Poutine en Iran : la Syrie avant tout, dans cette entente sans nuages

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Le président russe Vladimir Poutine rencontre le 23 novembre 2015 à Téhéran le guide suprême Ali Khamenei pour évoquer le conflit en Syrie.

 
Convié au 3e sommet du forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), Vladimir Poutine s’est rendu, lundi, pour la première fois depuis sept ans, en Iran. La coopération gazière, au demeurant fort importante pour ces deux pays qui comptent chacun de grandes réserves, n’était pas l’unique but du président russe. Dès son arrivée, il a été mené au bureau du Guide Suprême, l’ayatollah Khamenei, pour être reçu en audience – un protocole inhabituel et signifiant – et parler à l’unisson de la Syrie. Ce dernier lui a remis, en signe de confiance, un des plus anciens manuscrits du Coran.
 
Le média d’information iranien Sahar titre tout de go : « Poutine choisit son camp »…
 

Coopération et collaboration… surtout en Syrie

 
La BBC ne voit qu’elle : «  Il faudrait rechercher la finalité de la visite de Poutine à des milliers de kilomètres de Téhéran, à savoir en Syrie, où les coordinations irano-russes se sont transformées en un redoutable levier de pression contre l’Occident ».
 
C’est un fait, le président russe et le guide suprême d’Iran ont affiché lundi, à Téhéran, leur entente parfaite pour rejeter toutes « tentatives extérieures de dicter les scénarios du règlement politique » du conflit en Syrie. Leur soutien à Bachar el-Assad est commun et indéfectible.
 
« Personne ne peut et ne doit imposer de l’extérieur au peuple syrien des formes quelconques de gouvernance de leur État ou dire qui doit le diriger. Ce n’est qu’au peuple syrien d’en décider » a déclaré Poutine. Il en a profité pour reconnaître officiellement en l’Iran, « un allié fiable et sûr, dans la région, et, aussi, dans le monde ».
 

Poutine en Iran

 
Certains l’ont souligné : cette entrevue, pourtant permise par le calendrier du forum intergouvernemental, tombait avec une coïncidence frappante deux jours après la résolution du Conseil de sécurité réuni à Vienne qui écarte toute coalition militaire internationale et invite les États à « coopérer » seulement, quoique militairement, contre les groupes terroristes en Irak et en Syrie.
 
Sur le terrain, c’est encore Moscou et Téhéran qui mènent la danse, face à l’État Islamique. Personne ne cède, encore moins Poutine, sur le départ – ou non – du président syrien. Il se moque allègrement de l’exigence occidentale dont l’unanimité, déjà, se fractionne : les attentats ont tout retourné la France dans ses affections diplomatiques… Difficile d’imaginer l’issue des pourparlers de paix engagés à Vienne et promis avant le 1er janvier.
 
Ali Khamenei est encore plus clair : « Le plan à long terme des Américains, pour la région, est de dominer la Syrie et ensuite de prendre le contrôle » de cette Asie de l’Ouest qu’est le Moyen-Orient. « Il s’agit d’un projet qui menace toutes les nations, tous les pays, notamment l’Iran et la Russie ». Moscou semble avoir choisi son camp.
 

Place à la vente et à la livraison de matériel technologique lié au nucléaire

 
Preuve de la bonne foi et de la bonne volonté moscovites, un décret présidentiel russe confirmait, le jour même de l’arrivée de Poutine à Téhéran, la levée de l’interdiction de vente et de livraison de matériel technologique lié au nucléaire, notamment pour les sites nucléaires de Fordo et d’Arak. Moscou autorise également l’exportation depuis l’Iran d’uranium enrichi, d’un volume supérieur à 300 kg, contre le transfert vers l’Iran d’uranium naturel.
 
Notez cependant que Poutine ne fait, en cela, que respecter le cadre établi par les résolutions de l’ONU adoptées en juillet par le Conseil de sécurité, qui entérinent l’accord nucléaire du 14 juillet entre l’Iran et les grandes puissances. Accord défendu et quasiment forcé par les États-Unis eux-mêmes qui souhaitaient la levée des sanctions internationales… (pas de manichéisme).
 
L’ambassadeur d’Iran en Russie a également déclaré, hier, que le processus de livraison à Téhéran du système balistique S-300 avait commencé. La non-livraison de cette commande remontant à 2007 était l’objet d’une plainte déposée par Téhéran à la cour d’arbitrage de Genève – la Russie avait suivi, à l’époque, la politique de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies.
 

Quel rôle pour les États-Unis ?

 
Mais il semble que la donne géopolitique ait bel et bien changé depuis ces années. Ce forum des pays exportateurs de gaz a également été l’occasion de renforcer des liens nouveaux qui pourraient à terme transformer ce Moyen-Orient, où tentaient de s’imposer jusque-là les seuls États-Unis.
 
La levée des sanctions internationales va permettre à l’Iran d’augmenter sa production gazière – il pourrait passer de 173 milliards de mètres cubes de gaz par an, essentiellement destinés à son marché intérieur, à 600 milliards de mètre cubes… Rejoignant ainsi l’autre mastodonte gazier qu’est la Russie. Leur entente régionale est primordiale en la matière.
 
Le président Poutine a aussi confirmé à son homologue iranien Hassan Rohani que la Russie était « prête à accorder un crédit de cinq milliards de dollars à l’Iran » pour développer les relations commerciales entre les deux pays.
 
Quel rôle veulent décidément jouer les États-Unis ?
 

Clémentine Jallais