Macron, Kurz, les bébés NEP du mondialisme face au populisme

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Philippa Strache et Susanne Thier

 

La victoire de Sebastian Kurz aux élections législatives autrichiennes, et l’interview télévisée d’Emmanuel Macron le montrent : le mondialisme adapte ses réponses au populisme selon les situations politiques et les mentalités des peuples.
 
Ce sont deux jeunes poulains fabriqués à la hâte : en 2011 Macron était encore banquier associé chez Rothschild et Sebastian Kurz étudiant en droit. Deux beaux gosses aux manières décontractées et à l’ambition vite satisfaite. Deux habiles : ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée et ministre des finances, Macron a su se présenter comme un homme neuf, se séparer des socialistes et démolir le système des vieux partis en se faisant élire président ; ministre de l’intégration, des affaires européennes et des affaires étrangères, Kurz a su prendre la tête d’un parti conservateur (ÖVP) en capilotade (il avait été éliminé au premier tour de la présidentielle) et préconiser une politique d’immigration très restrictive calquée sur celle du FPÖ (droite nationale radicale) pour pomper les voix de celui-ci, atomiser la gauche, et remporter des législatives qui vont le porter à la chancellerie.
 

Après Hollande, il fallait une NEP pour sauver le mondialisme

 
A partir de là, leurs tactiques divergent afin de s’adapter à la situation de leurs pays respectifs. En France le populisme s’incarne dans le Front national, qui demeure, malgré ses efforts de diabolisation, exclu de l’arc constitutionnel : Macron s’est donc posé en rempart contre lui pour siphonner les électorats de la gauche, du centre et de la droite, associés dans le barrage au « fascisme ». Il ne faut pas sous-estimer ce fait fondateur. Sans doute, d’une certaine manière, Macron peut-il être présenté comme élu par défaut, la carpe Mélenchon et le lapin Wauquiez ayant bien des différences et des différends ; mais vu autrement, le consensus de rejet du FN exprime clairement le refus unanime par les partis de toute politique nationale. C’est donc à juste titre qu’Emmanuel a pu se dire dimanche mandaté pour « transformer » la France. Il a pour devoir de faire triompher le mondialisme, auquel son prédécesseur Hollande a beaucoup œuvré, mais d’une manière trop maladroite pour faire passer la pilule auprès du peuple. D’où la NEP actuelle.
 

Blanquer, la participation, l’ISF : la NEP en marche

 
Cette NEP est sensible dans le domaine de l’instruction. A l’usine à gaz de mammouth qu’est l’éducation nationale Blanquer ajoute de petites touches de bon sens réactionnaire propres à apaiser la majorité silencieuse, et Macron vient de nous annoncer la fin de l’hypocrisie enveloppant la sélection qui règne depuis 1968 et la loi Faure. Cette NEP se remarque aussi en matière d’assurance chômage, d’apprentissage, de fiscalité, de participation. Bien sûr, tout cela ne va pas loin. Le socialisme est une addiction dont on ne sort pas en claquant les doigts. Supprimer l’ISF par exemple n’est ni injuste ni inefficace, mais le remplacer par un impôt sur la fortune immobilière n’est ni juste ni efficace, c’est une simple révérence devant le conformisme de gauche qui indique une nette faiblesse de caractère. Cependant, Macron a été dans l’ensemble convaincant dimanche soir. Il y aura, s’il parvient à mener ses réformes à bien, une toute petite libération de l’économie, comme il a réussi une toute petite libération de la parole avec ses provocations, les fainéants, les cyniques, le bordel, etc.
 

Macron est le plus convaincant des préfets du mondialisme

 
Naturellement, tout cela est du théâtre, ou plus exactement, c’est limité, cela ne s’exerce que dans le cadre fixé par le mondialisme, c’est une NEP destinée à faire advenir celui-ci, non à le combattre. Les petites améliorations apportées visent à le rendre supportable par les peuples, non à en libérer ceux-ci. Nous l’avions analysé dès le lendemain de la présidentielle et cela se confirme, Macron est le représentant optimal du mondialisme, il est le sucre autour de la pilule pour que celle-ci ne soit pas recrachée. C’est pourquoi il n’a pas parlé d’immigration dimanche (sauf pour une promesse qui satisfait tout le monde et ne mange pas de pain : les clandestins criminels seront expulsés). C’est pourquoi il ne ferme pas les frontières ni ne reprend la maîtrise de la monnaie, ce qui seul permettrait de résoudre en profondeur la crise économique et sociale.
 

Dialectique entre la peste Macron et le choléra Mélenchon

 
Mieux, il a réussi, avec l’aide des médias, à focaliser le débat sur « la rue » et « le président des riches », évacuant la question centrale, urgente, de l’identité de la France, identité ethnique, civilisationnelle, religieuse, pour ramener le débat à une vieille controverse datant du dix-neuvième siècle entre marxistes et libéraux. Après avoir circonscrit le populisme à une Marine Le Pen dévaluée, il a réussi à susciter un substitut au populisme, sur le modèle Podemos et Syriza, en Mélenchon, son allié objectif et son adversaire dialectique. La peste Macron et le choléra Mélenchon vont désormais se répondre, par manifestations et médias interposés. On ne sait qui sortira gagnant de ce petit jeu, mais la France et le peuple français en sortiront perdants, car on oscillera entre le mondialisme européiste à la remorque de l’Allemagne de Macron et l’altermondialisme à la Maduro de Mélenchon.
 

En Autriche et à l’Est, l’immigration produit le populisme

 
La situation en Autriche est différente. Au centre de l’Europe, le pays est proche de son glacis de l’Est, et se rapproche du groupe de Višegrad qui entend mettre un frein à l’immigration. Au centre des montagnes d’Europe, proche en cela de la Suisse, l’Autriche est un pays alpin jaloux de ses habitudes, de sa spécificité, de son identité. Proche de l’Allemagne enfin, le pays a été littéralement traumatisé par les viols massifs de la Saint Sylvestre 2016 à Cologne et dans d’autres grandes villes d’Allemagne et de Scandinavie, et la montée en flèche du crime, notamment sexuel, consécutif au flot des migrants. D’autant que l’Autriche est le pays d’Europe qui a dû recevoir le plus de migrants en proportion à sa population. C’est dire qu’elle est insensible aux homélies du pape François sur l’accueil, aux objurgations de Bruxelles sur les quotas, et aux théories de la gauche sur l’intégration. Les Autrichiens n’en peuvent plus, ils le disent depuis longtemps et de plus en plus fort.
 

Kurz capte les voix FPÖ en reprenant le programme du populisme

 
C’est pourquoi le FPÖ, malgré la diabolisation hystérique dont il est la victime, a fini par s’implanter durablement grâce à des dirigeants habiles et à jouir dans la population d’une image acceptable. C’est pourquoi il a failli remporter l’an dernier la présidentielle. C’est pourquoi aussi les grands partis de gouvernements, les noirs conservateurs et les rouges socialistes ont-ils à cette occasion disparus. C’est pourquoi encore, pour survivre, Sebastian Kurz a dû rompre en mai dernier la grande coalition qui le liait aux socialistes, prendre la tête du parti conservateur et a-t-il pu rendre ainsi à cette élection toutes ses couleurs à l’ÖVP. En faisant la seule chose qui convenait : paraître aussi propre sur lui qu’Emmanuel Macron et encore plus jeune d’un côté, mais féroce sur la question de l’immigration, qui seule intéresse les Autrichiens. Il a piqué le programme du FPÖ et se flatte d’avoir dès 2015 critiqué la politique « d’accueil » d’Angela Merkel, d’avoir obtenu la fermeture aux migrants de la route des Balkans, et milite contre l’intégration de la Turquie à l’Union européenne.
 

A Vienne, le populisme et Kurz mènent la valse

 
Il y a sûrement une part de convictions dans cette attitude politique. Dans le lycée où Kurz a obtenu son bac (sa Matura, en Autriche), les élèves issus de l’immigration étaient fort nombreux. Il fait partie d’une génération qui a touché le problème du doigt et ne se berce pas des niaiseries de ses aînés. D’autre part, sa compagne, Susanne Thier, s’affiche sans complexe en photo à côté de Philippa Strache, la jeune femme du chef du FPÖ. Certains commencent à dire que celui-ci a « changé », qu’il n’est plus le même que du temps de Haider. Et l’on n’exclut pas, malgré les quelques deux cents irréductibles qui criaient hier soir dans les rues de vienne « Nazis raus » (Nazis dehors), que le nouveau chancelier Kurz dirige une alliance ÖVP FPÖ. Lui-même, comme Macron, s’est donné pour mission de rechercher un allié avec lequel il pourra « transformer » l’Autriche. Cela serait difficilement le cas des socialistes, qu’il vient de rejeter en mai, et les autres partis, les Verts notamment, sortent laminés de l’élection. Il n’y a plus de gauche ni de centre : l’alliance entre les conservateurs et la droite radicale nationale semble la plus naturelle.
 

Avec l’Est, le mondialisme et Bruxelles doivent jeter du lest

 
Mais alors, pourrait-on dire, pourquoi parler de NEP du mondialisme, pourquoi ne pas croire à une percée raisonnable d’un populisme national grâce à cette alliance. C’est certainement ce que les Autrichiens souhaitent, ce n’est pas ce que les oligarchies cosmopolites sont prêtes à laisser advenir. Déjà, l’an dernier elles avaient suscité une espèce de Vert (dans un pays où les Verts pèsent peu, on vient de s’en assurer), Van der Bellen, pour barrer la route, de façon plus que douteuse, au FPÖ. Aujourd’hui, le Wunderwuzzi (enfant prodige) Kurz semble vraiment sorti d’un chapeau de prestidigitateur, et son programme vise trop ostensiblement à siphonner les voix du FPÖ, comme celui de Sarkozy celui de Le Pen en 2007.
 
Le mondialisme fait la part du feu, comme Lénine avec la NEP. Confronté au Brexit, il tente une expérience en Grande Bretagne. Confronté au populisme d’Autriche et d’Europe de l’Est, il se trouve obligé de lâcher du lest. Observons ce qui va se passer : peut-être, pour conserver la révolution morale et le libre échange des biens, va-t-il admettre une pose dans le libre échange des personnes. Bruxelles va peut-être assouplir certaines règles : de toute manière, avec l’immigration où elle en est arrivée, si les tendances démographiques se maintiennent, alors qu’elles mettent plusieurs décennies à changer, le mondialisme a gagné en Europe.
 

Pauline Mille