Juncker à Bratislava : quel avenir pour l’Union européenne ? Plan B ou plan B’ ?

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Réunis à Bratislava les dirigeants des 27 États membres de l’UE écouteront le président de la commission  européenne Jean-Claude Juncker prononcer son « discours sur l’état de l’Union » sur fond de crise . Quelle stratégie les élites choisiront-elles à l’avenir pour répondre à la colère des peuples  : un zeste d’Europe des nations, comme on le souhaite à l’Est, ou toujours plus d’union intégrée, comme le veut Bruxelles ?
 
Depuis la « crise des migrants » et le Brexit, les bouches s’ouvrent. Ce que les peuples d’Europe hurlaient en sourdine depuis longtemps, plusieurs dirigeants de pays membres de l’Union européenne osent désormais le dire. A l’Est en particulier. Le hongrois Viktor Orban, mais aussi les Slovaques, les Slovènes, les Croates, osent refuser les quotas de migrants que la Commission européenne et Angela Merkel prétendaient imposer. Et cette semaine, le premier ministre de Pologne, Beata Szydlo, recevant le « président » européen Donald Tusk, a demandé que l’Union européenne procède à de « profondes réformes ». Elle a insisté lourdement : « L’Union européenne doit changer. Nous devons la réformer. »
 

Avant Bratislava, l’Union européenne menace l’Est

 
La réponse de Donald Tusk, qu’on ne savait pas si cynique, constitue à la fois une fin de non recevoir et un chantage. Alors qu’il effectuait un tour d’Europe diplomatique pour chercher un consensus de l’Union européenne sur son avenir après le choc du Brexit et avant la réunion de Bratislava, il a mis en garde la Pologne contre la tentation « d’ébranler la barque européenne » et de vouloir changer à tout prix des traités qui ont permis à la Pologne de recevoir des « milliards d’aide » et à des millions de travailleurs polonais de trouver un emploi dans la prospère Europe du Nord. Si Beata Szydlo n’avait pas compris la menace, il a expliqué : « Des modifications des traités européens ne profiteront pas nécessairement à la Pologne. Si je devais parier, je dirais que toute idée déstabilisante, révolutionnaire, pourrait au contraire blesser la Pologne. » A bon entendeur, salut : l’Union européenne fut pour vous une manne et un rempart à la fois contre le populisme et la Russie, si vous n’en voulez plus, ne vous plaignez pas à l’avenir.
 

Un Luxembourgeois fixe la règle de l’avenir

 
Il semble que beaucoup d’Eurocrates soient sur cette ligne dure pour préserver l’avenir et opposent leur exigence d’Union européenne toujours plus intégrée aux revendications nationales de l’Est. Ainsi le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a-t-il proposé d’exclure la Hongrie de l’Union européenne pour manquement aux « valeurs de base » de l’Union, dans une interview au quotidien allemandDie Welt : « Quiconque, comme la Hongrie, construit des barrières contre les réfugiés de guerre et lèse la liberté de la presse et l’indépendance de la justice devrait être exclu de l’Union européenne temporairement, et, si c’est nécessaire, définitivement. »
 
Comme quoi, dans l’Europe de Bruxelles, c’est aux petits pays qu’il revient de rappeler les grands principes. Naturellement, l’homologue Hongrois Asselborn, Peter Szijarto, n’a pas manqué de le relever, jugeant Asselborn « condescendant, prétentieux et frustré », tout en l’accusant de « travailler sans répit à démolir la sécurité européenne et la culture ».
 

Le plan B de Juncker c’est le plan A

 
Les premiers ministres de l’Allemagne, de la Lettonie et de la Lituanie se sont interposé pour calmer les deux coqs. Le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier a déclaré qu’il comprenait « l’impatience » de l’Union européenne tout en estimant qu’il ne servait à rien de « montrer la porte à un État membre ». Au fond, cette comédie diplomatique traduit plus un débat de forme que de fond. Devant les échecs répétés de l’union construite par Bruxelles, il y a le réflexe des Eurocrates centralistes que représente aujourd’hui à la perfection Jean-Claude Juncker : dans un premier temps, leur seul plan B consiste à répéter le plan A avec d’infimes changement (exemple : le traité de Lisbonne à la place de la constitution), et un petit sourire en prime pour faire passer la pilule et faire croire aux peuples qu’on les a un peu écoutés. Puis, dans un deuxième temps, leur réponse est invariablement une fuite en avant, sur le type de l’URSS : si le socialisme ne marche pas, c’est parce qu’on ne va pas assez loin, il faut donc en remettre une louche. Les peuples n’en peuvent plus de l’Union européenne et de son autoritarisme qui prétend leur imposer des quotas de migrants ? Le plan B que Jean-Claude Juncker va proposer dans son discours comporterait, à ce qu’on croit, outre un couplet sur l’aide à l’emploi des jeunes, un projet concret portant sur la création d’un corps armé européen et de gardes côtes pour défendre la frontière extérieure de l’Europe : la revendication nationale des peuples lui sert à accélérer l’intégration européenne.
 

L’Union européenne dramatise Bratislava

 
C’est pour mettre en scène cette « avancée » européenne que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le président du Conseil européen Donald Tusk ont particulièrement dramatisé la rencontre de Bratislava. Le premier a dénoncé à l’avance la « menace qui pèse sur l’existence même » de l’Union. Le second a commencé par reconnaître que l’invasion des migrants a montré « la faiblesse et le chaos » de la sécurité européenne, puis, dans une lettre publiée la nuit dernière, a écrit que l’Europe ne pouvait pas ne pas tenir compte des leçons du Brexit : « Ce serait une erreur fatale d’affirmer que les résultats négatifs du référendum au Royaume Uni sont une affaire limitée aux Britanniques. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Bratislava doit être un tournant dans la protection des frontières extérieures de l’Union ». Et sa conclusion est la même que celle de Juncker, la même que celles de Paris et Berlin qui, dans un document de six pages, viennent de recommander la création d’un corps de troupe européen qui sera l’embryon d’une armée européenne.
 

L’Union européenne pas indispensable au mondialisme

 
Le plus désespérant est que les opposants à l’intégration bruxelloise qui se manifestent à l’Est (ou à l’Ouest) ne s’opposent au fond que sur la forme, la tactique. Mme Szydlo et Viktor Orban demandent des réformes. Ils écoutent la colère de leurs peuples. Mais satisfont-ils vraiment leurs revendications nationales ? Non, malgré les apparences. Le premier à demander une « armée européenne » pour défendre les frontières a été Viktor Orban, voilà plusieurs mois. Malgré ses foucades et ses coups de gueule, le mauvais élève de la classe européenne travaille lui aussi à plus d’union.
 
Nigel Farrage, l’ancien patron de l’UKIP, l’homme qui poussait l’Angleterre à sortir de l’Union européenne et qui a obtenu de Cameron de referendum du 23 juin dernier, ironise : « Honnêtement, si la seule chose que Juncker et l’Europe ont trouvé pour répondre au Brexit est une « armée européenne », je crois qu’on peut dire qu’ils ne vont pas bien ». Il a tort, parce qu’il a quitté le navire du Brexit à peine à l’eau, et qu’aujourd’hui celui-ci vogue dans une direction que ceux qui ont voté pour n’imaginaient pas. Enlisé dans des négociations complexes quant à la législation, à l’immigration, le Brexit, semble lancé, sur le plan économique, fiscal et financier, vers un « nouvel internationalisme » qui permet à la Grande Bretagne de jouer sa propre partition libre échangiste, comme le recommandait dès le mois d’avril l’éditorialiste vedette du Spectator Fraser Nelson. Soit une sorte de plan B de l’euro-mondialisme, ou un plan B’ si l’on préfère. Il est frappant d’entendre le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la banque mondiale, conseiller de Clinton, de Corbin et de Jean-Paul II, néo-keynésien mondialiste, découvrir la lune en constatant que, une monnaie unique ne pouvant s’appliquer qu’à une zone économiquement homogène, l’euro fait éclater l’Union européenne. Il recommande donc d’abandonner les utopies politiques de Bruxelles. Le plan B’ du mondialisme n’a plus besoin des institutions soviétoïdes de l’Union européenne .
 

Plan B ou plan B’, c’est juste une question de tactique

 
On est ici dans des différences de tempérament, de personnel et de méthode plutôt que dans une divergence d’objectifs. Il y a d’une part la rigidité des doctrinaires de l’Union européenne, type Juncker. Il n’est pas le seul. Et puis il y a ceux qui préconisent des solutions plus souples. C’est le cas de l’Institut Breughel, un think tank européo-mondialiste qui vient de proposer la création d’un « partenariat continental » pour les nations qui, comme l’Angleterre d’après le Brexit, seraient autorisées à entretenir des relations un peu plus lâches avec l’Union que les États membres. Cette proposition, dont l’un des auteurs est l’ancien ministre de l’environnement allemand Norbert Röttgen, a été sèchement rejetée à Bruxelles et à Berlin. Pour un commissaire européen qui a désiré rester anonyme, ce serait « un désastre », car ce serait le début du grand détricotage de l’Union européenne. Mais en dehors de cette question de boutique, de boutique eurocratique, on ne voit toujours pas la différence idéologique entre le plan B des Européistes centralisateurs psychorigides et le plan B’ des internationalistes souples. Il est clair que le bonheur des peuples n’importe pas plus aux uns qu’aux autres. Le vrai but de leur révolution n’est pas la prospérité des Européens, c’est la définition d’un homme nouveau soumis à de nouvelles lois. Les juges de la Cour Suprême américaine, le gouvernement de Teresa May qui met en œuvre le Brexit et Joseph Stiglitz sont parfaitement d’accord, au fond, avec Jean Asselborn, le ministre des affaires étrangères luxembourgeois. Leur objectif est un certain État de droit, c’est-à-dire le triomphe d’une certaine idéologie. La volonté politique des élites doit prévaloir sur les ruades des peuples. A partir de là, les souples et les rigides ont chacun sa tactique pour adapter l’avenir à la réalité du terrain : le plan A n’ayant pas marché, certains proposent le plan B, d’autres le B’, et s’ils ne marchent pas, il y aura le B », le B »’, et plus si nécessaire. Jusqu’à ce que le processus historique aboutisse.
 

Pauline Mille