Jean-Claude Juncker souhaite que l’Union européenne se dote d’une armée. Parce qu’il veut renforcer la crédibilité de Bruxelles et son poids dans le monde, tout en favorisant l’unité des Etats-membres. Loin du fracas des batailles, le président de la Commission européenne y voit une démarche éminemment politique.
« Une armée commune européenne montrerait au monde qu’il n’y aura plus jamais de guerre entre les pays de l’UE. Une telle armée aiderait également l’UE à formuler des politiques étrangères et de sécurité et à assumer plus de responsabilités dans le monde. Munie de sa propre armée, l’Europe pourrait réagir avec plus de crédibilité à toute menace visant la paix dans un État membre ou un pays voisin. Il ne s’agit pas de créer une armée européenne pour la déployer tout de suite, mais cela permettrait d’envoyer un message clair à la Russie : nous sommes prêts à défendre nos valeurs européennes. »
Cette déclaration, Jean-Claude Juncker l’a faite dans la presse allemande ; plus précisément dans les colonnes du Welt am Sonntag. Il ne pouvait pas mieux choisir. Berlin est à la fois l’exemple et l’aiguillon d’une Europe forte. Le ministre allemand de la Défense a ainsi immédiatement réagi à cette annonce, de façon très favorable. « Notre avenir, en tant qu’Européens, passera un jour par une armée européenne », a déclaré, dans un communiqué, Ursula von der Leyen.
Une Union européenne politique ?
De fait, l’Union européenne, qui passe pour une force, ou plutôt une masse économique, n’a pas de réalité, de consistance politique véritable ; même si de fait c’est elle qui, désormais, bat monnaie pour nous. Les questions de défense sont de ce fait, un atout important, un signe reconnu depuis toujours de la souveraineté d’un Etat – quel qu’en soit la forme.
Or, sur près de un million et demi de soldats appartenant aux Etats-membres de l’Union européenne, il n’y en a, estime-t-on, qu’un tiers de réellement « mobilisables ». Et, en pratique, les opérations conjointes sont extrêmement rares. Au Mali, par exemple, et quelle que soit l’analyse que l’on porte sur cette opération, la France a agi seule…
Quand, par exception, une opération se veut internationale, elle se déroule de façon habituelle sous direction américaine. De fait, lorsque l’on dit « international », on pense quasi systématiquement aux USA. Et l’on voit bien que, dans l’affaire ukrainienne, Washington est en première ligne.
Une armée face aux Etats-Unis
Sans doute, à Bruxelles, s’imagine-t-on que la constitution d’une force armée européenne rétablirait l’équilibre ; voire rendrait l’OTAN inutile, en provoquant une nouvelle alliance. Pour cela, il faudrait tout de même que les Etats-membres de l’Union européenne s’entendent. La défense n’est pas de ces sujets que l’on peut se contenter de décréter. Il faut une cohésion d’idées, de mémoire, de patrimoine pour défendre ensemble la même chose. Les soldats américains ont une cohésion de pays et de langue. On imagine mal un officier supérieur devoir faire appel à une… armée de traducteurs pour se faire entendre de ses soldats. Bruxelles est-elle donc en mesure de proposer quelque chose de semblable ? On peut en douter…
D’autant qu’il y a des précédents négatifs. En 1954, par exemple, le parlement français s’était opposé à l’idée d’une Communauté européenne de défense.
Quoi qu’il soit, l’idée pose plusieurs problèmes. Celui de l’autorité qui commandera cette armée, notamment. S’il faut, en période où son intervention est nécessaire, attendre une réunion des Vingt-huit (voire plus dans l’avenir) pour voir l’armée européenne s’engager, autant dire que l’Union européenne ne sera jamais une force stratégique.
Ainsi, parodiant Staline, on pourrait poser la question : « L’Union européenne, combien de divisions ? »
Un au revoir à nos nations
Mais, qui ne voit que la proposition de Jean-Claude Juncker amène à se poser une question plus fondamentale encore : celle de la souveraineté des Etats qui composent l’Union européenne. A terme, en effet, si l’on veut répondre logiquement, correctement à la question de savoir qui commandera l’armée européenne, il faut que ce soit un gouvernement européen. Pas une réunion, comme nous venons de le dire, des différents responsables nationaux. Mais un réel gouvernement, comme il y a déjà un Parlement.
Ce serait retirer à nos pays le peu, le semblant de souveraineté qu’ils possèdent encore. Déjà, nos parlements nationaux n’ont plus guère d’utilité ; déjà nous gouvernements n’ont plus guère de pouvoir ni même de vouloir. Si réellement les principaux responsables européens œuvrent dans ce sens comme il est logique, s’ils y parviennent, les noms qui nous sont chers – France, Pays-Bas, Italie, Espagne, Autriche, etc. – ne seront plus demain que des souvenirs historiques.
En bref, la première bataille que livrerait cette armée européenne ne serait pas extérieure, mais intérieure : elle redessinerait de fond en comble notre paysage politique.