L’impossible réforme du secteur public : Radio-France en crise persiste dans sa grève

Radio-France greve reforme secteur public
 
Va-t-on arriver à un mois de grève ? Depuis 27 jours, le media gouvernemental Radio-France ne diffuse plus ses programmes habituels – les sept stations de la radio publique française s’en tiennent à des messages préenregistrés et des programmes musicaux tout faits. Le médiateur nommé vendredi par Fleur Pellerin, et qui s’est escrimé tout le week-end à trouver une solution n’a pas empêché la reconduction de la grève pour ce jour. Matthieu Gallet, le jeune et nouveau PDG de Radio France, fraîchement élu en mai dernier, ainsi que les représentants de l’intersyndicale de la radio devaient être auditionnés cet après-midi au Sénat. Pour le nouveau président, Radio-France est « au bout » de son modèle économique. Pour les salariés de ce secteur public, c’est une autre histoire : la réforme ne passe pas.
 

Radio-France en grève : les révélations du Canard Enchaîné

 
Matthieu Gallet avait déjà averti en janvier que le déficit atteindrait 21 millions d’euros fin 2015, si rien n’était fait. Il avait réuni ses cadres dirigeants et commencé à mettre en place une stratégie de réforme des coûts, quand les syndicats ont découvert un de leurs documents de travail qui disait envisager, en plus des réformes structurelles et internes, la réduction de la masse salariale de 25 millions d’euros, autrement dit 250 à 300 postes d’ici 2017 – sur 4.600 salariés, soit 7% d’entre eux.
 
Et dans une entreprise au « statut de bien public gâté pendant des décennies » comme l’a dit BBC Online, ça ne passe pas. La grève était lancée, en particulier chez les techniciens.
 
Les révélations du Canard Enchaîné et de Libération ont jeté de l’huile sur le feu syndical. Les frais de rénovation exorbitants du bureau de Matthieu Gallet, sa nouvelle Peugeot intérieur cuir, ses frais de conseil proches du million d’euros, etc… Le nouveau président parle d’une « campagne de déstabilisation particulièrement violente » contre laquelle il a apporté toutes les justifications nécessaires. Mais les raisons de l’intersyndicale relevaient davantage de « la crise de confiance vis-à-vis du PDG, et surtout vis-à-vis de ses choix stratégiques pour l’avenir ».
 

Un bilan financier désastreux

 
La vraie mise au point a été faite par la Cour des Comptes dans un rapport explosif publié au début du mois d’avril qui a examiné l’usage des fonds publics mis à la disposition de l’entreprise, la qualité de sa gestion, ainsi que ses capacités d’évolution. Les anciens présidents de Radio France, Jean-Paul Cluzel et Jean-Luc Hees dénoncent un rapport à charge. Mais les chiffres sont là qui accusent « un développement peu ordonné et dispendieux ».
 
« Les budgets des antennes de Radio France ont augmenté de 27,5%, sans recherche de coordination des activités ni de mutualisation des moyens ». Rien que pour France Info et FIP, la masse salariale a augmenté entre 2004 et 2013, de plus de 60 %, alors que les recettes sont particulièrement médiocres et que les budgets alloués ne le justifiaient en rien. D’autant que les salariés sont spécialement choyés par « un régime de conditions de travail très favorable », qui leur donne au bout du compte près de 14 semaines de vacances – ce qui « aboutit à pourvoir un poste par au moins deux, voire trois personnes »…
 
Ajoutée à cela, l’énorme opération de réhabilitation en site occupé de la Maison de la radio, mal maîtrisé, qui, des 262 millions d’euros prévus initialement, risque d’atteindre 575 M€… En tout état de cause, le rapport prévoit pour la fin 2015, une trésorerie négative d’une centaine de millions d’euros. De lourdes pistes de restructuration sont en vue, des fusions des rédactions au regroupement des orchestres.
 

L’impossible réforme du secteur public : mais l’État dans tout ça ?

 
L’État, bien évidemment, s’en mêle. Et c’est logique, puisqu’il est le seul actionnaire de la société anonyme RadioFrance, dont le chiffre d’affaires – 641 M€ en 2013 – provient à 90% du produit de la contribution à l’audiovisuel public, c’est-à-dire de la redevance. Fleur Pellerin qui exerce en tant que ministre de la culture, la tutelle sur Radio France est donc très vite montée au créneau demander des « propositions précises et fermes ». Elle était encore hier soir auprès des syndicats, à défendre à la fois la nécessité des réformes du PDG – auxquelles l’État a donné son feu vert avec en sus une dotation exceptionnelle de 80 millions d’euros – et le « dialogue social », face à une intersyndicale très ancrée (six syndicats représentatifs au comité central d’entreprise) et très remontée.
 
Mais la faute à qui, cette situation, ce « malaise profond » comme elle a pu le dire ?! Sûr que les revendications syndicales de cette entreprise relativement choyée sont globalement irrecevables – cela démontre une fois de plus la difficulté fondamentale de réformer le secteur public français… Mais l’État a-t-il joué son rôle de superviseur ? Il n’a guère tenu compte des conséquences financières du chantier de réhabilitation de la Maison de la Radio, entrepris depuis dix ans – un désastre financier, sur lequel pratiquement aucun audit interne n’a été réalisé. Radio France qui appelait une augmentation de 16,4% de ses versements entre 2009 et 2014, a vu ses versements diminuer de 7% ces deux dernières années.
 
Mais surtout, c’est l’État qui a laissé grandir cette aisance salariale et se renforcer l’absence totale de remise en question : « de 2006 à 2013, la croissance régulière de la dotation publique versée à Radio France, au demeurant deux fois supérieure à celle des dépenses du budget général de l’État, n’a pas été assortie d’objectifs de réforme assignés à l’entreprise » pointe le rapport.
 
Il semble que l’État a laissé vivre un gros mammouth et qu’aujourd’hui, il se lave fébrilement les mains.
 

Clémentine Jallais