Un livre sur l’interrogatoire de Saddam Hussein le montre : la guerre Trump-CIA passe par Bagdad

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Treize ans après le premier interrogatoire de Saddam Hussein à Bagdad, l’agent qui l’a mené en fait un livre où il « révèle » les insuffisances de Bush et de la CIA ; est-ce une pierre dans le jardin de celle-ci dans sa guerre contre Trump ou au contraire une tentative de montrer qu’elle peut s’amender ?
 
Il s’appelle Nixon et il aime les coups tordus, mais son prénom est John et non Richard, et à cinquante-cinq ans il fait partie des analystes chevronnés de la CIA (Central Intelligence Agency). C’est lui qui  a mené à partir de décembre 2003 le premier interrogatoire du président irakien Saddam Hussein après son arrestation par l’armée américaine, et il donne d’ailleurs des indications précises permettant de certifier qu’il s’agissait bien du Raïs. Il en tire aujourd’hui seulement un livre, treize ans après. On peut se demander pourquoi, d’autant que la CIA s’est impliquée à fond dans le dénigrement de Donald Trump ces derniers mois et que celui-ci semble décidé à le lui faire payer.
 

L’interrogatoire de Saddam Hussein n’apprend quasiment rien

 
Première constatation, le livre « Debriefing the president : the interrogation of Saddam Hussein » ne contient pratiquement aucune de ces révélations que le lecteur était en droit d’attendre : quiconque a pris la peine de s’informer au début des années 2000 sait depuis quinze ans ce que prétend révéler l’agent de la CIA, que l’Irak n’avait nul stock d’armes de destruction massive, ni les moyens de fabriquer une bombe atomique, que Saddam Hussein n’a jamais pensé à une guerre chimique contre les troupes américaines stationnées en Arabie saoudite, qu’il n’avait aucun lien avec Al Al-Qaïda et qu’au contraire en bon baasiste il s’évertuait à juguler un terrorisme islamique que le chaos semé par les Anglo-saxons en Irak a fait proliférer, etc.
 
Parce qu’il faut vendre et faire parler de soi, John Nixon a ajouté deux ou trois détails tirés de l’interrogatoire qui renforcent le public américain dans sa vision caricaturale du dictateur (« L’homme qui n’a pas hésité à massacrer son peuple se plaint des quelques égratignures qu’on lui a faites pendant son arrestation »), ou au contraire le surprennent : quand éclata la guerre contre la coalition américaine, Saddam Hussein, selon Nixon, ne s’occupait plus des affaires de son pays, déléguées à son entourage, mais « écrivait un roman » – dont il s’est plaint que les soldats US lui aient pris le manuscrit, l’empêchant ainsi de le terminer.
 

Un livre au service de Trump contre la CIA ?

 
Quoi qu’il en soit de la véracité de ce dernier fait (car un agent ment aussi quand il se confesse, c’est vrai à la CIA comme dans tous les services secrets du monde), ce faisceau d’informations donne au grand public américain, par nature inculte, l’image d’un dictateur sans doute néfaste, mais plus fantasque que vraiment dangereux, du moins pas dangereux au point où le prétendait George W. Bush en s’appuyant sur les rapports de la CIA pour justifier sa guerre.
 
Etant donné que Nixon critique vivement Bush (« qui n’entendait que ce qu’il voulait entendre ») et la CIA (« pleine de béni oui oui qui veulent tant complaire à la Maison Blanche que cela altère la qualité du renseignement »), on pourrait penser que le livre est celui d’un transfuge piloté par le FBI pour renforcer Trump dans son combat contre la CIA, en étalant les vices évidents de celle-ci. Mais certains éléments mettent en doute cette interprétation naïve.
 

L’intoxication montée par Bush et la CIA pour justifier la guerre contre Badgad

 
D’abord, ou bien Nixon joue très bien les imbéciles, ou bien il n’était qu’un second couteau pas très bien informé ni formé à l’esprit critique, ce qui est ennuyeux dans son métier. Ainsi par exemple s’avoue-t-il « surpris » quand il découvre un Saddam Hussein digne et caustique qui détruit en quelques phrases les accusations américaines. C’est le fait d’un homme et d’une institution, la CIA, complètement auto-intoxiqués, ou plutôt intoxiqués par le mensonge de leurs patrons. Car il suffisait de lire les déclarations de l’Etat-Major israélien, ou le rapport de la commission d’enquête parlementaire française, ou encore le rapport de la commission El Barradeï, ou en creusant un peu plus d’autres documents plus difficiles d’accès mais qu’un service secret digne de ce nom se procure, pour savoir à quoi s’en tenir sur les armes de destruction massive et les autres fables agitées par Bush, Blair et leurs complices dans le dessein d’envahir Bagdad.
 

Et si la CIA tentait de minimiser ses erreurs ?

 
La question qui vient à l’esprit est-donc celle-ci : peut-on croire que la CIA et l’Intelligence service se sont trompés de bonne foi pour « complaire » au président américain et au premier ministre anglais, et que ceux-ci ont cru à ces erreurs de bonne foi, comme tente aujourd’hui indirectement de l’accréditer John Nixon ? Alors que la France, la Chine et la Russie les mettaient en garde ? La réponse est évidemment non : tout montre que les dirigeants anglo-saxons et leurs services secrets respectifs ont volontairement monté de faux dossiers mal ficelés pour justifier une guerre politique contre Saddam Hussein. Donc, paradoxalement, et contrairement aux premières apparences, le livre de John Nixon, Debriefing the president : the interrogation of Saddam Hussein pourrait servir à minimiser les fautes des dirigeants bellicistes et celles de la CIA. Peut-être pour faire parler de celle-ci et montrer sa capacité à se critiquer elle-même afin de redorer son blason dans la guerre qui l’oppose à Donald Trump. Qui peut le dire avec certitude ? Au billard, il faut compter le nombre de bandes pour déterminer l’objectif d’un coup.
 

Pauline Mille