Sous les pierres, la Bible

Sous pierres bible
Estelle Villeneuve Sous les pierres, la Bible, Bayard, 2017,
264 pages, 26,90 Euros

 

Sous les pierres, la Bible, sous-titré Les grandes découvertes de l’archéologie, est un ouvrage agréable à la lecture, et précieux pour ses illustrations. L’ouvrage propose une forme de voyage dans le Proche-Orient biblique ancien, à travers de très belles photographies des découvertes archéologiques majeures, accomplies depuis le début du dix-neuvième siècle dans la région. Les photographies proposées sont d’une grande diversité, alternant pierres monumentales sculptées, papyrus appartenant à des codex antiques, pierres royales couvertes d’inscriptions, et cartes postales de la fin du dix-neuvième siècle. Ces dernières sont précieuses, car elles montrent souvent des paysages qui ont complètement disparu. S’il faut se méfier du cliché sur l’Orient immuable de -2000 à +1900, ces paysages ressemblent quand même beaucoup à leurs lointains prédécesseurs bibliques, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Plus intéressant encore, les sites archéologiques sont montrés dans leur état général initial ; ils ont été souvent particulièrement dégradés, saccagés et pillés au fil des décennies.
 
Les photographies sont mises en lien avec les dates importantes des découvertes archéologiques qu’elles illustrent, de 1828 à 2007. Une carte en fin d’ouvrage permet de situer précisément tous les lieux évoqués.
 
L’auteur, Madame Estelle Villeneuve, maîtrise parfaitement le sujet. Elle est archéologue, spécialiste du Proche-Orient biblique. Elle collabore aussi à la revue « Le Monde des Religions », que nous apprécions fort peu pour son esprit général très relativiste, alternant rationalisme – toutes les croyances religieuses seraient de pures inventions humaines, une forme de poésie – et gnosticisme – tous les mythes et toutes les religions auraient une source commune -. Aussi avons-nous lu cet ouvrage avec attention et précaution. Toutefois, dans le cœur de l’ouvrage, on ne remarque surtout que la compétence de l’archéologue et un bon esprit. On sent l’amour de son métier d’archéologue et un intérêt très positif, dans une perspective honnête, pour ces découvertes historiques en archéologie biblique.
 

QU’EST-CE QUE L’ARCHEOLOGIE BIBLIQUE ?

 
Qu’est-ce que l’archéologie biblique ? Ces termes sont-ils pertinents ?
 
L’archéologie est la science, apparue au milieu du XVIIIème siècle, qui étudie les restes des civilisations disparues. Le sens étymologique signifie l’étude de l’ancien –au sens premier, le discours sur l’ancien. Elle a mis en place des procédures, des protocoles de plus en plus rigoureux, afin de se distinguer de plus en plus nettement de la simple recherche d’objets anciens, sinon la chasse au trésor, ou du pillage. L’archéologie est devenue vraiment rigoureuse, ou à peu près, entre 1800 et 1880. Les archéologues s’attachent non seulement aux objets découverts, essaient de les comprendre, de déchiffrer les inscriptions qu’ils comprennent, mais étudient aussi attentivement le contexte des découvertes. Ce dernier est lui aussi précieux, et aide vraiment à la compréhension des objets découverts et leur époque. Les objets simplement collectés sans méthode archéologique, sinon pillés, font perdre par définition toutes les précieuses indications du contexte archéologique.
 
Le livre s’intéresse à quelques grandes figures d’archéologues, comme Champollion, le célèbre déchiffreur des hiéroglyphes, ou George Smith, le découvreur de la Tablette du Déluge de Ninive (1872), jusqu’à Yossef Garfinkel, un des plus grands archéologues israéliens contemporains, fouilleur de Khirbet Qeiyafa (site au sud-ouest de Jérusalem). Nous n’évoquerons pas ici la trentaine de grands archéologues présentés. L’ouvrage propose un résumé pertinent des travaux de ces archéologues et leurs démarches. Cet aspect, parmi de nombreux autres, est en soi passionnant.
 
L’adjectif « biblique », employé dès le XIXème siècle, s’avère pertinent, car de l’Egypte à l’Iran occidental, avec au centre évidemment la terre d’Israël de l’Ancien Testament, il s’agit du champ géographique de pays évoqués explicitement dans les Ecritures. Ce terme d’archéologie biblique couvre les champs plus spécialisés que sont l’égyptologie et l’assyriologie, née la première dans les années 1800 et la seconde dans les années 1840. L’archéologie de l’Israël antique est traditionnellement rattachée à l’assyriologie, qui couvre l’ensemble du Proche-Orient antique, tandis que l’égyptologie est restreinte par définition à l’Egypte. Les Hébreux anciens ont en effet été présents à certaines périodes en Egypte, comme en attestent les livres de la Genèse et de l’Exode, et en Babylonie, au sud de l’Assyrie au sens restreint soit en Irak actuel, suite à l’Exil mentionné dans le Deuxième Livre des Rois et les Chroniques, et de nombreux Prophètes, tel Jérémie. Et Abraham, père de tous les anciens Hébreux, est originaire d’Our, alors un grand port sumérien sur le Golfe Persique. Aujourd’hui, la mer a été repoussée à une centaine de kilomètres en aval.
 
Toute la riche toponymie biblique, que les rationalistes appartenant au courant des « Philosophes » du dix-huitième ont voulu voir comme un artifice de conteur oriental évoquant des contrées imaginaires, a été, pour l’essentiel, retrouvée sur le terrain  par l’archéologie biblique !
 

QUELQUES OBJETS FONDAMENTAUX D’ARCHEOLOGIE BIBLIQUE

 
Sous les pierres, la Bible présente 38 objets importants de l’archéologie biblique. Nous ne les présenterons pas tous ici. Parmi les objets importants figurent des documents de la région qui font écho aux textes bibliques : ainsi, le Code de Hammourabi, souverain babylonien, se rapproche de la Loi du Talion mosaïque ; de même la Prière à Aton, propose le vestige d’une éphémère expérience monothéiste, ou quasiment, en Egypte, en un temps proche de celui de Moïse. Les anciens Hébreux sont à comprendre dans leur contexte régional assurément ; ils n’en avaient pas moins des spécificités fortes, imposée par leur religion unique.
 
L’ouvrage propose aussi des mentions dans des documents égyptiens ou assyriens de rois de Juda, souvent dans des populations peu glorieuses, de tributaires ou de vaincus. Ces événements figurent aussi dans les Livres des Rois et des Chroniques.
 
Sur le territoire de l’Israël biblique, ont été retrouvés de nombreuses traces des constructions monumentales ou édilitaires des rois d’Israël et de Juda. Des découvertes importantes ont été réalisées à Jérusalem, Jéricho, Samarie, de l’époque de David à l’époque byzantine, en passant par la période romaine. L’auteur n’évoque guère, mais ce n’est certes pas son objet, la récupération politique systématique par l’Etat d’Israël moderne, qui se revendique comme l’héritier direct et légitime de l’Israël biblique. Ce point de vue est en particulier dénoncé par les Palestiniens. Au-delà de la question symbolique, des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est sont délibérément rasés pour accéder à des vestiges archéologiques bibliques. Si elles font l’objet de récupérations politiques systématiques, voire sont surinterprétées pour coller à l’image que les sionistes militants d’aujourd’hui ont de leurs ancêtres revendiqués, elles demeurent intéressantes sur le plan historique. Le Chrétien est aussi ému devant ces restes archéologiques vétérotestamentaires, indépendamment du contexte politique actuel.
 
Encore plus émouvants sont les témoignages de l’archéologie chrétienne. A l’époque romaine tardive, au IVème siècle, après la conversion au Christianisme de l’Empereur Constantin, toute la Palestine, et même les terres voisines libanaises et transjordaniennes, ont été couvertes de basiliques somptueuses. Elles n’étaient pas forcément de grandes tailles, mais couvertes de mosaïques, pour les pavements comme les murs. Il y a eu une seconde vague de construction de basiliques chrétiennes somptueuses, souvent des reconstructions, à l’époque byzantine. Elles ont souvent été saccagées lors des invasions perses et arabes du VIIème siècle. Ces dernières ont imposé sur le long terme l’Islam et la langue arabe. Dans cette région, à l’exception, et encore, du Liban, les Chrétiens disparaissent, suivant un mouvement historique lent mais accéléré par les drames récents en Irak et Syrie. La Terre Sainte ne comprend pratiquement plus de Chrétiens, alors que manifestement elle a été très majoritairement, sinon quasi-exclusivement chrétienne, du IVème au VIIIème siècle.
 

SOUS LES PIERRES, LA BIBLE : UN BEAU LIVRE D’IMAGES POUR ADULTES CURIEUX D’ARCHEOLOGIE BIBLIQUE

 
Sous les pierres, la Bible, est donc un très beau livre d’images – expression adaptée que nous prenons évidemment dans un sens positif – pour adultes curieux d’archéologie biblique. Il se lit rapidement, en trois heures, et permet de passer un agréable moment. Il se relit aussi agréablement, et ouvre de très nombreuses pistes à creuser pour les curieux, que ce soit pour les sites archéologiques, les archéologues, ou tout simplement la relecture des références bibliques explicites ou implicites. Les sujets évoqués, nécessairement un peu survolés dans chacun des 38 articles, pourront donc être approfondis ultérieurement, relativement facilement en quelques recherches sur internet – même s’il faut faire très attention alors à la crédibilité du site et à son esprit -, ou lors de visites dans les grands musées d’Europe, à commencer par le Louvre à Paris, qui expose le Code de Hammourabi et la Stèle de Mésha, Roi de Moab.
 
Nous regretterons seulement dans l’ouvrage quelques passages – obligatoires ?- de l’introduction et de la postface, particulièrement dans l’air du temps, dans ce qu’il peut avoir de plus discutable, bref l’esprit du « Monde des Religions » avec l’approche la plus relativiste des textes bibliques. Il ne faudrait surtout pas, est-il écrit, que l’ouvrage soit vu comme une forme d’apologétique, les découvertes archéologiques confirmant, de façon générale, les Saintes Ecritures ! Or, c’est pourtant bien le cas ! Le croyant n’a certes pas besoin de confirmations matérielles de l’Histoire Sainte, mais elles existent néanmoins et minent les discours des sceptiques sectaires, car la Bible correspond à un contexte historique réel parfaitement identifiable, et largement identifié désormais – même s’il ne l’est pas encore totalement.
 

Octave THIBAULT