Politique ferroviaire : la « province » oubliée, la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan sacrifiée malgré un axe pyrénéen surchargé

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L’aménagement du territoire en France ressemble de plus en plus à un déménagement. En matière ferroviaire, tandis que la puissance publique investit 35 milliards d’euros dans le Grand Paris express, métro de 200 km autour de Paris, le récent rapport de Jean-Cyril Spinetta envisageait au nom d’une nouvelle politique de supprimer 9.000 kilomètres de lignes régionales de province, supposées « petites » mais souvent peu empruntées car délibérément sous-exploitées et dégradées. Neuf mille kilomètres, c’est presque le quart du réseau voyageurs et quatre fois la longueur des lignes à grandes vitesses. In fine, le gouvernement envisage de passer la patate chaude aux régions. Il convient de rappeler que le monopole public SNCF a déjà supprimé en 80 ans plus de la moitié des 45.000 kilomètres dont il avait hérité en 1938, record absolu en Europe. Un autre rapport, rédigé par le socialiste Philippe Duron, publié début février, envisage trois scénarios pour le développement du réseau, abordant en particulier la question des « trains du quotidien » et des lignes nouvelles. Sur ce dernier point, il prône de réduire considérablement les projets. En particulier, il limite la construction de la ligne nouvelle Provence-Alpes-Côte d’Azur à la traversée de Marseille, de Toulon et l’accès à Nice, malgré une ligne classique très peu performante. En Languedoc, il reporte aux calendes grecques le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan mixte fret-TGV, malgré un fret potentiel considérable, bien supérieur par les Pyrénées que celui qui transite par les Alpes françaises alors que le projet Lyon-Turin avance.
 

Une politique ferroviaire très orientée : deux fois plus d’investissement par habitant en Ile-de-France qu’en Occitanie

 
L’incohérence paraît avoir gagné les cerveaux des décideurs parisiens de la France jacobine. La centralisation des investissements en Ile-de-France atteint des niveaux insupportables pour qui habite en « province » et analyse les chiffres. Par exemple, pour la seule année 2018, 428 millions d’euros seront investis par SNCF-Réseau pour régénérer le réseau ferré en région Occitanie peuplée de 5,77 millions d’habitants et grande comme l’Autriche, alors que la même entreprise publique investira 1,8 milliards pour l’Ile-de-France qui en compte 12 millions, soit une somme de 74 euros par habitant en Occitanie contre 150 euros par habitants en Ile-de-France. Et si l’on compte les travaux de rénovation que mène la RATP sur son réseau régional RER, le hiatus est encore plus considérable. Pourtant, l’Occitanie est bien plus vaste et impose donc à ses habitants des distances de parcours bien plus importantes. Notons qu’en Occitanie l’essentiel de l’investissement de SNCF Réseau pour la rénovation concerne les grandes lignes « structurantes », les « petites » lignes restant à la portion congrue.
 

Les « trains du quotidien », priorité pour l’Ile-de-France, très peu pour la « province »

 
L’imprécation des deux rapports et du gouvernement sur la priorité à donner aux « trains du quotidien » paraît concerner essentiellement la région parisienne, une fois de plus. Rien n’est annoncé pour réactiver des lignes péri-urbaines stupidement fermées depuis des décennies en « province », ou celles dont la construction s’imposerait.
 
On pourrait citer maints exemples : autour de Lyon (Lyon-Trévoux, Brignais-Givors, Lyon-Vaugneray-Brindas) ; de Grenoble (Jarrie-Vizille, Rives-Saint-Rambert d’Albon) ; de Montpellier (Saint-Brès-Sommières-Nîmes, Saint-Jean de Védas-Poussan, lignes nouvelles vers Gignac ou La Grande-Motte) ; de Marseille (Rognac-Aix en Provence, Gardanne-Brignoles-Carnoules, Aubagne-La Barque, Pertuis-Cavaillon)… Notons que les TER (trains du quotidien hors Ile-de-France) voient leur chiffre d’affaires progresser en 2017 de 3,6 %, croissance supérieure à celle du Transilien (+3,3 %), et cela malgré un réseau provincial sous-dimensionné et en rétrécissement continu.
 
Côté lignes nouvelles, le rapport Duron est ouvertement malthusien alors que les résultats commerciaux des TGV sont en forte hausse en 2017 (+8,7 % pour TGV France) et que même les trains classiques Intercités repartent à la hausse à +3,7 %. Quant au transport de fret marchandises et multimodal SNCF, son chiffre d’affaires rebondit de 3,6 %, redonnant une crédibilité aux projets de lignes nouvelles fret (contournement est de Lyon) ou mixtes grande vitesse-fret (Montpellier-Perpignan). Ce sont pourtant ceux-là mêmes que le rapport Duron a décidé d’enterrer !
 

Montpellier-Perpignan sacrifié malgré un trafic sur l’axe pyrénéen plus du double de celui des Alpes françaises

 
Le projet Montpellier-Perpignan est emblématique. Son objectif n’est pas de servir à un fort trafic Paris-Barcelone : tout ne se pense pas en fonction de Paris. S’il est réalisé en voie mixte fret-TGV de bout en bout, il répondra à un trafic pyrénéen considérable, bien supérieur à celui des Alpes françaises. Le col du Perthus voit passer 44,95 millions de tonnes de fret routier par an dans 3,2 millions de véhicules. A l’ouest de Pyrénées, Biriatou voit passer 43,26 Mt. Côté Alpes françaises, Vintimille voit passer 19,23 millions de tonnes, le Fréjus 10,74 Mt, le Montgenèvre 0,96 Mt et le Mont-Blanc 6,88 Mt. Au total, 88,21 millions de tonnes passent les Pyrénées par la route chaque année, contre 37,81 millions par les Alpes françaises. Et pourtant, le rapport Duron reporte le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan, estimé de 3 à 5,3 milliards d’euros pour 150 km (selon qu’il serait pour tout ou partie ouvert au fret) alors qu’il maintient celui du Lyon-Turin, estimé à 8,5 milliards pour la seule partie transfrontalière, ne remettant en cause que ses accès côté ouest. Dans les Alpes, le transit fret s’effectue principalement par la Suisse et l’Autriche.
 

Le rapport Duron sacrifie Montpellier-Perpignan alors que la ligne classique est saturée et fragile

 
L’abandon du projet jusqu’à Perpignan et du nouveau tunnel du Perthus est d’autant plus inquiétant que la ligne classique est saturée et fragile. Elle court sur le fragile cordon littoral entre Sète et Agde et au milieu de l’étang de Bages entre Narbonne et Port-la-Nouvelle. Le taux de retard des trains y est parmi les plus importants de France, avec 50.000 à 75.000 minutes perdues chaque année par chaque gare de Montpellier à Cerbère. Cet axe, qui cumule entre Nîmes et Narbonne les flux entre Lyon/Marseille-Toulouse/Espagne, fait partie des dix axes les plus circulés en France par les trains de fret. Parallèlement l’autoroute A9, doublée au droit de Montpellier, affiche aussi parmi les plus forts trafics européens. C’est la raison pour laquelle la ligne du Contournement de Nîmes et Montpellier (CNM, 80 km), ouverte en décembre 2017, permet déjà de soulager la ligne classique qui lui est parallèle en admettant un surcroît de fret. Mais le problème est reporté en aval.
 
Il serait temps que les cabinets parisiens considèrent que la France ne se limite pas à sa capitale et que ses territoires « éloignés » sont tantôt en voie de désertification, tantôt en voie de thrombose.
 

Matthieu Lenoir