L’étiquette pontificale est-elle une coutume dépassée?

L'étiquette pontificale est-elle une coutume dépassée?

 
En accueillant au Vatican le président français, incroyant et débauché notoire, promoteur de lois criminelles, mais chanoine du Latran par sa fonction, le pape François semblait avoir avalé son parapluie. Or le protocole n’est pourtant pas sa tasse de thé, on le voit depuis son élection. A quoi donc est dû le mépris de l’étiquette pontificale qu’il affiche en temps ordinaire ? Par Octave Thibault.

 
Le pape émérite Benoît XVI (régnant en 2005-2013) avait insisté durant son pontificat sur une forme de restauration de rigueur de la liturgie, du cérémonial pontifical, en rupture quelque peu avec son prédécesseur Jean-Paul II (1978-2005). Le pontife polonais avait pour habitude de favoriser la spontanéité et la créativité, jusqu’à des expériences très étranges, culminant lors d’une Messe pontificale en Papouasie-Nouvelle-Guinée, inspirée de la culture papoue traditionnelle (1995). Le pontife allemand voulait rétablir un respect apparent pour les choses sacrées, à manifester concrètement dans les pratiques qu’il s’imposait à lui-même, rigueur qu’il voulait voir imitée par les évêques et les prêtres ; il avait insisté sur la continuité dans les pratiques liturgiques de l’Eglise, voulant replacer fermement la Messe de Paul VI (1969) dans la filiation de celle de Saint Pie V – fixée au XVIème siècle, mais remontant à 90% certainement au IVème siècle -, rétablissant un sens du sacré, de la permanence au lieu de l’expérimentation systématique. Puis vint la surprise de la démission, il y a bientôt un an, encore moins compréhensible aujourd’hui que l’événement a montré que le pape aujourd’hui émérite n’était pas mourant lors de sa renonciation.

 
Le cardinal argentin Bergoglio avait fait figure de candidat de compromis entre les plus progressistes de l’Eglise, et les (relativement) conservateurs, dans la lignée de Benoît XVI. Il est apparu depuis clairement progressiste, même s’il n’adhère pas à la théologie de la libération ou à d’autres formes de marxisme. Le nom même de « François » marque une volonté de rupture, puisqu’elle ne s’inscrit dans aucune lignée, à l’opposé de Benoît XVI, ou même Jean-Paul II ; le refus de tout numéro relève aussi de l’exigence unique, car l’éphémère Jean-Paul I (1978) n’avait nullement exigé une absence semblable. Le problème est que si le pontificat est une monarchie élective, il est une monarchie, « François » tout court tient trop de la camaraderie, n’invite pas au respect nécessaire de la fonction. Même Jean XXIII (1958-1963), qui cultivait la même horreur de tout faste pontifical, surnommé le « bon pape Jean », avait accepté de se situer dans une lignée, déjà longue.

 
Le précédent Giscard
La tenue du pape ne se contente pas d’une décente simplicité – pourquoi pas -, mais cultive le style minimaliste : il porte des chaussures noires, une croix en fer. Si l’humilité constitue certainement une vertu chrétienne, l’humilité ostentatoire, elle, prête à discussion. De même la tenue lors des cérémonies profanes, ou pire des liturgies, développe encore cette approche appauvrissante ; la célébration devient laide, de mauvais goût, comme à Lampedusa, ou grotesque, comme à Rio de Janeiro avec la danse des évêques – exercice dans lequel le haut-clergé, même brésilien, n’a pas brillé.
François tient à multiplier à Rome les sorties à la rencontre des « gens », à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit à Rome. Plus qu’à une charité merveilleuse, l’observateur se prend à songer à un plan de communication, qui rappelle le président Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) s’invitant à dîner chez les Français moyens. En outre, François risque de croiser des individus très désagréables, et ce comportement pose aussi des questions de sécurité ; un pape peut certes accepter le martyre en des circonstances extrêmes, ou simplement en visitant des catholiques éprouvés dans des zones dangereuses aujourd’hui, comme le Sud-Soudan, la Centrafrique, le Liban, mais l’imprudence gratuite est une autre chose.

 
Les deux corps du pape
Au-delà du costume et des promenades impromptues, François construit un refus de toute forme solennelle, ou même simplement habituelle. Ainsi, il a multiplié les entretiens libres avec des journalistes, inventant un nouveau mode curieux de sous-magistère, le bavardage pontifical : il ne professe nulle franche hétérodoxie, mais par des formulations volontairement paradoxales, multiplie le risque de déformation de propos un peu légers sur l’homosexualité, les règles du mariage de l’Eglise ; ces paroles ont conduit évidemment aux pires déformations immédiates, de façon parfaitement prévisible. Au lieu de préciser, quitte à le faire en termes courtois, le message de l’Eglise, le pape François par son refus de sérieux formel brouille sa perception.

 
Il ne faudrait pas confondre l’humilité de la personne et celle de la fonction, qui exige une dignité parfaitement incarnée par Pie XII (1939-1958) en son temps. Le souverain pontife devrait montrer l’exemple en montrant de manière perceptible le respect qu’il accorde à la fonction qu’il incarne. En outre, il est craindre que la négligence volontaire et systématique des apparences procède d’un système de pensée trop marqué par des illusions libérales, que l’on retrouve dans des discours en porte à faux sur l’Islam, le Judaïsme, qui ne sont tout simplement pas compris, alors que les sensibilités traditionnelles de l’Eglise catholique sont peu considérées.

 
Le pape François devrait souvenir de la théorie du XIIIème siècle, sommet de la Chrétienté, des deux corps du pape : tout vicaire du Christ, c’est-à-dire le pape, possède un corps naturel en tant que personne et un corps de fonction en tant que chef de l’Eglise, ce qui signifie que la personne doit disparaître devant l’office ; ainsi un homme ayant une horreur personnelle de tout formalisme doit s’effacer devant le pape, qui ne saurait jamais s’affranchir de formes usitées. Autrement dit l’étiquette pontificale est un devoir attaché à l’état de pape. Et d’un point de vue pratique et pastoral, un temps où les repères moraux se perdent, l’attention, le respect, l’écoute, s’obtiennent bien davantage par une conduite décente que par la destruction démagogique de toute règle protocolaire.