Synode : sur les homosexuels et les divorcés remariés, le Pape François navigue entre doctrine et dialectique

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En se focalisant sur la place des homosexuels et la communion des divorcés remariés, les médias ont présenté le dernier synode sur la famille comme une lutte entre le Saint Père et l’aile marchante de l’Eglise d’une part, les conservateurs de l’autre. Le pape François, lui, a tenu à signaler aussi la tentation de l’hyper-progressisme et a mis à mijoter pendant un an cette marmite en ébullition avant de prendre une décision. D’ici là, qui aura imposé sa vision des choses, le monde et les médias, ou l’Eglise ? La situation est étrange et incertaine pour tous. La doctrine est indiscutablement sauve, mais le regard porté sur elle est devenu dialectique.
 
La publication de la relatio synodii, document final de la première réunion des pères synodaux au Vatican, aura mis un heureux point final à la semaine de folie qui a agité le monde médiatique à l’issue du rapport d’étape, ou relatio post disceptationis. Mais les événements de ces derniers jours ont habilement introduit, ou plutôt renforcé une dangereuse dialectique dont l’objectif est quant à lui atteint : jeter le discrédit sur ceux qui affirment la doctrine, et par ricochet sur la doctrine elle-même. C’est le regard, c’est « l’angle » qui a été changé, par une opposition fallacieuse entre justice et miséricorde, affirmation de la loi divine et « accueil de chacun ».
 

Qui a le monopole du cœur ?

 
Le procédé n’est pas sans rappeler la dialectique du débat politique. Vous êtes de gauche ? C’est que vous avez du cœur. Vous refusez « l’exclusion ». Vous avez l’âme sociale. Et c’est la gauche qui a donc légitimité pour décréter que ce qu’elle abhorre est « de droite ». La droite incarne l’ordre qui s’érige face à ce sens social, et dès lors cet ordre sera, non pas forcément contesté, mais pourra être dénoncé tant qu’il sera une simple affirmation de la loi. « Droite » devient synonyme d’inhumanité, de manque de compassion, de raideur, de fixisme et j’en passe. Puisque c’est la gauche qui le dit. Cela dispense assez largement de réfléchir sur le fond des choses…
 
« Vous n’avez pas le monopole du cœur ! », lançait Valéry Giscard d’Estaing à son adversaire François Mitterrand en 1974. Laissons de côté le fait de savoir si Giscard allait engager une politique de droite – nous savons bien que ce n’est pas le cas ! – mais retenons la leçon de cette protestation historique, cette tentative de sortir de la dialectique imposée par la gauche. Quarante ans plus tard, nous en sommes toujours au même point : « gauche » est toujours synonyme de préoccupation sociale et de liberté, « droite » rime avec la défense des nantis et la rigidité des donneurs de leçons.
 
Cette dialectique idéologique n’a évidemment que faire de la réalité. Les lois, l’ordre, la sécurité, profitent (ou devraient profiter) d’abord aux plus pauvres, puisque le cadre protège ceux qui n’ont pas les moyens, la richesse, le savoir suffisants pour assurer leur propre bien-être.
 

Doctrine contre miséricorde ?

 
On ne peut transposer tel quel le raisonnement à l’Eglise mais il y a des analogies. La loi divine, la doctrine proclamée par l’Eglise indiquent ce qu’il faut croire et faire pour obtenir le salut et le bonheur, fût-ce au prix de sacrifices et de ce Soljenitsyne appelait « l’autolimitation » par laquelle l’homme se détourne de la tyrannie de ses désirs. Affirmer la doctrine et ses exigences, c’est par excellence vouloir le bonheur, le salut de tous. Affirmer la doctrine et ses exigences n’équivaut pas à se dire parfait, loin s’en faut ; cela consiste au contraire à indiquer ce qui est désordonné, ce pour quoi il faut demander pardon et conversion, une démarche qui concerne chacun et ouvre à la miséricorde infinie.
 
On sait que la relatio post disceptationis, ou rapport d’étape de cette première manche du synode extraordinaire sur la famille, a largement répandu, non seulement au sein des médias mais au cœur même de l’Eglise, l’idée qu’il était plus important de chercher le bien dans les situations de vie désordonnées que de proclamer la doctrine supposée pesante et trop exigeante. La « pastorale » n’allait pas la détruire ou la contredire : elle allait simplement, en fonction des parcours personnels, trouver le moyen de donner à chacun le sentiment qu’il peut et doit faire partie de l’Eglise.
 

Pas un synode pour les homosexuels et les divorcés remariés

 
L’« ouverture » à la communion pour les divorcés « remariés », la reconnaissance de la bonté présente au sein de situations de concubinage ou de cohabitation de couples même catholiques, la « valorisation » des homosexuels, tout allait en ce sens.
 
Si le rapport d’étape a été promptement publié en plusieurs langues, 48 heures après le vote du rapport final qui constitue un instrument de travail voté et adopté en vue de la seconde réunion du synode sur la famille l’année prochaine, il semble que seule la version italienne soit en ligne. Ce qui accrédite l’idée d’une manipulation médiatique autour du premier document : le rapport final, ou relation synodii, n’a plus d’intérêt du point de vue de la démarche dialectique et ce d’autant qu’il a bénéficié pour la presque totalité de ses articles d’un large consensus des pères synodaux.
 
Tout y a été repris, remanié, reformulé de manière à enlever la plus grande partie des aspects scandaleux ou ambigus du texte. Des ajouts de citations de l’Ecriture et du magistère clarifient le message : oui, il y a une loi, et oui, on peut montrer une préoccupation, un « cœur pastoral » sans contredire la doctrine et même – et surtout ! – en affirmant celle-ci avec clarté. C’est un sursaut qui démontre non seulement la fidélité de nombreux pères synodaux à l’enseignement traditionnel de l’Eglise, mais encore leur volonté de le défendre même face à un déferlement d’attaques provenant tant de l’extérieur que de l’extérieur.
 

La dialectique peut-elle l’emporter sur la doctrine ?

 
Mais le mal est fait. Le discours final du pape François comporte beaucoup d’aspects on ne peut plus traditionnels mais il sert lui-même et explicitement les objectifs de la dialectique en relevant les cinq attitudes qu’il a relevées parmi les pères synodaux, ce qui revient à les renfermer dans des catégories et à servir l’idée d’une opposition entre doctrine et pastorale.
 
Il pointe ainsi cinq « tentations » qui se recoupent au demeurant, mais où l’on distingue au final deux extrêmes qui seraient pareillement à rejeter. Le pape évoque ainsi la tentation du « raidissement hostile », où l’on se renferme dans la « lettre » : ce sont les « traditionalistes et des intellectualistes » qui sont rangés dans cette catégorie. A l’opposé, il y a la tentation du « bonisme distributif qui au nom d’une miséricorde trompeuse panse les blessures au lieu de les soigner et de les guérir » : celle des « progressistes et des libéralistes ».
 
Fort bien, serait-on tenté de dire : le pape n’a-t-il pas raison de dénoncer à la fois la loi sans la miséricorde et la miséricorde sans la loi, et de renvoyer dos à dos ces attitudes qui ne sont pas catholiques ?
 
Si l’opposition était vraiment celle-là, le propos serait juste. Il n’est pas matériellement choquant. Mais revenons au début de notre réflexion : le jeu de la gauche contre la droite, le discrédit jeté sur la droite par la gauche au moyen de faux procès. Dans les faits, dans les médias, dans les prises de position à l’intérieur de l’Eglise sur la ligne du cardinal Kasper – et elles n’ont pas cessé – l’affirmation de la doctrine comporte désormais une suspicion de pharisaïsme. C’est là que se situe la victoire dialectique des ennemis de l’Eglise.
 
Une victoire toutefois relativisée par le refus d’une grande majorité des participants au synode de se laisser intimider.