Ordre de Malte : et si on visait d’abord le cardinal Burke ?  Le délégué de François a été nommé

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On a beaucoup épilogué sur les ressorts cachés de l’affaire de l’Ordre de Malte, dont le Grand Maître vient d’être démissionné par l’action directe du pape François. J’écris qu’il a été démissionné parce que c’est sous la pression, dans l’urgence, et moyennant une lettre ahurissante mettant nommément en cause le cardinal Burke que Fra Matthew Festing a laissé la place à un grand maître intérimaire, accepté la mise en place d’un délégué pontifical ayant pouvoir spirituel sur l’Ordre, et permis ce faisant la réintégration de celui autour duquel tournait le drame : Albrecht von Boeselager, soupçonné d’avoir autorisé la distribution de préservatifs et de contraceptifs sous la responsabilité de cet Ordre à la fois militaire et religieux, mais surtout catholique. Les choses sont allées très vite, et semblent confirmer que tout cela visait d’abord le cardinal Burke, cardinal patron de l’Ordre, chargé donc de le conseiller sur le plan spirituel.
 
On connaît désormais aussi le nom du délégué : le pape François vient de nommer l’archevêque Angelo Becciu qui, tout en demeurant substitut à la secrétairerie d’État, travaillera en étroite collaboration avec le Grand Maître ad interim, Ludwig von Rumerstein, notamment à la rénovation des constitutions de l’Ordre. Ce qui indique tout de même une volonté de le réorganiser selon la volonté du pape.
 

Mgr Angelo Becciu, délégué du pape François

 
La nomination d’un délégué pontifical n’écarte pas juridiquement le cardinal Burke mais il s’agit de facto d’une remise en question de son rôle, puisque tout laisse croire que le délégué de François sera chargé en pratique de le remplir.
 
La chute de Matthew Festing est-elle dès lors un simple épisode, un événement instrumentalisé pour atteindre un cardinal qui a osé exprimer publiquement, avec trois autres, des doutes – les fameux Dubia – sur la doctrine véhiculée par Amoris laetitia ?
 
Mgr Angelo Becciu a récemment implicitement dénoncé lors d’un entretien avec Vatican Insider les « Dubia », en affirmant que pour « l’unité de l’Eglise » il fallait « pleinement obéir au pape » : « Elle (…) passe avant mes propres idées, pour bonnes que celles-ci puissent être. Des idées comprenant de la désobéissance ont ruiné l’Eglise. » (Et Luther ?)
 
Le film des événements est troublant. Il y a d’abord la destitution du cardinal de la Signature apostolique où il pouvait jouer un rôle de premier plan dans les affaires de droit canonique matrimonial, intervenue, on s’en souviendra, après sa montée au créneau pour défendre la doctrine traditionnelle, notamment en ce qui concerne l’accès à la communion pour les divorcés remariés.
 
Nommé cardinal patron de l’Ordre de Malte, il semble établi que le cardinal Burke a reçu explicitement de la part du pape François la mission d’aider au « nettoyage » d’une institution séculaire, chose confirmée par lettre signée de la main du souverain pontife et remise en main propre au cardinal, notamment autour des affaires touchant à la distribution de préservatifs et de contraceptifs. La Nuova Bussola Quotidiana, qui affirme l’avoir vue, assure qu’il y était question de francs-maçons au sein de l’Ordre et de la distribution de contraceptifs.
 

Le cardinal patron de l’Ordre de Malte n’a plus que la portion congrue

 
La même publication affirme, contrairement à ce que déclare de son côté le Grand Hospitalier Albrecht von Boeselager, que loin de mettre fin à ces distributions dans certaines zones d’intervention de l’Ordre de Malte, celui qui était responsable directement de ces projets les a laissés se poursuivre au moins dans certains cas, et ce pendant plusieurs années. On en trouvera le détail ici. La NBQ affirme que les rapports de l’ONU, ou plus exactement de ses organismes de lutte contre le sida ou actifs dans le domaine de la population ont pu écrire dans leur rapport que Malteser International restait neutre sur la question des préservatifs pour la prévention de la transmission des infections sexuelles : « Il y a des situations où Malteser International doit trouver un équilibre entre l’enseignement de l’Eglise et ce qui est perçu comme tel. »
 
Le journal précise que d’autres organismes catholiques ont agi de même, notamment pour coopérer avec l’ONU et autres ONG et pour pouvoir recevoir de l’argent en vue de leurs missions. Mais voilà : l’Ordre de Malte est d’abord un ordre religieux et l’affaire n’en est que plus symbolique.
 
Une enquête interne avait été menée sur la question, confiée par Festing en mai 2015 à des moralistes catholiques de grande envergure comme les professeurs John Haas et Luke Gormally, rapporte encore la Nuova Bussola. C’est ce rapport qui avait abouti fin 2016 à ce que plusieurs demandes soient formulées par Festing auprès de Boeselager afin qu’il présente lui-même sa démission. Devant son refus, c’est bien Festing qui l’a obligé à se retirer, et on peut supposer que le cardinal Burke, en tant que conseiller spirituel, a clairement rappelé la doctrine de l’Eglise catholique à cet égard.
 

Le cardinal Burke poussé à agir, puis désavoué

 
Et c’est là que le pape François entre en jeu, prenant l’exact contre-pied de ce qu’il avait pourtant, selon des sources dignes de foi, lui-même encouragé dès le départ, en ce qui concerne le cardinal Burke. Il a nommé une commission dont Edward Pentin, très informé, a pu montrer qu’elle était composée de proches de Boeselager, afin d’enquêter non sur le fond de l’affaire des contraceptifs et préservatifs, mais sur les conditions de la mise à l’écart du Grand Hospitalier.
 
On connaît la suite : Festing a été poussé à démissionner, tous ses actes depuis l’instant où il a agi pour mettre à l’écart Boeselager le 6 décembre dernier ont été déclaré nuls, et il a dû signer une mise en accusation du cardinal Burke, rendu responsable de toutes ces démarches. Sous quelle pression, sous quelle menace ? On ne le sait pas. Car le simple amour de l’Eglise et du pape, choses fort louables, ne suffisent pas à expliquer cette démarche contre le cardinal Burke, contre lequel il faut croire qu’il n’existe pas d’éléments permettant d’exercer directement une telle pression.
 
Une autre enquête ordonnée depuis le 6 décembre par Festing, concernant un legs de quelque 120 millions d’euros à l’Ordre de Malte, est également et par le fait même annulée.
 

Le cardinal Burke, victime collatérale ou directe de l’affaire de l’Ordre de Malte ?

 
Jeudi dernier, une conférence de presse se tenait à la salle de la presse internationale au Vatican, où Boeselager, à peine réinstitué, a pu s’exprimer de manière significative. Edward Pentin rapporte longuement ses propos ; Boeselager continue de s’affirmer irréprochable rapport à l’enseignement de l’Eglise et affirme que la crise n’aurait jamais dû éclater, et d’ailleurs elle n’avait jamais affecté la souveraineté de cet Ordre militaire hospitalier. Il semble notamment y avoir de sa part une volonté de mettre plus de « démocratie » dans la gestion et à la tête de l’Ordre de Malte.
 
Au cours de sa conférence de presse, Boeselager a désigné Fra Matthew Festing et le cardinal Burke comme instigateurs de la crise, ajoutant : « Je crois que nous pouvons pas prévoir ce qui arrivera au cardinal Burke à l’avenir et nous ne ferons pas de commentaires là-dessus. Cela reste une décision à prendre par le Saint-Père. »
 
Par la même occasion, Boeselager s’est élevé contre la discrimination à l’égard de réfugiés pour des motifs « ethniques », une attaque à l’encontre de politiques migratoires dans laquelle il était difficile de ne pas voir une mise en cause directe du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump. « L’histoire a déjà fourni de nombreux exemples qui montrent les conséquences dramatiques et monstrueuses des politiques fondées sur l’origine et les groupes ethniques », a-t-il déclaré. Le vaticaniste Giuseppe Rusconi l’ayant interpellé sur l’identité de celui qu’il mettait en cause, Boeselager a tenté de botter en touche. Mais l’actualité est décidément trop brûlante pour ne pas voir vers qui se tourne son regard.
 
Y a-t-il eu une sombre manipulation dans toute cette affaire, contre un cardinal fidèle et un grand maître nommé à vie ? Sans doute est-il trop tôt pour le savoir, mais on peut du moins constater les effets de l’affaire, tant politiques que religieux. Objectivement, tout est en place pour permettre de discréditer le cardinal Burke… à moins qu’on ne veuille le sanctionner ?
 

Anne Dolhein