Le Québec apostat se suicide
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Le Québec apostat se suicide

Face aux Anglo-Saxons protestants, les Français abandonnés au Québec au dix-huitième siècle n’ont tenu que par le catholicisme et sa conséquence, une forte natalité. Depuis les années soixante, la révolution tranquille mène la Belle Province à l’apostasie douce et à la chute démographique. Et la francophonie et la laïcité sont des remèdes qui accentuent le mal. Le Québec apostat se suicide.

Le Canada français, peuplé de quelques dizaines de milliers de descendants de Français installés principalement dans la Vallée du Saint-Laurent, implantés sous Louis XIII et Louis XIV, grâce notamment aux grands ministres Richelieu et Colbert, est annexé par le Royaume-Uni en 1763. Le passage du pouvoir français et catholique à l’anglais protestant est prévu par le désastreux Traité de Paris. Celui-ci garantit toutefois le respect de la liberté du culte catholique, alors en principe interdit en Grande-Bretagne et dans ses territoires d’Amérique, et celui du droit coutumier français. Malgré l’aide décisive apportée par la France aux insurgés américains dans la guerre d’indépendance (1776–1783), et la défaite de l’Angleterre, Paris ne récupère pas en 1783 la Belle Province : les insurgents, parfaitement ingrats, exigent que l’occupation anglaise se poursuive, parce qu’ils ont eux-mêmes des vues sur le Québec. Ils ont d’ailleurs essayé de s’en emparer pendant la guerre. C’est cet impérialisme américain, et la crainte de se trouver sous la domination toute proche de Philadelphie qui va produire une sorte de loyauté minimale de beaucoup de Franco-Canadiens vis à vis de Londres. Cela sera sensible en particulier lors de la Deuxième Guerre d’Indépendance (1812-1815), ou de la Guerre de Sécession (1861-1865) qui manque plusieurs fois de peu de s’étendre au Canada entre 1861 et 1864. L’armée nordiste très supérieure aux maigres troupes britanniques et milices canadiennes fait peser une vraie menace sur le Québec.
 

Préservé par l’occupation anglaise des lumières anti-françaises

Le loyalisme relatif des Québécois à la couronne anglaise étonne, étant donné l’histoire des guerres anglo-françaises, et les terribles exactions des habits rouges. On se souvient que dans les territoires qui allaient s’appeler Nouvelle Ecosse et Nouveau Brunswick, cédés à Londres par le traité d’Utrecht, les Acadiens français, persécutés pendant quarante ans, furent déportés en masse (1755-1763), avec de nombreux morts – 10.000 sur 20.000. Mais peut-être instruite par l’expérience, Londres ne lance pas au Québec de persécution sanglante après 1763. L’Angleterre organise seulement l’occupation du territoire, plutôt dure. En violation flagrante du traité de Paris par exemple, aucun Franco-Canadien n’est autorisé à occuper des fonctions publiques, suivant la loi anglaise écartant les non-anglicans de telles fonctions – Bill du Test. L’Eglise catholique, dont les évêques prêchent constamment le loyalisme aux autorités britanniques, demeure en conséquence le refuge, la référence morale et intellectuelle du Québec. Malgré quelques périodes de tension, la couronne britannique la tolère et n’en perturbe pas le fonctionnement.
Beaucoup de prêtres franco-canadiens, jusqu’aux années 1950, ont vu paradoxalement dans l’épreuve de l’occupation anglo-protestante un bienfait providentiel pour la Vallée du Saint-Laurent : pris dans les glaces anglo-saxonnes, les catholiques français de là-bas n’ont pas subi vraiment les « Lumières » antichrétiennes qui triomphent en France dans les années 1770-1780, ni la Révolution française (1789-1799), qui a changé durablement les mentalités et éloigné le peuple français du catholicisme. Avec pour première conséquence l’effondrement de la natalité française, liée à des pratiques de contrôle des naissances, dès les années 1810-1820, sans reprise significative, qui fit perdre à jamais à la France son rang de pays le plus peuplé d’Europe. Ainsi la population française a-t-elle tout juste doublé en deux siècles, en comptant un apport étranger important dès les années 1880, alors que dans le même temps les Franco-Canadiens passaient de 60.000 à 6 millions. Fondé sur la mentalité profondément catholique qui prévalut jusqu’aux années 1950, ce dynamisme démographique assura la survie du peuple de la Belle Province. Pendant ce temps la domination anglaise prenait un tour plus humain, et le Québec acquit en 1867 une quasi-indépendance, sous le statut de Dominion, dans la confédération canadienne ; toutefois la culture anglophone restait dominante, non seulement dans toutes les provinces canadiennes hors du Québec, mais aussi dans la province francophone à l’intérieur des élites économiques, surtout à Montréal, pôle économique majeur de tout le Canada jusqu’aux années 1960.
 

L’indolence catholique

Une synthèse idéologique intéressante, dite nationale-catholique, s’effectue autour de la revue et du mouvement de l’Action Française – à ne surtout pas confondre avec son exact homonyme de France – animée par l’Abbé Lionel Groulx ( 1878-1967) : elle insiste sur les valeurs catholiques centrales, qui s’épanouissent dans des familles nombreuses, une société rurale.
Or, la société franco-canadienne subit des bouleversements considérables du cadre de vie des années 1920 aux années 1950. Toujours pensée dans le national-catholicisme comme rurale, la population de la Vallée du Saint-Laurent devient en fait massivement urbaine, et les emplois secondaires ou tertiaires prédominent, et non plus le travail des champs ou des forêts. Les dernières campagnes de colonisation agricole menées lors de ces trois décennies, sur des plateaux relativement froids et des terres pauvres, à l’Ouest de la Vallée du Saint-Laurent, vers la frontière de l’Ontario, rencontrent peu de succès. On peut déplorer alors une dommageable sclérose face au contexte social mouvant, de la pensée nationale-catholique, qui, sauf erreur, n’a jamais été renouvelée depuis. On déplorera plus encore ensuite un certain aveuglement dans l’enthousiasme du souffle de Vatican II (1962-1965) : les structures officielles de l’Eglise catholique se gardent alors de prononcer des avertissements solennels, ou a fortiori des condamnations, face aux mutations antichrétiennes de la société qui se dessinent. Elles seront impuissantes, quasi inactives, dans la catastrophe indolore qui va se produire.
Dans les années 1960, sans crise apparente significative, triomphe la « Révolution tranquille », l’apostasie douce et massive d’une des sociétés jusque-là les plus catholiques au monde. Elle s’accomplit au niveau gouvernemental par l’action du premier ministre libéral du Québec Jean Lesage (1960-1966), qui, réforme stratégique essentielle, crée un ministère de l’Education nationale, sur le modèle de Paris, enlevant à l’Eglise catholique son monopole d’enseignement – monopole de fait considéré jusque-là comme délégation de service public. La jeunesse est donc éduquée désormais sur des valeurs radicalement autres, matérialistes, que celle de l’Eglise, avec des conséquences très rapides. La comparaison avec les manœuvres de la maçonnerie française dans les années 1880–1906 est ici éclairante, la même stratégie a produit les mêmes effets, avec beaucoup moins de réactions, grâce à l’ambiance très particulière des années soixante.
 

La mort laïque

Les alternances se suivent après 1966 entre libéraux et indépendantistes du Parti Québécois – PQ. Ces derniers, qui pourraient d’un certain côté attirer les sympathies des nationalistes et de tous ceux que l’impérialisme américain inquiètent, se définissent en fait comme plus à gauche que les libéraux, se rattachent à la famille de pensée progressiste ; ils sont en pointe dans le féminisme, le libéralisme sociétal, ou dans les années 1970-80 le rêve d’une économie sociale assez étatisée. Aussi les familles éclatent-elles massivement dès les années 1970, la natalité s’effondre complètement, très en-dessous de deux enfants par femme. C’est la fin de la puissance démographique pour les Franco-Canadiens. En même temps, le progressisme va faire du Québec dès les années 1970 une sorte de laboratoire, de pionnier pour le pire, avec un féminisme particulièrement agressif, et la pratique courante de la stérilisation volontaire définitive des femmes, une trentaine d’années avant la France. Pendant ce temps pénètrent massivement au Québec des populations nouvelles, souvent noire-haïtiennes, beaucoup plus vaudou que catholiques, puis nord-africaines musulmanes, enfin du monde entier, choisies en principe sur la capacité de s’exprimer en langue française ou de s’intégrer sur le marché du travail, et surtout pas de critère religieux ou ethnique.
Confrontée ainsi à un islamisme agressif, Madame Pauline Marois, premier ministre de 2012 à 2014, tente d’imposer une laïcité à la française, avec une Charte de la Laïcité en 2013, objet de vives controverses. Comme en France, l’esprit en est au fond antireligieux, il traduit par ses hésitations les apories des sociétés apostates, incapables de trouver des fondements moraux supérieurs, écartelées entre le discours sur la liberté religieuse et le féminisme. Le vainqueur des élections d’avril 2014, le candidat du parti libéral et nouveau premier ministre, M. Philippe Couillard, l’a emporté notamment en flattant outrageusement ces nouveaux électeurs musulmans, au nom de la liberté religieuse. Il réalise lui aussi le grand écart, entre ses compliments aux islamistes, assumés, et ses projets sociétaux en pointe dans le pire, comme celui à l’étude actuellement du remboursement des mères-porteuses par la sécurité sociale, y compris pour les couples homosexuels. En d’autres termes le Québec apostat se suicide. Le peuple ayant perdu sa foi a perdu sa vitalité, il se trouve mécaniquement soumis à l’invasion et ses élites déboussolées se raccrochent aux illusions de la francophonie et de la laïcité. Dans ces conditions le Québec perd son combat pour l’indépendance, et risque à terme de disparaître comme Nation.