Gros retard du premier TGV
Paris-Toulouse par la ligne nouvelle LGV Océane :
la caricature d’un réseau à deux vitesses

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Illustration d’un réseau ferroviaire à deux vitesses : le gros retard de 4 h 30 mn du premier TGV Duplex Paris-Toulouse qui avait emprunté, dimanche 2 juillet, la ligne nouvelle à grande vitesse Tours-Bordeaux dite « LGV Océane ». Cette infrastructure longue de 302 km, plus 38 km de raccordements permettant à certains TGV de desservir les gares intermédiaires de centre-ville (il n’y a aucune gare nouvelle sur cette section), avait été inaugurée le 28 février par François Hollande. Son prix : 7,8 milliards d’euros. Ce n’est pas la ligne flambant neuve qui a été le théâtre de l’incident de dimanche, mais le réseau classique. Après avoir passé Bordeaux, notre TGV Paris-Toulouse a emprunté la ligne classique Bordeaux-Sète, datant de 1857, sur laquelle circulent des TER, du fret et les Intercités Bordeaux-Marseille-Nice, exploités par des rames Corail tractées par des locomotives électriques. Or c’est à cause d’une de celles-ci que notre TGV s’est soudain trouvé bloqué en gare d’Agen. Devant lui, entre Agen et Montauban, le pantographe de la locomotive tractant l’Intercités avait défailli. Il fallait un engin de secours doté d’un conducteur spécialisé, compétence difficile à trouver un dimanche d’été.
 
Résultat : quatre heures et demi de retard à l’arrivée à Toulouse, soit près de neuf heures de voyage pour les passagers du TGV « Océane » tout neuf qui était censé accomplir ce premier trajet en 4 heures et 19 minutes au lieu des quelque 5 h 15 mn en vigueur avant l’ouverture de la LGV SEA. Neuf heures au total, soit trois heures de plus que par le train Intercités Paris-Toulouse empruntant la ligne historique POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, 714 km), aux paysages magnifiques et inaugurée en… 1893.
 

Un retard de 4 h 30 mn du TGV Paris-Toulouse qui illustre de façon aveuglante la dichotomie du réseau français

 
La nouvelle ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux est conçue pour une vitesse de 320 km/h, permettant de gagner 60 minutes sur ce parcours, avec une durée ramenée entre ces deux villes de 2 h 30 mn à 1 h 30 mn. Le gain de temps sur Paris-Bordeaux est de 56 mn, avec une durée ramenée de 3 heures à 2 h 04 mn. La construction a été réalisée par Lisea, groupement dirigé par Vinci et la Caisse des Dépôts, dans le cadre d’un partenariat public-privé inédit en France, avec une concession de 50 années durant laquelle Lisea percevra les droits de passage sur la ligne qu’elle a construite, lui permettant de rentrer dans ses investissements.
 
L’incident du premier TGV Paris-Toulouse bloqué à Agen illustre de façon aveuglante la dichotomie qui affecte le réseau SNCF. Tandis que l’entreprise publique (RFF entre 1997 et 2015) construisait et finançait 2.000 km de lignes nouvelles sur ordre de l’Etat, elle laissait dépérir le plus gros des 20.000 km de lignes classiques. Lestée de coûts de production exorbitants, elle a continué de fermer des centaines de kilomètres de lignes régionales, isolant un peu plus les « territoires » périphériques d’une république ultra-centralisée : l’an dernier, Saint-Etienne-Clermont par Noirétable, Reims-Verdun… Et laissé dépérir des lignes classiques pourtant structurantes.
 

Deux vitesses : pour l’Intercités Bordeaux-Nice, un seul train de bout en bout. TGV Bordeaux-Paris : 18 trains par jour

 
Notons aussi que sur la liaison Intercités Bordeaux-Nice, l’une des rares qui ne soit pas radiale au départ de Paris, un seul train quotidien effectue la totalité du parcours et que, dans le cadre de la récente réforme des trains Intercités, il est prévu de le limiter à Marseille. Sur cet axe, les trois autres Intercités quotidiens sont limités à Bordeaux-Marseille. Rappelons que le nouveau service Bordeaux-Paris affiche, lui, 18 TGV par jour et par sens.
 
Le service Intercités Bordeaux-Marseille-Nice est assuré en matériel Corail bien rénové mais âgé d’une quarantaine d’années, tracté par des BB7200 qui affichent environ le même âge. Ce matériel, qui à l’origine était d’excellente qualité, sera remplacé par des rames Alstom Coradia Liner aptes à 200 km/h, après qu’il eût été brièvement prévu d’introduire des rames TGV Duplex neuves dans le cadre du sauvetage de l’usine Alstom de Belfort.
 

Macron annonce une priorité à la maintenance de l’existant et promet une loi d’orientation lors de l’inauguration de la LGV Océane

 
Reste que l’incident de dimanche souligne une fois de plus le drame du rail français : l’abandon de son maillage et le retard de sa maintenance, malgré de récents efforts, au bénéfice quasi-exclusif des liaisons radiales. La déclaration d’Emmanuel Macron lors de l’inauguration samedi 1er juillet de la ligne à grande vitesse Le Mans-Rennes (BPL, Bretagne-Pays de Loire), qui a donné la priorité aux transports du quotidien, à la maintenance de l’existant, et qui a annoncé une loi d’orientation sur les mobilités au 1er semestre 2018 conditionnant tout lancement de nouvelles grandes infrastructures changera-t-elle la donne ? Elle remet en cause en tous cas implicitement le prolongement de la ligne nouvelle de Bordeaux vers Toulouse, controversé sur place mais soutenu par la présidente de la région Occitanie, la socialiste Carole Delga, qui a cru devoir publier un communiqué en ce sens dès ce lundi 3 juillet.
 

Matthieu Lenoir