour tout ce qui s’est consolidé graduellement, qui constitue une tradition enracinée, et il prend plaisir à surprendre les fidèles en leur jetant en pâture des extravagances et des plaisanteries. »
 

Pour Mattusek et Fleischhauer, le dogme « est un barrage contre le relativisme et l’esprit mondain »

 
Fleischhauer rejoint Matthias Matussek, dont il assimile la pensée à celle de Martin Mosebach, « autre grand catholique réactionnaire ». Il le félicite « de comprendre parfaitement l’importance du dogme, comme digue contre le relativisme et l’esprit mondain ». Dans son article du Spiegel, il estime « qu’on peut estimer que François pousse jusqu’à son terme le mouvement engagé par le concile Vatican II » : « La première atteinte à la liturgie date de la période 1962-1965, durant – ce n’est pas un hasard – la décennie du grand bond en avant des iconoclastes. » Des éléments importants de la liturgie millénaire ont alors été supprimés « sous le prétexte de s’adapter à l’esprit du temps ». « Les prêtres ne se tiennent plus devant l’autel mais derrière, comme des animateurs de magazines télévisés », constate-t-il tout en déplorant aussi l’abandon du latin, la « permission suspecte » de recevoir la communion dans la main, l’envoi des anciens autels à la décharge et la destruction des statues des saints. « Pour les incroyants, tout cela peut paraître négligeable mais à l’évidence ça ne l’est pas. Quiconque a assisté une fois à la messe tridentine comprend ce que l’Eglise a perdu pour avoir succombé au séisme de 1968 ».
 

La dérive relativiste de l’Eglise catholique conduit au protestantisme

 
Pour Fleischhauer, si l’Eglise catholique suit la voie tracée par les protestants, elle perdra des fidèles et réagira en accélérant sa soumission à l’esprit mondain, croyant à tort se rendre plus séduisante. Un cercle vicieux mortel. Car « si l’Eglise détruit ce qui la distingue de ces différentes offres séculières qui prétendent donner un sens à la vie, qu’est-ce qui justifiera alors son existence ? », argumente-t-il. C’est dans ce contexte qu’il voit dans la croissance de l’islam un phénomène qui remplit un vide et qui prétend répondre « à un besoin spirituel avec plus d’efficacité que son concurrent chrétien ».
 
Pour Maike Hickson, analyste du site catholique conservateur Onepeterfive.com, l’article de Fleischhauer constitue « un événement à la fois rassurant et alarmant » : « Il montre combien des éléments de vérité parviennent à émerger dans l’esprit de gens honnêtes. Nous avons vraisemblablement atteint un stade où l’homme moderne ne supporte plus ce relativisme envahissant et ses idéologies, car ils ne répondent en rien à la réalité. »
 

Matthieu Lenoir