“Sainte Anne, de Jérusalem à Auray” : Anne Brassié

Sainte Anne Jerusalem Auray Anne Brassie
 
Il est tout fin, ce petit livre. Mais peu de mots suffisent à l’évidence. Et Sainte Anne est avant tout une évidence, pour nous Bretons, pour nous Français, pour nous catholiques. Dans Sainte Anne de Jérusalem à Auray, Anne Brassié esquisse les traits séculaires de cette tradition ininterrompue qui traversa les siècles, portée par ses témoins. Elle a pour elle l’insigne dévotion que l’on porte à son saint patron, l’amour respectueux qu’on a pour la mère de sa mère, l’absolue déférence qu’une bretonne peut porter à la « Mamm goz ar Vretoned », la « Grand-Mère des Bretons »…
 

De Jérusalem…

 
Sainte Anne, nous rappelle Anne Brassié, n’est évoquée ni dans la Bible, ni dans les Évangiles. « Seuls les Évangiles apocryphes et le protévangile de Jacques, rejetés de la liste des textes canoniques par les conciles du Ve siècle, la font exister…. » Elle s’y réfère pourtant, ainsi qu’au Legenda santorum de Jacques de Voragine, du XIIIe siècle. Et recourt même aux visions de certaines âmes privilégiées, comme Anne Catherine Emmerich ou le carme Tomas de Saint-Cyrille au XVIIe siècle.
 
C’est ainsi que nous apparaît Sainte Anne, rejoignant à la Porte Dorée son époux Joachim, revenu de son douloureux exil volontaire, désespéré qu’il était de la stérilité de leur union. Sainte Anne, sur le point de mettre au monde « l’éternelle bénédiction », cette petite Marie promise par l’ange Gabriel. Sainte Anne, enfin, offrant au Temple, à l’âge de trois ans, cette enfant unique, parce qu’avant toute chose, il fallait servir Dieu. « Pie creditur ! » chante Anne Brassié !
 

… en passant par la Méditerranée…

 
C’est le pape Grégoire XIII, qui par une bulle en 1584, honora cette « dévotion dont l’ancienneté remonte aux premiers siècles de l’Église » et institua sa fête dans le calendrier romain au « sept des calendes d’août », c’est-à-dire le 26 juillet…. Cette ancienneté, il faut en retrouver les traces et l’aide du père Charland n’est pas de trop. Ce père dominicain québécois consacra une grande partie de sa vie à l’étude du culte de Sainte Anne, de Jérusalem à Auray précisément, et s’intéressa tout particulièrement aux indices datant d’avant le XIIe siècle.
 
Documents littéraires, écrits de l’Église orientale, monuments et œuvres artistiques, témoins de papier ou de pierre… Anne Brassié nous promène du Ménologue de Basile conservé au Vatican, admirable parchemin aux lettres d’or du Xe siècle, jusque sous les voûtes de l’église construite sur les lieux de la maison de Joachim par sainte Hélène, devenue Sainte Anne de Jérusalem. Dès les premiers siècles, les sanctuaires se sont multipliés, des rivages de Crimée aux côtes de la Méditerranée où Lazare, Marthe et Marie-Madeleine ont porté son souvenir et même, vraisemblablement, sa dépouille : un certain 26 juillet 801, Charlemagne retrouva miraculeusement dans la cathédrale d’Apt le corps même de la sainte que les invasions du Ve siècle avaient fait dissimuler sous de simple dalles.
 

… à Auray

 
Reste le plus grand hommage : Sainte-Anne-d’Auray… Anne Brassié lui consacre son troisième et dernier chapitre. Alors que la Réforme avait malheureusement commencé à pénétrer cette Bretagne pourtant bien chrétienne depuis le IIIe siècle, Sainte Anne apparut, en 1623, à un certain Yvon Nicolazic, homme simple et pieux, qui habitait le village de Keranna, littéralement « village d’Anne ». Pour lui rappeler que sur son champ « du Bocenno », autrefois, il y avait eu une chapelle, « la première que les Bretons eussent bâtie en mon honneur » et que, détruite au début de l’an de grâce 700, il fallait aujourd’hui la reconstruire.
 
Les difficultés ne manquèrent pas à l’établissement de la véracité de ces apparitions. Mais la ferveur populaire, portée par la découverte miraculeuse de la statue de Sainte Anne que le champ du Bocenno recouvrait depuis plus de 900 ans, finit par emporter les dernières incrédulités cléricales. Et les miracles se multiplièrent.
 
Même la Révolution n’y vint pas à bout. Elle aura beau brûler la statue dont un témoin récupérera néanmoins un morceau, tenter de fermer à tout jamais ce sanctuaire « maudit », rien n’y fit. Les Bleus l’avaient dit dès la fin de 1797 : « Jamais les municipaux ne parviendront, même au péril de leur vie, à soustraire ce lieu au fanatisme…on a beau fermer les portes, elles s’ouvrent toujours ; on irait jusqu’à la maçonner, le peuple continuerait à venir ici ; qu’on réduise la chapelle en cendres, la place sera toujours fréquentée »…
 

Sainte Anne d’Auray : un site sacré (Anne Brassié)

 
Sainte Anne l’avait dit à Nicolazic : « Tous les trésors du ciel sont en mes mains ». Et nul ne s’y trompe. Pas même les monarques, tel Anne d’Autriche demandant un fils ou ce grand monarque qui à la fin des temps, selon une vieille prophétie du XIe siècle, viendra d’Irlande balayer l’envahisseur venu d’au-delà de l’Elbe et fléchir le genou devant la madone… Anne Brassié parle d’un site sacré « où convergent, de manière unique, pour un si petit terroir, des événements mystiques, guerriers, monarchiques et prophétiques ». Il ne faudra pas l’oublier.
 
Sainte Anne – De Jérusalem à Auray : Anne Brassié, éditions Artège, 134 p.