La Russie de Poutine, monstre militaire mais nain économique, déstabilisée par les sanctions, menacée de déclin

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La Russie est-elle un monstre militaire qui menace la stabilité du monde, du moins de celui rêvé par les élites globalistes anglo-saxonnes, alors qu’elle vient d’être frappée par une nouvelle salve de sanctions américaines ? Si l’on observe son économie, on relativise. Ambrose Evans-Pritchard, analyste du Daily Telegraph, estime qu’elle est menacée de déclin. « L’économie russe était plus petite que celle du Texas avant même que ne soient imposées par Washington les dernières sanctions en date, qui sont aussi les plus handicapantes », écrit-il. Pire, elle s’est encore réduite au niveau de celle du Benelux après l’effondrement du rouble de 10 % cette semaine, plus forte baisse depuis les années 1990. Pourtant, nain économique, la Russie de Vladimir Poutine se pose comme un superpouvoir de classe mondiale. « Le plus stupéfiant, c’est que quelqu’un puisse encore donner crédit à une telle posture », s’étonne Evans-Pritchard.
 

La Russie de Poutine a gaspillé en armements la pluie de richesses tombée de 2005 à 2014

 
Sous le gouvernement de Vladimir Poutine, la Russie a gaspillé en réarmement la pluie de richesses engendrée par l’envol des prix des produits de base de 2005 à 2014, et a liquidé ce qui restait de base industrielle soviétique. Moscou est parvenu – jusqu’ici – à maintenir au pouvoir son allié syrien, mais cela reste un élément secondaire dans l’évaluation des grands équilibres géostratégiques.
 
Le Kremlin qualifiait jusqu’ici les sanctions occidentales de piqûre de moustique. Le ton a changé. « Ces mesures deviennent les armes d’une véritable guerre économique », a dénoncé le Premier ministre russe Dimitri Medvedev. Le texte du ministère américain du Trésor annonçant les sanctions – destinées à « punir une activité mondiale pernicieuse » – est assez comique mais pose un défi potentiellement mortel à l’oligarchie en place autour de Vladimir Poutine, susceptible de provoquer une révolution de palais. Il accuse ouvertement Oleg Deripaska, roi de l’aluminium à la tête de Rusal, « d’avoir ordonné l’assassinat d’un homme d’affaires ». Il rapporte des allégations selon lesquelles Suleiman Keerimov, de Polyus Gold, aurait blanchi des centaines de millions d’euros en achetant des villas en France, « transportant dans ses valises jusqu’à 20 millions d’euros à chaque voyage ». Deripska a qualifié les sanctions « d’infondées, ridicules et absurdes ».
 

Les sanctions du Trésor américain contre la Russie visent des valeurs financières existantes

 
La nouveauté, dans ces sanctions, c’est qu’elles visent des valeurs financières existantes. Les précédentes mesures occidentales prises à l’encontre de la Russie, en 2014, avaient eu des effets pervers en frappant des émissions nouvelles, ce qui avait fait monter les cours des obligations anciennes et rassuré les investisseurs étrangers. Le dernier tour de vis renvoie de grandes multinationales russes au rang de parias, telles Rusal qui a été exclue du London Metal exchange et dont les actions à la Bourse de Hong Kong ont perdu 58 % cette semaine. Aucun Américain ne peut plus commercer avec une société frappée de sanctions et aucun Européen ne peut s’y risquer sans provoquer des « sanctions secondaires » à ses dépens de la part du Trésor américain. Les banques chinoises pourraient en profiter et prêter (fort cher) à la Russie mais elles y regarderont à deux fois. Le système international de paiements, largement dollarisé, offre au Trésor américain une profondeur d’action considérable. Le titre de la Sberbank a perdu 17 % en début de semaine alors qu’elle n’est pas sanctionnée.
 
Le vice-Premier ministre russe Arkady Dvorkovitch a assuré que l’Etat soutiendrait les entreprises sanctionnées. Pourtant, le Fonds de réserve est épuisé et les 67 milliards de dollars du Fonds de sécurité sont engagés. Le Kremlin devra puiser dans les 453 milliards de dollars de réserves en devises de la banque centrale. « Si les sanctions perdurent et qu’elles sont étendues, la garantie sera insuffisante », écrit un éditorial du quotidien Vedomosti.
 

La Russie, nain économique, risque le déclin, ses salaires industriels sont inférieurs à ceux de la Chine

 
Mais le véritable défi pour la Russie est le déclin. Le pays est pris dans un cycle autoalimenté, ses infrastructures se dégradent fortement et ses jeunes cerveaux s’expatrient. Malgré la fin de la grande récession de 2015 et 2016, le revenu par tête reste bloqué à 8.800 dollars et les salaires dans l’industrie sont inférieurs à ceux pratiqués en Chine orientale. Aucun modèle de croissance n’est en place pour le XXIe siècle. Le plan d’autarcie lancé voici trois ans par Vladimir Poutine pour briser la dépendance aux matières premières (80 % des exportations pendant le boom), a avorté. Le besoin d’engins agricoles étrangers devait être réduit de 56 %, celui d’équipements industriels de 34 % : la Russie en importe toujours plus.
 
La Russie reste l’otage du pétrole et du gaz, or la production d’huiles de schiste américaines bouleverse le secteur, bloquant toute hausse des cours par le lancement de nouvelles exploitations. Or les coûts de production russes augmentent et les anciens champs voient leur rendement chuter de 3 à 5 % par an en Sibérie. La production pourrait chuter de 50 % d’ici 2035 faute d’investissements.
 

Le réarmement militaire engagé par Vladimir Poutine a asséché les finances de la Russie

 
Or le réarmement engagé par Vladimir Poutine a asséché les finances de la Russie. Son budget de la défense a bondi de 8,1 % en valeur réelle en 2014, puis de 15 % pendant la folle année 2015, alors que l’économie se contractait déjà. Le ministre des Finances Alexei Kudrin démissionna, affirmant qu’on allait ruiner le pays. Comme au même moment l’Occident sacrifiait ses moyens de défense, aggravé par l’austérité imposée par l’Union européenne, Vladimir Poutine put se poser en maître des cérémonies. Mais le vent tourne, l’Occident se réarme et la Russie ne peut plus soutenir son effort militaire. Un régime autoritaire reste dangereux. Mais le règne de Poutine est un échec.
 

Matthieu Lenoir