Et si le terrorisme accélérait le séquençage ADN obligatoire des populations ? L’exemple du Koweït face à l’État Islamique

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L’ADN, c’est dans la poche aujourd’hui. Le premier séquençage avait coûté 3 milliards de dollars, il y a douze ans : il coûte aujourd’hui moins de 1.000 dollars, et sûrement beaucoup moins dans les toute prochaines années. On fait parler l’ADN des espèces éteintes, on établit des diagnostics en génétique prédictive, on confond les criminels sur un simple cheveu… Mais jamais encore, un séquençage de génome n’avait été généralisé pour une population : le Koweït l’a décidé depuis la mi-juillet, « contraint » par le terrorisme de l’État Islamique sur son sol. Si le but officiel de cette législation est de faciliter le travail des investigations criminelles et policières, beaucoup d’autres alternatives pourront désormais s’offrir à elle…
 

Séquençage d’ADN des populations : une mesure radicale et controversée

 
C’était seulement quelques jours après l’attentat meurtrier du 24 juin 2015 contre la mosquée chiite de l’imam Sadiq, le plus meurtrier de l’histoire du riche émirat pétrolier du Golfe (26 morts et plus de 200 blessés). Le 13 juillet, le Koweït rendait obligatoire les tests ADN pour tous les résidents permanents – à croire que le projet était déjà bien avancé…
 
Une première enveloppe de 400 millions de dollars a été rassemblée pour collecter les profils ADN des 1,3 million de citoyens et des 2,9 millions de résidents étrangers. Une base de données incroyablement ambitieuse pour laquelle le gouvernement se donne, de plus, seulement un an (septembre 2016).
 
 Tout refus d’enregistrer son profil ADN entraînera une amende de 33.000 $ et une peine de prison d’un an. Fournir un faux échantillon sera puni de sept ans d’emprisonnement. Et, apriori, même les visiteurs temporaires pourront subir des tests…
 

L’ADN contre le terrorisme

 
D’aucuns rétorqueront qu’il existe déjà des plateformes nationales de génotypage et de séquençage. L’Islande, par exemple, est devenue le premier pays à séquencer les génomes de sa population. Et d’autres pays y travaillent, comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni dont le projet baptisé « Genomics England » a pour objectif de séquencer d’ici à 2017 le génome de 100.000 citoyens. Les États-Unis, eux, ont lancé au début de l’année, le séquençage de plus d’un million de volontaires américains dans le cadre d’une nouvelle initiative, instaurée par Obama, pour comprendre les maladies humaines et développer des médicaments destinés à la constitution génétique de l’individu. Le « Korean Genome » est encore plus ambitieux car il vise à séquencer l’ensemble de ses 50 millions d’habitants…
 
Mais ces banques nationales de données biologiques ont des visées médicales, historiques, parfois judiciaires dans certains usages pénaux.
 
Avec le Koweït, l’usage du séquençage de l’ADN dans la société se trouve fondamentalement changé : c’est la première fois qu’il sera rendu obligatoire au niveau national comme une mesure de lutte contre le terrorisme, une prévention sécuritaire. L’attentat de l’État Islamique a joué un rôle déclencheur, qu’il soit prétexte ou pas (on pencherait pour la première solution : trois mois auparavant, en avril, l’Assemblée nationale du Koweït a adopté une loi rétablissant le service militaire obligatoire pour tous les hommes parvenus à l’âge de 18 ans – une loi qui doit entrer en vigueur en 2017).
 

Le Koweït : le premier pays, mais sans doute pas le dernier…

 
Et si, demain, toute menace de violence politique pouvait ainsi être une « motivation » pour ce genre de fichage ? La création d’une telle base de données serait encore illégale aux États-Unis ou en Europe en raison des lois de protection de la vie privée. En 2008, la Cour européenne des droits de l’homme avait empêché le Royaume-Uni de mettre en place un fichage semblable ; les juges avaient considéré que le maintien d’un échantillon d’ADN pour un délit non pénal « ne pouvait pas être considéré comme nécessaire dans une société démocratique ».
 
Néanmoins le geste du Koweït et les attaques persistantes de l’EI pourraient bien répandre et systématiser les séquençages d’ADN dans d’autres pays au Moyen-Orient et pourquoi pas au-delà. De plus leur coût, prohibitif pour certains pays, va encore diminuer. Le public va être de plus en plus sensibilisé à la question. Et les tensions politiques ne vont pas aller en s’arrangeant. Ces ingrédients réunis, le séquençage ADN sera une sécurité à tous points de vue, qu’il sera indécent et contre-productif de refuser. Rendez-vous dans moins d’un demi-siècle…
 

Clémentine Jallais