Jimmy’s Hall, de Ken Loach : violente attaque contre l’Eglise catholique
Cinéma ♠

Jimmy's Hall

Le réalisateur prolifique britannique Ken Loach est publiquement engagé à l’extrême-gauche depuis des décennies. Que ce soit dans ses engagements publics au parti « RESPECT », à peu près l’équivalent du Front de Gauche, ou ou ses films. Son dernier opus, Jimmy’s Hall (la halle de Jimmy) est une violente attaque contre l’Eglise catholique. Par Octave Thibault.

Le réalisateur entend dénoncer les lendemains décevants, de son point de vue matérialiste, de l’indépendance irlandaise, péniblement obtenue en 1922, après plusieurs années de guerre (1916-1922) contre l’occupant multiséculaire britannique. Il a consacré à cette lutte un premier film, Le vent se lève (Palme d’Or 2006 à Cannes), centré sur la phase la plus intense de la lutte armée entre l’IRA et les forces loyales à Londres (1919-1921), puis sur la guerre civile qui suivit immédiatement entre anciens frères d’armes de l’IRA (1922-1923). Une entreprise gênante de la part d’un Britannique, qui faisait ainsi œuvre volontaire d’antipatriotisme, un peu comme nos marxistes en France célébrant le Vietminh et le FLN, qui avaient combattu la France.
 
Précisons que la vie politique irlandaise agitée des années 1920-1930 ne correspond en rien aux classifications traditionnelles en France, ou même en Grande-Bretagne. Les termes « gauche » et « droite » ne sont pas pertinents, et le maximaliste de Valera, exilé en 1923, au pouvoir dix ans plus tard, a pu être classé de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Pour saisir une réalité complexe, il convient de renoncer aux catégories toutes faites ; plaquer sur elle des critères trotskistes, opposer de gentils révolutionnaires à d’affreux fascistes, tient de l’absurde. Surtout quand les « fascistes » en question seraient de grands propriétaires terriens mélangés aux hommes d’Eglise, ce qui montre l’absurdité de l’extension à l’infini du mot fascisme. Rappelons que le Parti Fasciste de Mussolini était au pouvoir à cette époque en Italie.
 

Ken Loach réutilise sa grille d’analyse marxiste

« Jimmy’s Hall » constitue une forme de suite de Le Vent se lève, le point de vue du réalisateur sur la suite de l’Histoire irlandaise, avec toujours la même grille de lecture marxiste. Nos journalistes militants, à la pointe de la désinformation ordinaire, avaient pronostiqué à Cannes la palme d’or pour le film, ou du moins de nombreux prix. Il n’en a eu aucun, malgré sa conformité à la pensée dominante, parce qu’il ne pouvait prétendre y mériter sur le plan de l’Art.
 
Venons en à l’intrigue ou plutôt à la thèse. Dans la vision marxiste de Ken Loach, le peuple irlandais, prolétaire, a renversé la classe bourgeoise britannique le dominant depuis des siècles en 1922. Ensuite, l’Irlande serait devenue une théocratie, après la victoire des réalistes dans la guerre civile de 1922-23 sur les maximalistes qui préconisaient la guerre à outrance contre la Grande-Bretagne, jusqu’à la libération de Belfast.
 
Dans cette théocratie le pouvoir politique appartient au clergé catholique, étroitement allié à une oligarchie capitaliste de grands propriétaires terriens, grands dévots catholiques. En 1932, de retour d’exil, après sa participation à la guerre civile du côté des maximalistes en 1922-23, dans la campagne irlandaise profonde, James/Jimmy Gralton tente d’émanciper les consciences du catholicisme et les prolétaires du grand capital ; il échoue face à la coalition impitoyable du goupillon et de l’or.
 

Le jazz instrumentalisé contre l’Eglise catholique

Jimmy Gralton est inspiré d’un personnage historique, un des très rares marxistes de la révolution irlandaise, peut-être communiste – davantage anarchisant-trotskyste que stalinien. Jimmy Gralton mène un duel personnel avec le curé local, le Père Sheridan ; il veut développer un club de libre-pensée, une base syndicale, sinon un embryon de parti politique, en partant d’un dancing : c’est précisément ce que comprend, dénonce et combat le Père Sheridan. Celui-ci refuse tout compromis.
 
Ken Loach caricature à peine le prêtre, en tout cas il ne l’affuble de vices infâmes ; tout au plus apprécie-t-il le whisky, sans ivresse. De même, si Sheridan dénonce en chaire le rythme nocif du jazz, ses effets sur les jeunes filles aux bras nus jusqu’aux coudes voire aux épaules, choses scandaleuses pour l’époque, il ne se focalise pas là-dessus de manière hystérique. Le film est d’autant plus nocif qu’il ne se livre à nulle charge anticléricale grossière. Seule extravagance : pour achever le côté odieux de son personnage, Ken Loach montre Sheridan notant ostensiblement les noms de ses paroissiens qui fréquentent le Jimmy’s Hall, puis lisant la liste en chaire, devant tout le village à l’église le dimanche.
C’est impensable ; dénoncer un mauvais lieu, admonester sans citer de nom ceux le fréquentent, soit, mais pas au-delà. Cependant Ken Loach devait forcer le trait pour dénoncer une mythique théocratie irlandaise.
 
Un petit groupe dominant de riches Irlandais, capitalistes, ou précapitalistes (toujours la terminologie marxiste), financerait par ses dons l’Eglise, qui garantirait en retour l’ordre social inique, en menaçant des foudres de l’Enfer éternel les pauvres révoltés, combinant le chantage au salut éternel à d’autres moyens de pression immédiats et concrets, proposition ou refus d’emplois, menace de boycotts des magasins… Le Père Sheridan se montre particulièrement militant et odieux. Il figure une forme de mélange de l’inquisiteur médiéval et du gestapiste subtil – celui qui s’impose sans tabasser l’ennemi, et en emprisonnant peu. Le but est évidemment d’éveiller la haine du prêtre et de l’Eglise, à la fois pouvoir théocratique et garde-chiourme d’une oligarchie capitaliste.
 

Derrière la violente attaque, l’énorme mensonge

Il faudrait d’ailleurs choisir, c’est l’un ou l’autre, mais Ken Loach mélange les deux en insistant sur la supposée interpénétration des élites cléricales et d’argent. Les hommes de main des grands propriétaires se livrent à des intimidations, tirent, sans tuer personne, et mettent de nuit le feu au fameux Hall, le détruisant. Précisons tout de même que la répartition inique des terres fait suite aux confiscations de Cromwell au milieu du XVIIème siècle, qui confisqua les propriétés au profit d’une fine et terrible aristocratie protestante qui opprimait les masses catholiques.
 
Des réformes agraires significatives, certes insuffisantes, ont été menées depuis les années 1880 par Londres, puis dans les années 1920, par le nouvel Etat irlandais. Il y a décidément des négationnismes qui passent trop bien de nos jours. L’invention d’une classe de grands propriétaires catholiques, vivant en des châteaux, oppresseurs des masses irlandaises constitue plus qu’une manipulation, un énorme mensonge.
 
Le meilleur interprète, de loin, de ce film, est le « méchant », Jim Norton en Père Sheridan ; à l’inverse, le doux apôtre marxiste et libre-penseur est incarné par un bien fade Barry Ward, au point que le spectateur ne saisit pas la dimension charismatique du personnage, perçue par ses amis comme par ses ennemis (et par son ancienne fiancée depuis mariée à un autre et toujours amoureuse, d’où une charge secondaire contre le mariage, qui empêche les amants de se retrouver complètement).
 
On notera l’utilisation des images d’archives de l’époque, en particulier celles du congrès eucharistique de Dublin : il s’agit du 31ème congrès eucharistique international, présidé en 1932 par le cardinal Lauri, légat du pape, qui accueillit un million de participants, un bon cinquième de la population du pays. Sont reprises aussi les images de la réception du nonce, accueilli lui aussi par des foules considérables et enthousiastes.
 
Le commentaire déférent de l’époque est habilement conservé, que les militants laïcs du Jimmy’s Hall exagèrent à peine pour le dénoncer. Toute la force du mensonge réside dans cette légère exagération. Le discours franchement théocratique du Père Sheridan reprend à 90% celui du Christ Roi des Nations prononcé par Pie XI, en y ajoutant 10% d’extravagances, soit une aberration, mais qui paraît vraie aujourd’hui où la seule vérification à laquelle se livre le spectateur est celle des mots-clefs d’internet, au mieux.
 
L’athée Loach reprend la vieille attaque anglicane contre les papistes, qui remonte au XVIème siècle, en dénonçant une « théocratie pontificale ». Ainsi la reconnaissance par Rome de la souveraineté irlandaise, par l’envoi d’un nonce, est déformée pour laisser penser au spectateur ignorant que le Pape aurait nommé un gouverneur en Irlande.
 

Jimmy’s Hall : politiquement correct, artistiquement raté

Le film se termine lorsqu’une astuce juridique permet d’expulser Jimmy Gralton vers les Etats-Unis. Et le problème est réglé, de manière finalement non-sanglante. Ainsi le réalisateur diffuse-t-il habilement ses extravagances dans sa vision générale et à travers quelques scènes, mais s’en garde lorsqu’il s’agit des principaux faits de la vie de son modèle ; un martyr communiste fictif, a fortiori plusieurs, auraient pu être facilement dénoncés comme imaginaires. En évitant ce travers, il peut faussement présenter sa variation de la doxa marxiste, plaquée sans génie particulier ou vraisemblance sur l’Irlande, pour un quasi-documentaire.
 
Qu’il y ait eu des difficultés économiques et sociale terribles dans l’Irlande de 1932, dans le contexte de la Grande Dépression mondiale, la récession fermant la voie traditionnelle d’émigration vers les Etats-Unis, il n’y a pas à en douter. Elle n’est d’ailleurs pas filmée de manière réaliste, les enfants sont trop gras (c’est un problème commun dans cette génération de petits figurants), les costumes trop propres : même si l’on ne veut pas donner dans l’excès inverse des paysans hirsutes, édentés, galeux, du Nom de la rose, les images ne sont pas réalistes.
 
Même la famille très pauvre, expulsée par le grand propriétaire catholique, soutenue par le clergé, semble bien trop nourrie ; on se félicitera de cet affaiblissement du message par cette distraction de mise en scène. De même le jeu des acteurs principaux souffre-t-il d’un manque complet de crédibilité. Le spectacle est raté, voire ridicule, cela rend moins dangereux son esprit absolument détestable, ses mensonges et ses manipulations systématiques.
 
« Jimmy’s Hall » constitue une violente attaque contre l’Eglise catholique, il cherche à falsifier l’Histoire pour dissocier la catholicité du peuple irlandais, alors qu’ils sont consubstantiels depuis la fin de l’Antiquité. Il participe d’un mouvement actuel de déchristianisation significatif des anciennes terres les plus catholiques d’Europe, comme l’Irlande et la Pologne.