DRAME HISTORIQUE Les heures sombres •


Les heures sombres sont celles qui ont vu, en mai et juin 1940 et selon l’interprétation courante, le Royaume-Uni vaciller moralement. L’armée allemande de Hitler, déjà victorieuse en Pologne en septembre 1939, en Norvège en avril 1940, est en train, chose très nette après les dix premiers jours de combats intenses du 10 au 20 mai 1940, de vaincre la France – et secondairement la Belgique et les Pays-Bas… Si l’Allemagne s’empare de tout le continent, capturant au passage toute l’armée terrestre britannique, dangereusement étalée entre Arras et Dunkerque, que doit faire le gouvernement de Sa Majesté George VI ? Du fait de la spirale de défaites, Chamberlain, le chef du parti conservateur et l’homme des Accords de Munich de l’automne 1938, a été obligé de démissionner. Qui doit ou peut lui succéder ? Le parti conservateur préfère Lord Halifax, proche de Chamberlain et de George VI. A l’inverse, l’opposition travailliste insiste sur une investiture de Churchill, membre marginal et atypique du parti conservateur, et fait de sa présence au gouvernement la condition sine qua non de sa participation à un gouvernement d’union nationale associant les deux grands partis britanniques.
 
Les dirigeants conservateurs hésitent. L’union nationale est précieuse en temps de guerre, surtout de guerre tournant mal. Mais faut-il accepter Churchill pour autant ? Sollicité, Lord Halifax se dérobe. Le portrait qu’en propose le film n’est guère flatteur ; mais la thèse sous-entendue d’une manœuvre de basse politique, indigne de l’heure, est crédible : Lord Halifax aurait préféré laisser un autre assumer le désastre et signer un armistice puis une paix peu glorieuse avec Hitler, pour venir ensuite aux affaires. Nous savons tous qu’il n’en a rien été. Churchill enfin premier ministre, couronnement très attendu, et de lui seul, d’une carrière politique en dents de scie, s’accroche au pouvoir. Il le conservera durant toute la guerre en Europe, jusqu’au printemps 1945.
 

Les heures sombres, une impression de déception

 
Le contexte historique général de ces tragiques semaines de fin mai 1940 est à peu près bien rendu. Le problème du film est qu’il tourne évidemment à l’hagiographie de Churchill. Il est loué pour tout, ses qualités, et entre autres son indéniable talent oratoire, comme ses vices : son alcoolisme bien connu, sa consommation de whisky dès le petit déjeuner, sont traités comme une fantaisie sympathique parmi tant d’autres…Il y aurait énormément à dire sur bien des détails, et en particulier une scène pour le coup non-historique, surréaliste même, de rencontre dans le métro de Londres, fin mai 1940, entre Churchill et des Anglais moyens, réclamant tous la guerre à outrance contre Hitler. Il est difficile de savoir si Churchill a été vraiment visionnaire, ou a eu beaucoup de chance, à commencer par l’évacuation réussie et inespérée de Dunkerque, juste après la période du film, et par la suite. A la fin du printemps 1940, la France était militairement vaincue et largement occupée, l’URSS, dans le cadre du pacte germano-soviétique, était l’alliée de Hitler, et les Etats-Unis étaient encore neutres, avec un fort risque d’élection d’un candidat isolationniste à la présidentielle de novembre 1940…
 
Loin de se poser trop de questions, Les heures sombres propose simplement une énième hagiographie superficielle de Churchill. L’acteur principal Gary Oldman surjoue le héros pittoresque d’un bout à l’autre du film. Sans être franchement mauvais, Les heures sombres laisse une impression de déception.
 

Hector JOVIEN