Pierre Moscovici parle de l’avenir de l’Europe et de l’UE à Harvard

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Quelques jours après l’élection de Donald Trump, Pierre Moscovici, commissaire européen pour les affaires économiques et financières, aura été le premier représentant des institutions européennes à rendre visite aux Etats-Unis. A cette occasion, il s’est exprimé au Centre pour les études européennes à l’université d’Harvard. Il a d’emblée qualifié le résultat « inattendu » de l’élection de « réveil douloureux » qu’il faut transformer en « appel au réveil politique ». Et c’est intéressant de voir comment cet européiste et ce mondialiste convaincu voit l’avenir de l’Europe et de l’UE…
 
Face à ce qu’il voit comme le grand « bazar » actuel en Europe, avec ses crises à répétition, Moscovici répond : « Mon message principal est très simple : pour surmonter les défis auxquels l’Europe est confrontée, nous avons besoin d’une Europe plus politique, avec une zone euro plus forte en son centre. »
 
Pour ce qui est de la légitimité de l’Union européenne, Moscovici note qu’il n’y a pas de peuple européen, mais des peuples, et des peuples qui ont « une défiance croissante à l’égard de leurs leaders » : « Bruxelles et Washington se trouvent face aux mêmes accusations : être sourds ou indifférents aux préoccupations des gens, mus par l’intérêt égoïste et par les lobbies – en un mot, on les voit comme des bulles élitistes. »
 

Le discours de Harvard du technocrate Pierre Moscovici

 
Moscovici détaille ensuite les divers échecs de l’Union européenne : la paix et la sécurité ont été atteintes par la menace terroriste, la prospérité économique n’est pas au rendez-vous, le progrès social se heurte aux « inégalités croissantes dans toutes les sociétés exposées à la globalisation », le marché unique est perçu comme une « menace » en raison du terrorisme et de la « migration incontrôlée », la responsabilité au niveau européen souffre d’une « démocratie trop indirecte »…
 
Plus globalement, Moscovici voit dans les résultats des élections américaines – en attendant les européennes – une forme de protestation des « perdants de la globalisation » : un vote « totalement rationnel » de la part de gens qui n’en tirent aucun profit. « A l’inverse, nous autres, l’établissement, sommes devenues une catégorie tout aussi identifiable que celle des perdants de la globalisation. Nous sommes homogènes, éduqués dans les mêmes écoles, souvent issus d’un environnement social et ethnique similaire. Cela pose clairement des questions sur le modèle de nos systèmes éducatifs et le fonctionnement de nos partis », a-t-il affirmé.
 
En crise politique, l’Union européenne est remise en question par les Etats membres qui estiment pouvoir mieux faire en « reprenant le contrôle ». « Les Etats-nations semblent être le seul véhicule politique capable de fournir une action efficace, une acceptabilité démocratique et le contrôle de sa propre destinée. C’est un mirage, mais il est politiquement monnayable. Le résultat en est que nos sociétés, nos économies, nos frontières sont en risque de se fermer, si nous ne parvenons pas à renforcer le contrat politique entre l’Europe et ses citoyens », affirme Moscovici. D’où cette volonté d’une « Europe plus politique, capable de proposer une vision de progrès contre toutes les Cassandre populistes ».
 

L’avenir fédéraliste de l’Europe passe par la zone euro

 
Le premier objectif, selon le socialiste Moscovici, est donc de « réduire les inégalités tout en engendrant de la prospérité ». Pour atteindre cette croissance, qui commence par la croissance de l’emploi, il faut « une Europe diverse et qui ne construit pas de murs ». Une Europe « sociale et fédérale » : il lui faut « la convergence économique soutenue par une politique ambitieuse de croissance, et la convergence sociale mû par des politiques fiscales justes et efficaces, un système de redistribution efficace, et des règles communes ».
 
Voilà exposé le projet politique du socialisme européen, en attendant sans doute le socialisme mondial.
 
Moscovici ne voit pas le fédéralisme européen surgir des Etats-nations, vu notamment les incompréhensions entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale, entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. Que faire ? Selon Pierre Moscovici, il faut le « soutien d’un tiers de confiance ». Il ne peut s’agir ni de l’établissement, ni de la Commission européenne ni d’un référendum : « Soyons réalistes, chaque fois qu’on fait un référendum sur l’Europe, la réponse est non. Le référendum est un instrument qu’il faut utiliser avec beaucoup de précaution. »
 

Pierre Moscovici rappelle que tous les référendums ont dit non à l’UE

 
Il faut plutôt, selon Moscovici, prouver que l’Europe fonctionne et montrer que c’est le niveau européen qui est habilité à agir face aux crises actuelles : « C’est le seul moyen de raviver le désir des Européens à l’égard de l’Europe. » Pour cela, il faut « un modèle transitionnel solide, entre le retranchement national et le bond fédéraliste en avant ». Le « tiers de confiance » serait donc la zone euro qui doit devenir « le cœur battant de l’Europe », capable de montrer que l’intégration n’est pas un problème, mais la solution. Cela exige de « poursuivre la pause actuelle des nouvelles adhésions tout en maintenant les discussions avec les pays candidats comme la Turquie », a précisé le commissaire.
 
Moscovici estime que la prospérité et la sécurité pourraient être de bons moteurs, en « pensant européen » dans tous ces domaines, tout en continuant de faire entrer les réfugiés au lieu de laisser la charge de leur accueil à des pays comme la Jordanie la Turquie. « L’Europe ne doit plus tourner le dos à ses valeurs », a-t-il proclamé, reconnaissant que cela suppose une meilleure sécurisation des frontières par rapport aux trafiquants.
 
Moscovici rêve aussi d’un fonctionnement plus démocratique à travers la « démocratie participative directe et l’e-démocratie ». Avec des questionnaires en ligne ?
 
Il faudrait aussi européaniser les élections européennes, à son sens, en proposant des candidats au niveau européen et non plus national, tout en créant une politique économique convergente appuyée sur politique fiscale commune qui permette de lutter contre l’évasion fiscale des multinationales.
 
Voilà le plan. On ne pourra pas dire qu’on ne le connaissait pas.
 

Anne Dolhein