Philippot, Le Pen et la refondation : Vatican II pour le FN ?

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Marine Le Pen et Florian Philippot divisés appellent les cadres du FN à préparer ce week-end la refondation de leur parti, que consacrera au printemps prochain un congrès. Tout doit-il changer, comme lors de Vatican II, ou tout doit-il au contraire « redevenir comme avant » ? La question est – mal – posée par tout le monde.
 
Refondation ? On pourrait aussi bien dire Aggiornamento. Le FN entend se mettre au goût du jour dans l’espoir de faire oublier ses désillusions électorales du printemps dernier et de repartir de l’avant. L’Eglise catholique romaine, dans un mouvement analogue, changea de contenu avec Vatican II mais garda son nom ; le FN entend changer le sien par-dessus le marché, car, à en croire son vice-président Florian Philippot, il « suscite une hostilité, un blocage immédiat chez encore beaucoup trop de Français ».
 

Philippot : tout va très bien au FN, Mme la Marine !

 
Selon Florian Philippot, tout va à peu près bien au FN, la présidentielle et les législatives sont des succès, la ligne politique que, chargé de la stratégie, il a proposée et que Marine Le Pen a entérinée, portera ses fruits à condition de la mener à terme, en changeant de nom et en étant « capable de parler à tous les Français, sur tous les sujets, en sortant du discours naturel sur l’immigration et l’insécurité ».
 
Pour lui, ses adversaires qui proposent de revenir aux « fondamentaux du FN » que sont l’immigration, l’insécurité, l’islamisme, ramèneraient le parti « vingt ans en arrière » et le conduirait « dans le mur ».
 

Pour réussir la refondation, comprendre les fondations

 
Cette vision est un déni de la réalité et une caricature. Déni parce que les élections du printemps ont bien été un échec pour le FN, et que cet échec est l’effet de la ligne que Marine Le Pen et lui ont lancée. Caricature parce que les fondamentaux du FN sont plus étendus que ne le croit Philippot. S’il avait participé aux travaux du FN voilà vingt-cinq et trente ans, il saurait que les argumentaires, la doctrine et le programme y étaient infiniment mieux travaillés qu’aujourd’hui, par un grand nombre de cadres compétents et convaincus, beaucoup moins intéressés par l’argent et les places qu’aujourd’hui. Philippot et ses semblables feignent de ne pas voir que le concept autour duquel tout s’articule est l’identité, identité politique, culturelle, ethnique, bien sûr, mais aussi spirituelle. Ni l’économie ni le social dans cette optique ne sont négligeables, mais ils se trouvent subordonnés à l’identité, et si l’immigration, comme le libre échangisme mondialiste socialiste, a une si grande importance, c’est qu’elle a une incidence sur toute la vie quotidienne des Français et sur tout le destin de la France. En 1917 Clemenceau avait pour seul programme « Je fais la guerre, je fais la guerre, je fais la guerre », parce qu’elle englobait tout et que rien ne pouvait se concevoir sans elle.
 

Philippot et Le Pen ont fait le succès de Mélenchon

 
L’erreur de Marine et Philippot, ce n’est pas d’avoir demandé la sortie de l’euro, c’est de n’avoir pas correctement centré le projecteur sur la guerre en cours : l’important, c’est l’identité. La souveraineté monétaire n’est qu’un moyen de la défendre, important, mais moins que la défense de la vie ou la fermeture des frontières à l’invasion, et certainement pas le plus populaire : il était donc maladroit de le monter en épingle. La « mélenchonisation » du discours du front national, la reprise ringarde de slogans socialistes des années quatre-vingt, outre leur niaiserie propre à effrayer le bourgeois et à faire sourire l’homme cultivé, a eu un effet catastrophique : c’est de redonner de l’autorité à un discours gauchiste complètement démonétisé.
 

Fin de l’exception du FN ?

 
On a accusé un moment Sarkozy de « courir après l’extrême droite », on pourrait dire que Philippot et Le Pen ont couru après l’extrême gauche et par là même fait la fortune de Mélenchon. S’il tient aujourd’hui le crachoir et se pose en premier opposant à Macron, c’est en partie grâce à la direction actuelle du FN. Elle a concouru à la manœuvre mise en route par le système pour aboutir à la fin de l’exception française en matière de populisme en Europe du Sud : en Grèce, en Espagne, Podemos et Syriza ont cannibalisé la colère populaire au profit de l’extrême gauche, en Italie le mouvement Cinq étoiles est très ambigu : seule la France avait donné la puissance tribunitienne à un parti souverainiste et identitaire à la fois, le FN. C’est en train de changer à cause de Marine Le Pen et Philippot.
 

L’électeur FN devant le suicide de Zorro

 
C’est l’aboutissement d’un phénomène que j’ai nommé ici-même le suicide de Zorro. Le peuple pressuré et méprisé avait, au moins dans son imagination, un recours, qui faisait battre son cœur. C’est fini. Hervé de Lépinau, l’ancien suppléant de Marion Le Pen, adversaire de Philippot, vient d’écrire sur Boulevard Voltaire que « l’enthousiasme ne se décrète pas, il se vit ». L’étymologie nous dit que l’enthousiasme, c’est être habité par un dieu : la réalité politique demande au moins d’être habité par un élan, une idée, une fierté. C’est ce qui a manqué au FN une fois épuré, et privé de la ferveur populaire qui s’occupe moins de subtilités économiques que de la grandeur de la France. L’erreur de l’énarque bas de classement qu’est Philippot, c’est qu’il conçoit la politique comme on la lui explique dans son cours de sociologie. Il n’a pas compris la spécificité du FN de naguère : ce n’était pas une agglomération de rondelles de saucissons et de CSP, c’était un vote de conviction nationale qui rassemblait la concierge et la marquise. On y croisait, comme dans une gare macronienne, des gens qui ne sont rien depuis 1945 et des gens qui réussissent depuis Bouvines.
 

Philippot court après l’extrême gauche et la renfloue

 
Cette cécité, cette faiblesse d’analyse tout au moins, débouche sur absence totale de stratégie chez celui qui se revendique le stratège du FN, et en même temps chez sa patronne. Philippot et Marine Le Pen entendent « accueillir » des patriotes « au-delà du FN ». Fort bien, c’est en effet nécessaire pour constituer une majorité, et ça ne mange pas de pain. Mais où les chercher et comment les séduire ? La ligne suivie depuis cinq ans prétendait les trouver à gauche. Elle n’a rien donné, provoquant au contraire le succès de Mélenchon, et cela se comprend aisément : quand un homme de gauche, poussé par l’expérience (le plus souvent le contact avec l’invasion), lorgne vers la solution nationale (le plus souvent le FN), ce n’est pas pour entendre parler des vieilles lunes de la gauche, qu’il abhorre et qu’il rend responsables de son malheur. Les communistes qui depuis le début des années quatre-vingt ont rejoint le FN ne veulent plus entendre parler du mensonge communiste.
 

Le FN de Jean-Marie Le Pen pêchait à droite voilà trente ans

 
Mais, dans l’affolement de la refondation, et pour faire pièce sans doute à ses adversaires marionistes, Philippot, en pleine contradiction, cherche maintenant des appuis à droite. Il préconise de s’entendre avec Henri Guaino, Nicolas Dupont-Aignan. C’est follement neuf. C’est ce que fait Bruno Gollnisch, pourtant réputé plésiosaure en chef du canal historique du FN, c’était déjà la démarche de Le Pen (Jean-Marie) dans les années quatre-vingt.
 
Cela pose d’ailleurs la question du sens du ralliement de Philippot au FN et de l’accord passé avec celui-ci par Dupont-Aignan. Sans parler de complot, la vie politique est une succession de manœuvres, et l’on constate que l’action de l’un à l’extérieur et de l’autre à l’intérieur aboutit à un affaiblissement et à un risque d’éclatement sans précédent du FN.
 

Philippot, Le Pen, et la soumission au nouvel ordre moral

 
D’autant que la ligne politique sur laquelle le FN a échoué est celle de Marine Le Pen. Philippot ne paraît pas disposé à jouer le rôle de fusible et elle n’a rien à opposer à des arguments qui sont les siens. La difficulté est d’autant plus grande que les adversaires de Philippot n’offrent pas de front uni et ne sont d’accord que pour essayer de le virer. Sur la question de l’avortement que l’on prétend un droit de la femme, Gilbert Collard par exemple s’est abstenu. Et Marine elle-même partage le désir d’aggiornamento sociétal de son second. Elle diffère en cela de son père et s’est mise toute seule dans le piège. JMLP disait en son langage fleuri qu’il « ne faisait pas la police des braguettes ». Sous la muleta de la formule gisait une pensée politique fine : le politique ne veut pas connaître de l’intime quand celui-ci n’a pas de répercussion politique. Le vieux FN ne faisait pas de confusion entre morale et politique.
 

La refondation : Vatican II ou anti-Vatican II ?

 
A l’inverse, Philippot et Marine Le Pen s’y vautrent. Pour satisfaire le lobby LGBT, mais surtout pour se soumettre à la nouvelle morale arc-en-ciel (c’est-à-dire contre les frontières de toute nature), qui est très contraignante, très puritaine et très convenable – la licence sexuelle étant la seule soupape de sécurité du système, comme le chômage est la seule variable d’ajustement du socialisme mondialiste libre échangiste en zone euro.
 
Un question de fond se pose aujourd’hui : est-ce que la refondation du FN, à l’instar de Vatican II, va entériner la mutation du FN entreprise voilà cinq ans, va soumettre en fin de compte cette vraie France insoumise dont Jean-Marie Le Pen avait assumé la charge vaille que vaille aux exigences morales du système ? Ou au contraire est-ce que, sous la pression de la base, Marine Le Pen, se séparant de Philippot et sa bande, va rétablir une doctrine populiste vraiment libre ?
 

La chance de Marine Le Pen, c’est la menace de déroute

Cette dernière solution est peu probable, étant donné les faiblesses doctrinales et spirituelles montrées par Marine elle-même et par les principaux adversaires de Philippot. Et l’accent mis sur l’euro semble de mauvais augure. En effet, il est plus facile de se mettre dans une ornière que d’en sortir. Faire de l’euro un argument de campagne principal fut une grosse erreur. Mais abandonner l’abandon de l’euro en serait une aussi. Car l’euro lui-même est une erreur capitale, on ne saurait imposer sans dommage (et les dommages ont eu lieu) une monnaie unique à un bassin économique hétérogène, dont les composantes ont en outre et surtout des objectifs politiques et des identités différents. L’abandon de l’euro fait partie des conditions de l’indépendance nationale, même si on peut le différer pour des raisons tactiques.
 
Déchiré en factions, coincé dans ses contradictions, sans chef « enthousiasmant », sans doctrine claire, le FN, qui n’a jamais paru si puissant sur le papier, n’a jamais été si près de sa fin dans les faits. C’est paradoxalement la chance de Marine Le Pen. Elle devrait, dans de telles conditions, bénéficier du réflexe naturel de légitimité, qui, dans la peur des lendemains qui déchantent, rassemble l’armée en déroute autour de son général.
 

Pauline Mille