Le président égyptien Al-Sisi appelle à la coopération antiterroriste et à une révision du discours religieux

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Après son premier discours remarqué aux dignitaires musulmans à l’université Al-Azhar au Caire le 1er janvier dernier, prônant une « révolution religieuse », le président Abdel Fattah Al-Sisi vient de s’exprimer une nouvelle fois ce projet qui s’inscrit parfaitement dans l’optique de la mondialisation, cette fois en appelant de ses vœux la coopération antiterroriste internationale. Qui passera, s’il le faut, par une nouvelle action commune sur le sol libyen…
 
Comme toujours c’est un fait frappant qui est utilisé pour promouvoir ce type d’initiative. L’enlèvement, puis l’égorgement de 21 ouvriers coptes en Libye, revendiqués par une vidéo de l’Etat islamique et confirmés par le parlement libyen, ont suscité une forte émotion en Egypte d’où ils étaient originaires. Aussitôt la nouvelle annoncée, le président Al-Sisi a déclenché des frappes aériennes.
 

El-Kabbach interroge Al-Sisi

 
Le hasard a voulu que l’affaire coïncide avec la signature d’un contrat d’achat de chasseurs Rafales à la France par l’Egypte : présent au Caire, Jean-Pierre El-Kabbach a interrogé le président Al-Sisi qui a commencé par mettre en cause l’Europe et la coalition qui n’a pas achevé le travail en Libye lors de son intervention, selon lui :
 
« C’est le message que je voudrais adresser aux Européens, et au président français en particulier : il y a quatre mois, lorsque je l’ai rencontré, je lui ai dit, « Faites attention à ce qui se passe en Libye, vous transformez ce pays en un terreau qui va menacer l’ensemble de la région – l’Egypte, le bassin méditerranéen et l’Europe. »
 
Ce n’est pas pour dénoncer les interventions inconsidérées, mais pour en demander davantage, et de plus définitives : « Il faut achever la mission », a déclaré le président égyptien, assurant qu’il faut « désarmer et empêcher l’arrivée des armes dans les mains des extrémistes venant d’autres pays ». Une tâche qu’il ne semble pas vouloir confier au seul gouvernement libyen, aux prises avec des milices installées à la faveur de l’intervention qui avait pour but le renversement de Kadhafi…
 

Coopération antiterroriste sur le sol libyen

 
Al-Sisi a justifié l’intervention égyptienne sur le son libyen par l’égorgement des 21 Coptes : c’est un « crime terroriste », a-t-il déclaré : « Que nos enfants soient égorgés en Libye, et ne pas agir ? Non ! C’est une forme d’autodéfense. »
 
Et d’acquiescer à l’idée, soulevée par El-Kabbach, de voir mettre sur pied une nouvelle force coalisée : il n’y a « pas d’autre choix », a déclaré le président égyptien, se disant favorable à « résolution du Conseil de sécurité de l’ONU » pour organiser une nouvelle action, pourvu que le « peuple » et le gouvernement libyens en soient d’accord.
 
Etat islamique contre reste du monde ? C’est un peu l’idée, et Abdel Fattah Al-Sisi l’appuie en expliquant que la stabilité et la sécurité ne sont pas seulement menacées en Libye, mais aussi dans les pays voisins, en Egypte et en Europe. Il est vrai que c’était le message envoyé par ceux qui ont revendiqué l’égorgement des Coptes en insistant sur la proximité de Rome… « Vous y serez confronté », a insisté Al-Sisi. Face au « terrorisme », il a répété sa demande d’action commune : « Je ne parle pas seulement d’une confrontation sécuritaire ou militaire », mais qu’elle soit également « une confrontation globale, intellectuelle, éducative, économique, culturelle et politique ».
 

Al-Sisi veut une réponse globale au terrorisme

 
C’est décidément dans tous les domaines de l’existence que la riposte doit s’organiser : y aurait-il donc un « camp du bien » intellectuel, éducatif, économique, culturel et politique ? Il se définit alors par l’opposition à l’Etat islamique, vrai ennemi barbare en même temps que commode épouvantail mondial…
 
Rebondissant sur un propos d’Al-Sisi dénonçant la volonté d’hégémonie d’un courant religieux en Egypte, Jean-Pierre El-Kabbach a nommé les Frères musulmans dont le berceau se trouve dans ce pays. Réponse d’Al-Sisi : « Cette pensée doit être révisée, elle doit être reformulée, il faut en référer à l’enseignement d’Al-Azhar, il faut élever le discours politique musulman. »
 
On notera la double logique de ce discours : il faut une réforme de l’islam, dictée par la modernité et donc conforme à ses normes, et il faut que cette réforme reçoive l’aval des plus hautes autorités musulmanes égyptiennes, avec la reconnaissance dont bénéficie l’université Al-Azhar. Cet islam révisé s’accommode fort bien du globalisme, il en a même besoin pour sa propre reconnaissance et son acceptation au concert des nations, quitte à se soumettre au moins partiellement au relativisme.
 

Révision du discours religieux : Al-Sisi l’attend

 
El-Kabbach n’a pas vraiment compris de quoi il s’agit. Lui aussi avait eu connaissance du discours d’Al-Sisi à Al-Azhar ; au Caire, il a demandé au président égyptien : « Pour vous la religion doit rester une affaire privée, elle doit être à sa place, et elle doit être neutre, la religion, c’est ça ? »
 
C’est aller un peu vite en besogne. Un islam au goût du jour, un islam largement vidé de son sens littéral, c’est déjà dur à avaler du point de vue islamique, mais alors un islam relégué à la sphère privée, voilà qui est en pleine contradiction, trop évidente, avec la religion du Coran.
 
D’où cette réponse d’Al-Sisi : « Le discours religieux doit prendre en compte la réalité et le développement de l’être humain et ne pas être en confrontation avec lui. Personne ne discute de la croyance, de l’article de foi. L’article de foi est permanent, il est stable. Mais le discours religieux, c’est comment traiter avec les autres. Lorsque le discours religieux se heurte au monde, se heurte aux gens, lorsqu’il est violent, il faut à ce moment-là revoir les choses, il faut faire évoluer les choses pour qu’il corresponde à son époque. »
 

Confier la réforme religieuse à l’université égyptienne Al-Azhar ?

 
L’« article de foi », le dogme sont « stables » : pour Al-Sisi, il n’est donc pas question de sortir l’islam de la sphère publique, mais de le toiletter. C’est déjà un discours révolutionnaire. Et là où en sont les choses, il se peut bien que cette insistance sur un « discours religieux » mal défini ne soit pas appréciée des foules. Mais il avance…
 
Notons cependant que l’université Al-Azhar en gardienne des droits de l’homme, cela ne manque pas de sel : il y a peu, elle avait appelé à « tuer et crucifier » les terroristes de l’Etat islamique. Les habitudes ont la vie dure.