USA, UK : l’empire du bien encourage ses Balilla au virtuel

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Vivant des menaces qu’il suscite, l’empire du bien mobilise ses Balilla et les encourage à garder la maîtrise du monde virtuel. Au USA, la NASA accueille un « gardien de la galaxie » de neuf ans, au Royaume Uni (UK) un ancien espion engage les enfants à passer plus de temps devant l’écran de leur ordinateur.
 
C’est devenu une banalité de constater que le virtuel l’emporte souvent sur le réel dans le monde où nous vivons. Particulièrement aux USA où la guerre, par exemple, apparaît depuis longtemps à ceux qui la font comme un grand jeu électronique : on se souvient que dès 1992 les pilotes de l’US Air Force comparaient le bombardement de Badgad à un arbre de Noël clignotant. Cette confusion entre réel et virtuel, que les aventures interstellaires et le cinéma qu’elles engendrent entretient et accentue, a d’ailleurs fait le sujet d’une excellente petite fiction parodique, Galaxy Quest, qui menace de devenir aujourd’hui réalité.
 

Aux USA la NASA encourage un jeune gardien de la galaxie

 
Cet état d’enfance, dans lequel réel et virtuel forment un continuum insécable, habite le petit Jack qui vient d’écrire à la NASA. Ce garçonnet de neuf ans nourrit une admiration sans borne pour Les gardiens de la galaxie, un film sorti en 2014 où des héros aux pouvoirs étonnants s’agitent entre galaxie et trous noirs pour le plaisir des cervelles étroites qui les regardent. Infantilisme, sensiblerie et réclame s’y répondent harmonieusement : il n’y a rien de nouveau sous ces étoiles dont la seule vertu est de faire rêver les nigauds pour en faire de bons citoyens de l’empire du bien.
 
Le petit Jack mesure l’aide qu’il peut apporter à une société ainsi conçue, et il a posé sa candidature dans une lettre manuscrite au poste de protecteur de la Terre proposé par la NASA : il y faisait valoir, notamment, sa connaissance approfondie des films où apparaissent des extra terrestres et son « expertise », en français, sa compétence, en matière de jeux vidéos. Bref, cet enfant du virtuel doublé d’un as du virtuel s’estimait the right man in the right place pour protéger la planète, dans le monde virtuel où il a grandi.
 

Le protecteur de la Terre travaille pour l’empire du bien

 
Le directeur du département des sciences planétaires de la NASA en personne a pris sa plus belle plume pour lui répondre. Il a invité le jeune gardien de la galaxie à faire de bonnes études pour postuler dans quelques années au poste, qu’il a détaillé avec sérieux au jeune candidat. Créé en 1967 et vacant depuis le treize juillet, le poste de protecteur de la Terre est mieux rémunéré que celui de député français, entre 104.000 et 157.000 euros par an. Son titulaire est chargé d’empêcher toute contamination de la planète par des bactéries extra-terrestres, et à l’inverse de l’espace par des bactéries terrestres. En quelque sorte, c’est le grand désinfecteur des missions spatiales. Cette fonction, et surtout son intitulé, Protecteur de la Terre, rappellent le monde des aventures stellaires où se meuvent les gardiens de la galaxie et justifient en quelque sorte la démarche du marmouset. La réponse de la NASA s’inscrit d’ailleurs dans la même mentalité. Le même continuum réel virtuel. D’un côté elle n’insulte pas l’avenir, on ne sait ce que donnera ce gardien de la galaxie, d’un autre, elle se fait de la publicité, d’un troisième, surtout, elle crée un modèle pour les Balilla de l’empire : c’est bien d’être culotté, c’est mieux encore de se vouloir la vigie une et unie. L’empire du bien promeut le patriotisme planétaire et galactique.
 

L’espion UK encourage la confusion du réel et du virtuel

 
Cette mission de surveillance, de surveillance sur les écrans, vient d’être assignée à tous les enfants du Royaume Uni (UK) par Robert Hannigan, l’ancien chef de l’agence d’espionnage électronique du gouvernement anglais. Dans une lettre adressée au Daily Telegraph, il s’adresse à leurs parents qui se disent désespérés par leur incapacité à « séparer leurs enfants de la Wi-Fi » : selon lui, il vaut mieux que les bambins « jouent sur leur écran ou soient sur les réseaux sociaux » que des les voir « traîner dans la rue ». Ils ne perdent pas leur temps, au contraire : « Nous avons besoin que les jeunes explorent le monde numérique de la même manière qu’ils explorent le monde physique ». Et d’expliquer : « La culpabilité des parents est aussi provoquée par leur incapacité à comprendre que la vie en ligne et la « vraie » vie ne sont pas séparées : elles font toutes deux partie d’une même expérience. Les Millenials (les jeunes nés après 2000) comprennent cela ».
 

Les geeks sont les Balilla de l’empire du bien

 
Cette capacité des jeunes à mélanger réel et virtuel peut être mise au service de l’empire du bien. L’industrie, le gouvernement anglais et les militaires seraient en effet désespérément à court de compétences cybernétiques. Or les jeunes qui passent quinze heures par jour devant leur écran sont un vivier remarquable, il faut donc les encourager à y passer encore plus de temps : les geeks sont les Balilla de l’empire du bien.
 
Hannigan en tout cas les y encourage sans réserve. On sait que la station prolongée devant leur ordinateur ne vaut rien aux enfants, qu’elle fait baisser notamment le niveau en classe, et l’on se souvient que le gourou d’Apple, Steve Job, interdisait aux siens une consommation trop importante. Mais Hannigan n’en a cure. Il « ne reconnaît pas » que la génération internet soulève un souci moral. L’empire du bien a besoin de geeks. Il lui faut soustraire ses Balilla à l’emprise réactionnaire de leurs parents.
 

Pauline Mille