« Le Marécage des ayatollahs : une histoire de la Révolution iranienne » par Pierre et Christian Pahlavi

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« Comment et pourquoi le régime du Chah d’Iran, qualifié en janvier 1978, d’ « île de stabilité » par le président Carter, s’est-il brusquement effondré, un an plus tard ? » C’est la question à laquelle tentent de répondre deux membres (par adoption) de la famille impériale iranienne, dans leur passionnant Marécage des ayatollah, une histoire de la Révolution iranienne. Christian et Pierre Pahlavi, « libres de toute compromission, hormis celle du cœur et de l’âme », reviennent sur cette fin de règne difficile et sur l’avènement trouble de l’ayatollah Khomeini à qui certaines puissances étrangères ont donné, dans l’ombre, l’ultime « coup de pouce ».
Si aujourd’hui le Moyen-Orient s’embrase sous le feu islamiste, peut-être est-ce pour de semblables raisons… Tout est parti de Téhéran, selon les auteurs – Al Quaïda et Daech sont une suite logique.

Un pays qui était sorti de « sa gangue islamique »

A l’instar de la Turquie d’Atatürk, l’Iran des Pahlavi était sorti de « sa gangue islamiste ». La conjonction de trois forces avait présidé à cette re-naissance : l’Occident, le clergé et le Bazar – les mêmes forces, paradoxalement, qui entraîneront la chute de la monarchie, un demi-siècle plus tard.
De Réza Chah à Mohammad Réza Pahlavi, la politique occidentale demeura la même : maintenir la dynastie pour endiguer l’expansion de l’Union soviétique. L’opération Ajax en est la meilleure illustration : ce sont le MI-6 et la CIA qui se chargèrent de restaurer le vacillant trône impérial par le « coup d’état » du 19 août 1953…

Le Rêve de « Grande Civilisation »

Mais si la Révolution blanche du Chah dans les années 60 modernisa, industrialisa, occidentalisa le pays, elle le révolutionna aussi… Le développement interne ne suivit pas, en décalage avec la marche forcée du gouvernement dans cette grande métamorphose économique et sociétale et la classe populaire fut de plus en plus frustrée, voire appauvrie.
Et puis la vision de ce Chah tout prêt à restaurer l’empire de Cyrus, avide de pétrodollars (acquis grâce au prix fort d’un baril multiplié par 10) et d’une étiquette de plus en plus fastueuse finit par inquiéter les Occidentaux.
A l’intérieur aussi, la contestation grandit, attisée par les grands marchands du Bazar et la fronde des partis libéraux et gauchistes, du clergé chiite et des mollahs de l’école théologique du Ghom. Un certain Khomeini mène les émeutes de 1963, contre « un plan diabolique d’occidentalisation de l’Iran et d’élimination de son âme islamique »…
Dès 1976, une « pagaille » généralisée submerge l’Iran. Une violente campagne médiatique occidentale s’en mêle… s’alliant opportunément avec l’opposition islamiste.

Le « vent Carter » souffle contre les Pahlavi

Le Monde publie au printemps 78, une interview choc de Khomeini qui charge violemment le régime du Chah, en clamant haut et fort qu’il écarte aussi toute collaboration avec les communistes… Alors même que l’Afghanistan vient de subir un dangereux coup d’État soviétique déstabilisant l’équilibre des deux blocs au Moyen-Orient, cette prise de position n’est pas pour déplaire au camp occidental.
Sa politique, menée par le nouveau président des États-Unis, le méthodiste Jimmy Carter, devient celle du laisser-faire, puis du soutien. En Iran, les manifestations se multiplient, les jeunes filles ressortent leur voile, les attentats surgissent, comme l’incendie du Rex qui brûla, le 19 août, dans un cinéma 477 personnes…
Le 8 septembre 1978, c’est le « Vendredi Noir », où l’armée tire à balle réelles sur des manifestants. Le monde entier prend fait et cause pour l’ayatollah, contre « le monarque sanguinaire ». A Paris, à l’appel de Georges Marchais, on manifeste pour les « démocrates iraniens »… (tout parallèle avec les Printemps Arabes qui verront l’avènement des salafistes et des Frères musulmans est totalement fortuit)

Khomeini à Neauphle-le-Château : le révolutionnaire qui préfère « le combat à la prière »

Où était alors l’exilé Khomeini, nommé « personnalité de l’année » par le Times ? A Neauphle-le-Château, dans nos douces Yvelines françaises où six lignes de téléphone et cent-trente CRS ont été mis à sa disposition … Pendant trois mois et demi, il y donne entretien sur entretien, le gratin de l’intelligentzia parisienne est aux anges ; Valéry Giscard d’Estaing s’est rangé à l’avis des Américains.
« Nul n’est prophète en son pays. C’est en France que l’ayatollah Khomeini l’est devenu » écrivent les auteurs… L’Occident a ainsi soutenu « le premier religieux chiite à théoriser un islam politique ».

Après le « Yalta du Moyen-Orient » (Mohammad Reza), « la parousie de l’imam des Temps » (Thierry Desjardins dans Le Figaro)

Trois jours lui ont suffi, après son retour triomphal en terre iranienne le 1er février 1979. L’une après l’autre les institutions publiques s’écroulèrent, les généraux se rendirent, proclamant « la neutralité de l’armée »… Les États-Unis avaient pris soin d’envoyer un mois auparavant leur général quatre étoiles, Robert Ernest Huyser qui supervisa le départ du Chah, verrouilla les velléités de putsch militaire : l’essentiel étant d’obtenir un Iran post-monarchique stable, « compatible avec les intérêts américains ».
Le 14 février 79, Washington reconnaissait déjà le nouveau régime…
Pour eux, le calcul a d’abord été géopolitique : seule une aggravation des lignes de fracture tribale et religieuse au Proche-Orient était capable de fragiliser le bloc soviétique qui craignait plus que tout l’islamisme, à ses portes. Et puis le pétrole, aussi, est une guerre… Billevesées que l’« intérêt national » iranien ou que les droits de l’homme au Moyen-Orient… !

Le Marécage des ayatollahs : une histoire de la Révolution iranienne, une histoire aussi de la manipulation américaine.

Mais on n’allume pas un feu inopinément. L’« élan panislamiste » de Khomeini, cette « mollarchie absolue », changea du jour au lendemain le visage de l’Iran. Et se retourna rapidement contre les États-Unis, qui virent la prise de leur ambassade parce que le Chah se faisait soigner sous un nom d’emprunt dans un hôpital américain…
Le fiasco fut diplomatique, économique et politique – moins de dix ans plus tard, Washington soutenait l’Irak dans sa guerre contre l’Iran.
Pour les deux auteurs, ce « coup de pouce » américain à la Révolution islamique iranienne a surtout été un élément déclencheur de l’expansion du djihadisme international. Les « pompiers-pyromanes » ont allumé un feu – et continuent à l’entretenir à travers l’État Islamique – qu’ils ne sont pas certains de maîtriser jusqu’au bout.
Rappelons aussi, avec Bertrand de Castelbajac dans L’Homme qui voulait être Cyrus, que « Khomeini apparten[ait] à la confrérie des Frères musulmans, qui a été fondée en Égypte en 1920, avec la bénédiction de la Compagnie universelle du canal de Suez, qui redoutait le réveil du nationalisme arabe et cherchait à le concurrencer par un retour aux valeurs spirituelles de l’islam »…
La manipulation islamiste ne date pas d’hier.

Clémentine Jallais

Le marécage des ayatollahs : une histoire de la Révolution iranienne, Pierre et Christian Pahlavi, éditions Perrin, 571 p.