Accords USA-Russie en Syrie : flou des objectifs et des moyens

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Quels sont les objectifs et les moyens réels de la Russie et des USA derrière les accords instituant aujourd’hui une trêve en Syrie ? Derrière les mots « humanitaire » et « solution politique » gisent les arrières pensées de toutes les parties prenantes. Le flou est total sauf sur un point : Russie et USA sont entrés dans une nouvelle phase de leurs relations.
 
Après 14 heures de négociations, les ministres des affaires étrangères des USA et de la Russie, John Kerry et Sergueï Lavrov, ont signé le 9 septembre à Genève une série d’accords qui devraient, selon Kerry, « réduire la violence » et ouvrir la voie « à une paix négociée et à une transition politique en Syrie ». Ces accords, qui prévoient aujourd’hui un cessez le feu d’une durée de 48 heures, suivi d’un autre de même durée, prétendent relancer le plan de paix conçu en décembre 2015 par l’ONU, qui prévoyait l’ouverture de pourparlers entre le gouvernement légal et les rebelles pour préparer une transition et la rédaction d’une nouvelle constitution. Concrètement, pour atteindre ces objectifs, les moyens choisis par les accords Lavrov-Kerry visent à « améliorer la lutte contre le terrorisme, installer un cessez le feu durable, dégager des couloirs pour l’aide humanitaire, afin de rendre possible un retour au processus politique ».
 

Les accords USA-Russie laissent certains sceptiques

 
Des objectifs et des moyens qui  ne mangent pas de pain mais restent pour l’instant de simples mots. Si Bachar el Assad et son gouvernement ont immédiatement approuvé les accords, signe que la Russie tient bien ses alliés et obligés en main, les rebelles dits « modérés » de l’armée syrienne libre (ASL) et du Haut comité de négociation n’en ont rien fait, signe que les USA, soit ne tiennent pas bien leurs alliés en main, soit ont signé les accords du bout de la plume, en attendant les futurs développements sur le terrain. Pour Fares el Bayouch, commandant les troupes de l’ASL dans le nord de la Syrie, la Russie et la Syrie n’ayant pas respecté les derniers accords, on ne voit pas pourquoi cette nouvelle trêve aurait un destin différent. S’il n’est pas aussi ouvertement pessimiste, l’envoyé spécial de l’ONU, Staffan de Mistura demeure réservé tant que les routes qui mènent vers Alep ne s’ouvrent pas. Il attend « de toutes les parties qu’elles facilitent le efforts des Nations unies visant à livrer de l’aide humanitaire aux populations qui en ont besoin, y compris celles qui vivent dans les zones assiégées. »
 

Les objectifs de la guerre en Syrie restent dans le flou

 
Derrière ces mot inquiets plus ou moins feutrés, quelle réalité ? Au début de la guerre en Syrie, qui aurait tout de même fait près de trois cent mille morts, on ne sait combien de destructions et de blessés et mis sur les routes des millions de « migrants », il y a la volonté des USA, de l’Angleterre et de leurs alliés, en particulier messieurs Hollande et Fabius, de renverser Bachar el Assad pour implanter la « démocratie » en Syrie. Dix ans après le fiasco d’une opération semblable en Irak, cette guerre arbitraire n’était cependant pas spontanément populaire dans une Europe préoccupée par la crise. D’où l’emploi massif de moyens de propagande pour manipuler l’opinion. Deux en particulier : l’apitoiement  sur les « civils » menacés par la barbarie du « régime », notamment l’emploi d’armes de destruction massive (on ne change pas une équipe qui gagne), par exemple « le gaz sarin » ; l’invention d’une « opposition modérée » (j’ai même lu dans le  Figaro : « rebelle modérés ») censément majoritaire dans la population et bien distincte des groupes islamistes.
 

Des moyens massifs mis à la disposition des terroristes

 
Aujourd’hui plus personne ne peut croire à ces deux fictions. Sans doute dans la guerre actuelle, surtout dans les villes assiégées, le sort des civils est souvent horrible, avec des « situations humanitaires inacceptables », mais ce n’est évidemment pas de la faute du seul « régime ». Quant à la fameuse opposition modérée, c’est une plaisanterie qui a coûté cher. On se souvient du temps où les Occidentaux armaient et finançaient massivement les groupes islamiste, et où Laurent Fabius célébrait le « bon boulot » d’Al Nosra. C’était il y a moins de quatre ans, en décembre 2012. Aujourd’hui, l’axe du Bien dirigé par Barack Obama n’aime plus les terroristes islamistes, et Al Nosra, pour se faire oublier, s’est rebaptisé Al Cham. Même aux Etats-Unis, l’enthousiasme premier s’est affaibli, après qu’un rapport des services a révélé que divers groupes soutenus les uns par le Pentagone, les autres par la CIA se tiraient dessus mutuellement avec l’argent du contribuable américain.
 

La Russie avait-elle les moyens de forcer les USA à signer ?

 
Sans doute aussi les USA ont-ils touché en Syrie les limites de leur suprématie militaire, c’est du moins la thèse d’un François Asselineau, que l’on a trop vite fait de discréditer sous l’étiquette complotiste. Quoi qu’il en soit, alors que depuis le début des années quatre-vingt-dix les Anglo-Saxons et leurs alliés étaient les seuls à opérer au proche orient, les USA ont dû laisser la Russie prendre les choses en main en Syrie, et y obtenir d’ailleurs des résultats tangibles. Les accords de Genève entre Lavrov et Kerry prennent acte de cet état de choses. On ne sait pas s’ils vont s’appliquer vraiment ni s’ils vont durer, mais, dans ce flou, leur première caractéristique et leur véritable importance, à l’heure actuelle, est d’exister.
 
Sergueï Lavrov a toutefois levé un coin de voile sur une partie de ces accords : « Nous nous sommes entendus sur les régions dans lesquelles nous effectuerons des frappes aériennes. En accord avec les dirigeants syriens, seules les Forces aérospatiales russes et la Force aérienne des Etats-Unis auront le droit de travailler dans ces régions. En ce qui concerne les Forces armées syriennes, elles opéreront dans d’autres régions non concernées par la coopération russo-américaine ». Autrement dit, si on ne sait pas bien où la coopération aérienne entre les USA et la Russie se fera, on sait au moins ce que le gouvernement légal a consenti pour obtenir les accords : il a renoncé à son droit d’agir sur l’intégralité du territoire de la Syrie.
 

Les accords USA-Russie prévoient une coopération militaire

 
C’est une exigence expresse des rebelles et des Euraméricains : les bombardements syriens aidaient en effet l’armée gouvernementale à progresser dans ses offensives, notamment vers Alep, dont le quartier méridional de Ramoussah vient d’être repris aux rebelles. Si l’ONU et les Occidentaux insistent tant sur « l’humanitaire », c’est pour empêcher une victoire de Bachar el Assad – dont lui même n’est pas très sûr avec l’usure de ses troupes, et il a préféré négocier en position favorable. En échange, qu’on donné les USA ? John Kerry l’a promis, si la trêve dure plus d’une semaine, les USA accepteront une collaboration militaire en Syrie avec la Russie, collaboration réclamée depuis longtemps par Moscou, et que les deux côtés préparent depuis des mois. 
 
En quoi consisterait-elle ? Sergueï Lavrov l’a esquissée. D’abord, les USA et la Russie partageraient leurs informations sur les bombardements qu’ils mènent, ensuite, ils institueraient un « centre conjoint » pour faire la différence sur le terrain entre « opposition modérée » et « terroristes », de façon à déterminer les zones opérationnelles de bombardement. A partir de là tout sera fait pour que « toutes les parties sur lesquelles la Russie et les USA exercent de l’influence » respectent le cessez-le-feu. C’est un peu flou, mais c’est beaucoup : il y a promesse de coopération militaire entre Russie et USA pour un retour au processus politique, et Bachar el Assad y consent, c’est-à-dire qu’en paroles au moins il acquiesce à des accords qui doivent remettre en cause son pouvoir. 
 

Poutine « sûr des objectifs de personne en Syrie »

 
Est-il sincère ? Qui le sait ? Et qui peut mesurer la sincérité des « terroristes », des « rebelles modérés », de la Turquie, ancien pilier de l’OTAN qui vient de se rapprocher de la Syrie et de la Russie, des USA, et de la Russie elle-même ? Pince sans rire, Vladimir Poutine a eu une phrase qui résume la situation : « On ne peut être sûr des objectifs de personne en Syrie. » On peut présumer seulement des intérêts des uns et des autres. Erdogan, quand il parle de « catastrophe humanitaire » et fait marcher ses chars dans le nord de la Syrie, en profite pour régler ses comptes avec les Kurdes. Les USA entendent redessiner la carte du Proche Orient sans oublier Israël. La Russie entend faire sentir son poids dans une région dont elle a failli se faire expulser. 
 
Mais derrière cela, ou avec cela, quels sont les objectifs vraiment importants ? Peut-on croire qu’après le fiasco de l’Irak, les dirigeants occidentaux ont cru à la propagande qu’ils servaient à leurs peuples ? Non. Ils ont donc planifié le chaos en connaissance de cause, à la fois la fuite des « migrant » vers l’Europe et la destruction de la Syrie. Pour redessiner le Proche Orient, soit. Mais peut-être aussi pour amener ce qui vient de se passer, un bouleversement des alliances et une alliance militaire et politique entre USA et Russie.
 

Les USA et la Russie comme larrons en foire

 
Entendons-nous bien. D’une certaine manière, vu de haut, les USA et le régime qui mène la Russie sont alliés depuis 1917. D’abord lors de la création de l’URSS et la guerre qui a permis la victoire des Rouges sur les Blancs. Ensuite durant la seconde guerre mondiale, la fourniture de matériel et la loi prêt-bail. La conférence de Yalta a traduit la volonté des USA et de la Russie de former un condominium pour régenter la planète, mais Staline déçut cet espoir après la conférence de San Francisco qui institua l’ONU. Désormais, l’union entre Russie et USA devint un combat, celui de la guerre froide. Mais derrière la réalité de la lutte se dessinait dialectiquement la convergence des blocs que certaines forces influentes préparaient. En 1953, en plein maccarthysme, le président de la Fondation Ford, Rowan Gaither, déclarait uniment : « La Fondation Ford œuvre, sur les directives de la Maison Blanche, à changer la vie en Amérique de façon à rendre possible une fusion confortable avec l’URSS. »
 
Après le moment de vide qui a suivi la fin de l’URSS et la chute du mur de Berlin, la Russie a repris du poil de la bête, et, tout en s’opposant aux USA en Ukraine et sur son glacis balte, entreprend aujourd’hui une nouvelle phase dialectique : une coopération militaire et politique pour reconstruire la Syrie une fois qu’elle a été détruite. Le moment est bien choisi pour le faire : suivant la vision prophétique de François Mitterrand, l’époque est au « ni ni ». La Russie de Poutine est aujourd’hui aussi capitaliste que sont socialistes les USA d’Obama, elles sont adeptes du socialisme de marché que pratique aussi l’Union européenne et la Chine.
 

Pauline Mille