« Grâce » aux migrants, la Turquie d’Erdogan s’impose face à l’Europe

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On est loin des affabilités démocratiques d’une Turquie toute pressée de rentrer dans le giron de l’Europe… Aujourd’hui, avec la guerre syrienne et la crise des migrants qui se pressent à travers ses frontières pour gagner les terres occidentales, le président Erdogan a tiré parti de la situation et pris la main, sans compte à rendre à personne. Son excursion européenne est flagrante. Depuis son arrivée à Strasbourg dimanche, le « sultan » turc s’est imposé à la fois comme l’élément majoritaire non négociable des toute prochaines élections et le partenaire incontournable de la politique migratoire européenne.
 
A présent, contrainte et forcée par son idéologie mondialiste qui lui interdit de fermer ses frontières, c’est l’Europe qui semble lui faire des courbettes.
 

« Rencontre citoyenne contre le terrorisme » ou meeting électoral ?

 
Avant de se rendre à Bruxelles « traiter » avec l’UE de la question des migrants, Erdogan a fait un petit crochet, dimanche, par le Zénith de Strasbourg pour parler à la diaspora européenne. Officiellement, c’était une « rencontre citoyenne contre le terrorisme ». Concrètement, un meeting électoral d’ampleur, même si les organisateurs ont soutenu que ça n’avait rien à voir…
 
Les législatives turques sont le 1er novembre, mais elles commencent dès le 8 octobre dans les consulats pour les Turcs de l’étranger qui, depuis 2014, ont la possibilité de participer aux élections nationales. Ce sont leurs voix qu’Erdogan est venu réclamer, et elles sont nombreuses – en 2013, on comptait déjà 3,4 millions de ressortissants turcs en Allemagne et plus de 611.000 en France…
 
Rappelons que le parti islamo-conservateur du président, l’AKP, a perdu sa majorité absolue au Parlement au mois de juin dernier – la première fois depuis treize ans –, grignoté en particulier par le parti pro kurde HDP. Les tentatives de formation d’une coalition gouvernementale ayant échoué, il a été décidé la tenue de nouvelles élections législatives qu’Erdogan compte bien, cette fois-ci, remporter.
 

Erdogan contre le terrorisme … du PKK

 
Et ce terrorisme, alors ? Il en a été bien question, mais pas de celui auquel pense toute la communauté internationale.
 
Le discours quasi entier du président turc a été consacré à la lutte contre le terrorisme du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dont les séparatistes ont repris la lutte depuis juillet dernier. Ankara, selon les mots d’Erdogan, poursuivra le combat « jusqu’au bout » et « écrasera l’organisation terroriste », et « tous ceux qui veulent se détacher de nous, nous (…) le leur ferons regretter.
 
Pas un mot de l’État Islamique, de Daesh, d’Isil…
 
C’est parce qu’il n’est pas si opposé à l’Empire ottoman moderne qui doit se lever ?! Erdogan, devant son parterre de 12.000 personnes couvert de drapeaux rouges au croissant islamique, qui scandait Allahou Akbar, a fait montre d’un nationalisme vibrant, quasi exalté, revoyant le sultan Mehmet II faisant la conquête de Constantinople… Un nationalisme qui se greffe très visiblement, avant tout, sur l’islam. Son discours a d’ailleurs débuté par une prière collective dirigée par un imam, et hommes et femmes étaient, dans la salle, soigneusement séparés. En définitive, un sacre de la non-intégration – il est même allé jusqu’à critiquer l’absence de citoyens d’origine turque à l’assemblée nationale ou au Sénat !
 

La carte des migrants dans le jeu de la Turquie : un joker ?

 
C’était plus qu’outrancier, sur un sol étranger… Mais le dossier « migrants » est pour Erdogan, à la fois son épée et son bouclier. L’UE, qui refuse doctrinalement de fermer ses frontières, a besoin de son aide pour endiguer le flux de réfugiés qui font route sans discontinuer vers ses capitales, à travers ses terres. Et il compte bien se servir de cet impératif politique, se gonflant les plumes au passage, paré de cette armure nouvelle : les États européens ne sont plus que des « donneurs de leçons », et la Turquie, le défenseur de « la vraie civilisation » face à une Europe affectée par « la xénophobie, l’islamophobie et le racisme »… Cette dernière ne peut rien y répondre.
 
Hier, le président du Conseil européen, Donald Tusk a donc discuté avec Erdogan de ses conditions, dont la plus délicate est celle de la création d’une zone de sécurité qu’Ankara veut installer le long de sa frontière avec la Syrie et celle d’une zone d’exclusion aérienne – Moscou est contre. Et puis l’argent, il lui en faut plus. Pour ses 2,2 millions de Syriens arrivés depuis le printemps 2011, Ankara se vante d’avoir déjà dépensé 7,5 milliards de dollars : les 417 millions $ concédés par l’aide étrangère sont, en regard, maigre compensation…
 

Les humbles négociations de l’Europe

 
Concrètement, la Turquie accepterait peut-être de créer de nouveaux camps d’accueil, co-financés par l’UE, où seraient acheminés tous les migrants – pas un mot, en revanche, sur la lutte du gouvernement contre les 30.000 passeurs de ses côtes… Mais les négociations risquent d’être douloureuses ; des membres de la Commission ont prévu de se rendre cette semaine en Turquie afin de les poursuivre.
 
Qui sait, faudra-t-il bientôt saluer en elle un partenaire privilégié alors même qu’elle ne semble plus décidée à adhérer à l’Union Européenne…
 

Clémentine Jallais